Le 12 mars, Michael Woods reposait à l’hôpital Lyon-Sud, incapable de mouvoir sa jambe droite en charpie. Deux heures plus tôt, il était tombé directement sur son fémur après avoir mal négocié une descente à 60 km/h, à la cinquième étape de Paris-Nice.

En attendant l’opération pour stabiliser sa fracture, le cycliste d’Ottawa était persuadé que ses chances de participer aux Jeux olympiques de Tokyo étaient anéanties. Pire, il craignait pour la suite de sa carrière, amorcée sur le tard et dont il ne faisait que commencer à récolter les fruits.

Sept mois et une pandémie plus tard, cet épisode douloureux n’est qu’un mauvais souvenir. Qu’il refuse d’oublier.

Chaque fois que je gagne une course maintenant, je me rappelle ce moment-là. C’est incroyable que je sois rendu ici.

Michael Woods

Au bout du fil depuis Villanueva de Valdegovía, dans le Pays basque espagnol, Woods baignait en pleine euphorie mardi.

Une saison pas comme les autres

Une heure plus tôt, il avait remporté la septième étape de la Vuelta, dernière grande épreuve d’une saison pas comme les autres. Surtout pas pour le Canadien, qui pédale toujours avec une tige de titane dans la jambe.

Après s’être détaché de quatre coureurs avec un peu moins de 1 km à parcourir, Woods (EF) a devancé par quatre secondes Omar Fraile (Astana) et Alejandro Valverde (Movistar), deux redoutables finisseurs espagnols.

Entre la cérémonie du podium, les entrevues, le contrôle antidopage, il avait eu sa femme Elly deux minutes au téléphone. Elle était à la maison avec Maxine, la petite fille du couple née le 28 janvier.

PHOTO ANDER GILLENEA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Canadien Michael Woods a triomphé mardi lors de la septième étape de la Vuelta.

De quoi raviver un autre souvenir douloureux : sa première victoire d’étape au Tour d’Espagne, le 12 septembre 2018. Ce jour-là, au Balcón de Bizkaia, à une centaine de kilomètres au nord, Woods, en pleurs, avait dédié son triomphe à son fils Hunter, mort-né à 37 semaines deux mois plus tôt.

Mardi, ce n’était que de la joie.

La veille, au premier jour de repos, Woods avait confié à La Presse ressentir une grande fatigue psychologique. Sa réadaptation, accomplie en plein milieu d’une pandémie mondiale, a été dure.

« Une sorte de rêve »

«  Je me sentais un peu fatigué mentalement, mais je pensais être capable de gagner une étape dans les deux prochaines semaines, a-t-il précisé. Voilà, j’avais les jambes aujourd’hui, j’ai pu me sauver dans l’échappée et j’ai eu un peu de chance. C’est une sorte de rêve que je vis.  »

Ignoré par son équipe EF Pro Cycling pour le Tour de France, Woods avait retrouvé son meilleur niveau à Tirreno-Adriatico, où il a gagné une étape et porté le maillot de meneur pendant deux jours, au début du mois de septembre. Il a confirmé cette belle forme aux Mondiaux d’Imola (12e), à la Flèche Wallonne (3e) et à Liège-Bastogne-Liège (7e).

Quelques jours avant son départ pour la Vuelta, il a réalisé l’un de ses meilleurs entraînements à vie, dans les environs de Gérone.

«  Man, tu as des jambes incroyables  !  » lui a dit son entraîneur Paulo Saldanha, encore ébahi par les données transmises par son talentueux protégé : «  425 watts [de moyenne] sur 20 minutes, dans un effort qui n’était pas régulier, c’est quand même pas pire. C’est presque 7 watts par kilo. Ce n’est pas loin du meilleur au monde.  »

Woods avait donc de grandes ambitions pour sa troisième Vuelta, mais il a chuté sur un banal incident dès le premier jour, où il pouvait viser le maillot rouge de meneur. Relégué à près de 20 minutes au classement général, il a tourné son attention vers les succès d’étape.

Dimanche, sous la pluie froide, il est venu bien près, terminant deuxième derrière l’Espagnol Ion Izagirre à la station de ski Aramón Formigal. Ce n’était donc que partie remise.

PHOTO ANDER GILLENEA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Michael Woods

Grosse échappée

Ironiquement, Woods ne pensait pas se glisser dans l’échappée mardi. Il devait plutôt s’appliquer à protéger son coéquipier britannique Hugh Carthy, deuxième au général.

Or, la formation d’un énorme groupe de 36 coureurs au pied de la première ascension du Puerto de Orduna, principal col de la journée, l’a incité à se lancer dans la bataille.

«  C’était ma décision  », a-t-il précisé. La présence de Valverde, alors 10e du général, et de George Bennett (Jumbo), 13e, représentait une menace pour Carthy.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Hugh Carthy, coéquipier de Michael Woods, qui est deuxième au classement général.

Les Ineos du maillot rouge équatorien Richard Carapaz n’ont pas laissé beaucoup de champ à cette échappée dangereuse (maximum 2 min 18 s).

La deuxième montée du Puerto de Orduna a provoqué la dislocation du groupe de tête. Woods s’est lancé seul juste avant les lacets les plus abrupts, à 3 km du sommet. Valverde, Fraile et les Français Nans Peters (Ag2r) et Guillaume Martin (Cofidis) ont gardé le Canadien dans leur ligne de mire.

Woods a basculé au sommet avec une avance de huit secondes. Avec encore 19 kilomètres à parcourir et le vent de face qui soufflait, il n’avait aucune chance de se rendre seul face à un quatuor de ce calibre. Un quintette s’est donc formé dans la descente.

Sur ordre de son directeur sportif, Woods a refusé de rouler avec ses compagnons, s’attirant la réprobation de Fraile et Valverde, qui voyaient revenir le groupe de poursuivants.

J’ai expliqué à Valverde que je ne pouvais pas l’aider pour son classement général, il m’a dit qu’il n’y avait pas de problème.

Michael Woods

Sur les 10 derniers kilomètres, les hommes de tête ont tenté leur chance à tour de rôle. Woods s’est montré patient, répondant aux coups les plus dangereux de Fraile et de Valverde, ex-champion mondial.

L’athlète de 34 ans avait réservé son accélération la plus tranchante pour la flamme rouge indiquant le dernier kilomètre. «  J’ai vu un petit écart entre Nans Peters et moi, il y a eu un moment d’hésitation pour tout le monde, j’ai décidé d’attaquer…  »

Woods a ainsi savouré une petite revanche sur Valverde, 40 ans, qui l’avait battu au sprint aux Championnats du monde d’Innsbruck en 2018, où il avait enlevé le bronze.

«  C’est certainement l’une de mes plus belles victoires, parce que c’est un peu différent que de gagner en haut d’une montée  », a souligné le vainqueur, toujours soucieux de répondre aux questions en français.

Le Montréalais James Piccoli, seul autre Canadien en lice à la Vuelta, a terminé 134e à près de 17 minutes après avoir travaillé pour son coéquipier Dan Martin (Israël Start-Up Nation), qui conserve sa troisième place au classement général (+ 20 sec). Carapaz est toujours meneur, 18 secondes devant Carthy.

Woods, l’ancien coureur à pied converti en cycliste, continue donc d’étoffer son palmarès enviable. Avec ses jambes du tonnerre, il a certainement des visées sur la huitième étape ce mercredi, qui se conclut au sommet d’un beau grand col.