(BRUXELLES) On ne reconnaît plus Bruxelles depuis quelques semaines. Ou plutôt si, mais la capitale de la Belgique a pris de bien drôles de couleurs.

Partout au centre-ville, banderoles, affiches et installations jaune banane donnent l’impression de baigner dans une mer de maïs en crème.

Le péril jaune ? La marque jaune ? L’Ombre jaune ? Rien de cela, mesdames, messieurs, mais bien plutôt un hommage au maillot jaune, symbole ultime du Tour de France.

Il faut savoir que, pour la première fois depuis 1958, la « Grande Boucle » partira samedi de Bruxelles. La raison en est simple : on célèbre cette année le 50anniversaire de la première victoire au Tour de France d’Eddy Merckx, le plus grand champion belge de tous les temps, le Pelé du vélo, le Muhammad Ali de la bicyclette.

PHOTO SEBASTIEN BERDA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Eddy Merckx reste la plus grande source d’orgueil en Belgique.

Pour l’occasion, toute la ville semble vibrer au nom d’Eddy Merckx. Le portrait du quintuple vainqueur du Tour de France (1969, 1970, 1971, 1972 et 1973), cheveux au vent, apparaît sur tous les murs, y compris ceux des toilettes d’aéroport. Et l’on ne vous parle même pas de Woluwe-Saint-Pierre, quartier natal de l’ex-champion, qui s’est littéralement transformé en « Merckxland », avec ses poubelles peintes en jaune et son « village » éphémère en hommage à la légende belge du cyclisme.

Ce débordement d’enthousiasme est justifié : celui qu’on surnommait le « Cannibale » ou encore l’« Ogre de Tervuren », parce qu’il dévorait sans pitié ses adversaires, reste la plus grande source d’orgueil en Belgique. En témoigne son impressionnant palmarès de 625 victoires, dont cinq Tours de France, cinq Tours d’Italie, un Tour d’Espagne, un record mondial de l’heure et trois championnats du monde, dont un remporté à Montréal, en 1974, au terme d’une longue boucle sur le mont Royal.

Personne, ni avant ni après, n’a autant dominé le cyclisme.

Ni avec autant de panache.

Des retombées pour la Belgique

Mais revenons à aujourd’hui. Revenons à cette première étape qui partira samedi de la place Royale et fera le tour du « plat pays », traversant les Flandres et la Wallonie, avant de revenir à son point de départ.

Revenons-y, car ce gigantesque événement, qui sera diffusé dans 190 pays, pourrait avoir des retombées intéressantes pour la Belgique.

Sur le plan économique, d’abord.

Bruxelles aurait investi 8 millions d’euros pour tenir les deux premières étapes du tour (oui, on remet ça dimanche, pour un contre-la-montre). C’est beaucoup. Mais le prestige de cette compétition est tel qu’il rejaillira forcément sur la ville. La chambre de commerce évoque un gros coup de « city marketing ». Le secteur touristique, lui, se frotte déjà les mains, alors que les hôtels affichent complet à 80 %. On attend 1 million de visiteurs sur deux jours et les revenus potentiels de toute l’opération sont estimés à 64 millions d’euros.

Sur le plan sportif, on peut aussi prévoir des effets positifs à long terme. Une bonne nouvelle, alors que le cyclisme belge a besoin de se réinventer.

Ce sera important pour la promotion du vélo en Belgique.

Frederik Broché, directeur technique de la Fédération belge de cyclisme

Il faut savoir que ce sport a déjà connu de meilleures années au pays d’Eddy Merckx.

Deuxième nation derrière la France en termes de victoires d’étapes au Tour de France (472 contre 705), la Belgique a donné naissance à plusieurs grands champions de vélo, dont Sylvère et Romain Maes dans les années 30, Rik Van Looy dans les années 60, Lucien Van Impe et Freddy Maertens dans les années 70, sans oublier Merckx, bien sûr, qui les surpasse tous.

« C’était des cyclistes qui étaient durs au mal. Ils savaient souffrir. Ils étaient vraiment très résistants. Pourquoi ? Les brumes des Flandres. Les pavés. On se bat beaucoup sur les routes belges, vous savez », résume l’ex-journaliste Jean-Paul Ollivier, qui a couvert rien de moins que 40 Tours de France.

Pros des classiques…

Avec l’internationalisation du cyclisme et l’arrivée de champions colombiens, américains ou britanniques, les cyclistes belges ont toutefois reculé dans l’imaginaire collectif… de même que sur la ligne de départ. Ils étaient 37 sur 130 participants lors du Tour de France de 1969. Ils ne sont pas plus d’une quinzaine sur 176 cette année.

Les Belges n’ont certes jamais cessé de dominer dans les « classiques » (courses d’un jour, comme La Flèche wallonne ou le Liège-Bastogne-Liège), leur grande spécialité. Et demeurent de sérieux compétiteurs à l’international, comme en témoigne la médaille d’or de Greg Van Avermaet aux Jeux olympiques de Rio en 2016.

Mais ils sont devenus moins performants dans les courses à étapes comme le Tour de France ou le Tour d’Espagne.

Pour exemple : la dernière victoire d’étape belge au Tour date de 2016, alors que seulement six Belges ont porté le maillot jaune au cours des 25 dernières années. « Nous nous sommes trop concentrés sur les courses d’un jour et on a oublié de développer les courses à étapes », résume le journaliste Hugo Coorevits, expert en cyclisme.

Faute de grimpeurs et de sprinters dominants, les Belges entretiennent donc peu d’espoir pour ce 106e Tour de France. Ils peuvent, au mieux, briller lors des étapes de transition, avec des coureurs comme Greg Van Avermaet, Thomas De Gendt ou Tim Wellens.

Mais un maillot jaune à l’arrivée à Paris ? C’est peu probable.

Evenepoel, le nouveau Merckx ?

Cela pourrait toutefois changer dans les prochaines années.

Consciente du problème, la fédération belge de cyclisme met en place de nouveaux programmes et de nouveaux types de formation pour entraîner des cyclistes au registre plus étendu. « On essaie de changer la donne », reconnaît Frederik Broché.

Plusieurs, en outre, attendent impatiemment l’éclosion d’un certain Remco Evenepoel (prononcez Eveneupoule), jeune prodige à qui l’on promet le plus brillant avenir.

PHOTO DAVID STOCKMAN, BELGA

Remco Evenepoel

À seulement 19 ans, cet ancien espoir du soccer a déjà tout bousculé sur son passage. Depuis 2017, il a remporté près d’une dizaine de courses importantes, dont le championnat du monde du contre-la-montre junior en 2018 et le récent Tour de Belgique des pros, qu’il a gagné devant des coureurs confirmés comme Tim Wellens et Victor Campenaerts.

Sa domination est telle que plusieurs le voient comme l’avenir du cyclisme belge, voire le « prochain Eddy Merckx ».

Questionnés sur le cas « Remco », les experts préfèrent toutefois rester prudents. « Il est encore trop tôt pour parler du next big thing, tranche Frederik Broché. Il a montré beaucoup de talent au junior. Il gère bien la pression. Mais on verra ce qu’il gagnera dans l’élite professionnelle. Il a encore beaucoup de marches à monter. »

Hugo Coorevits pense pour sa part qu’il faudra attendre « six ou sept ans » avant de se prononcer sur la stature du jeune homme. « Il faut laisser le temps », souligne-t-il, ajoutant qu’il ne « faut pas chercher le nouveau Merckx, mais le prendre pour ce qu’il est ».

Encore trop vert pour viser le jaune, Remco Evenepoel ne participera pas au Tour de France cette année. L’équipe belge Deceuninck-Quick Step, qui l’a embauché, place pour l’instant tous ses espoirs dans le Français Julian Alaphilippe, meilleur grimpeur du Tour 2018.

Un peu de patience, donc, avant de voir le « nouveau Merckx ». Et d’ici là, replions-nous sur l’ancien Merckx – le vrai –, qui est toujours bien en vie.

L’ex-champion, aujourd’hui âgé de 74 ans, assistera demain au grand départ, lors d’une cérémonie officielle à la Grand-Place, en compagnie du roi Philippe de Belgique. Tout porte à croire qu’il dominera d’office cette première étape, sans même monter sur un vélo.

Cannibale un jour, cannibale toujours…