Seul Français cette année en Formule 1, Sébastien Bourdais n'appartient pas spécialement à la catégorie des joyeux drilles. Toujours calme et effacé, presque timide, le pilote de l'écurie Toro Rosso a accompli son rêve d'enfance: il est désormais membre du cercle très fermé des pilotes de F1.

Mais il paye le gros prix pour y parvenir. Après quatre saisons passées à caracoler de victoire en victoire, il se retrouve désormais au fond des grilles de départ de Formule 1, la plupart du temps derrière son redoutable coéquipier, le jeune Allemand Sebastian Vettel. Bref, la position du Français n'est pas aussi rose que ses célèbres montures de lunettes. Et il ne s'en cache pas: le monde de la F1 n'a pas vraiment de rapport avec celui du Champ Car.

Q: Après plusieurs passages en Champ Car, comment s'est passée votre première qualification en F1 sur le circuit Gilles-Villeneuve?



R: J'ai vécu une des pires journées de toute ma carrière. La piste tombait en morceaux et les conditions étaient exécrables. Le vent apportait aussi beaucoup de débris et de feuilles, ce qui rendait la piste très glissante. (Après ma sortie de piste aux essais libres du matin), je ne pouvais plus me permettre de faire d'erreur.

Q: On a l'impression que les pilotes s'amusent moins en F1 qu'en Champ Car, où l'ambiance semble bon enfant par rapport à l'encadrement strict des Grands Prix.



R: En fait, ce qui change le plus entre ces deux disciplines, c'est l'organisation. Je ne suis pas très original en disant cela, mais en F1, tout est fermé. Le problème, c'est qu'en Europe, la mentalité des gens a entraîné la fermeture des paddocks depuis longtemps, tandis qu'aux États-Unis, tout est toujours ouvert. Les gens sont beaucoup plus disciplinés. Ils respectent davantage les pilotes. En Europe, si on laissait les partisans accéder au paddock de F1, ils deviendraient fous.

Q: Et les voitures? Par rapport à une F1, on a l'impression qu'une voiture de Champ Car ressemble un peu à un camion.



R: Oui, mais un camion, ce n'est pas si facile à conduire! Les monoplaces de Champ Car sont très équilibrées entre l'aérodynamique, la puissance et l'adhérence mécanique (celle générée par les pneus, ndlr). À l'inverse, une F1 est très puissante, avec des charges aérodynamiques fortes, mais une adhérence mécanique faible à cause des pneus rainurés. Du coup, une Formule 1 a des réactions parfois étranges. On passe de fortes pointes d'adhérence en pleine vitesse à presque aucun appui au bout d'un violent freinage. Il faut s'y habituer.

Q: La réalité de la F1 correspond-elle au rêve que vous en aviez?



R: Chez Toro Rosso, c'est une première marche. Évidemment, j'aimerais bien me mêler à la bagarre en tête, mais dans un premier temps, c'est comme ça. En plus, ma saison va prendre un deuxième départ avec la nouvelle voiture apparue à Monaco.

Q: Quel impact votre retour en Europe a-t-il sur votre vie de famille?



R: Aux États-Unis, ce n'est pas toujours si simple. Nous étions loin de nos familles et de nos amis. Et comme j'étais souvent hors de la maison, il était très difficile de socialiser, de trouver des amis sur place (il résidait en Floride avec sa femme, Claire, et leur bébé). Il faut dire qu'il n'y a pas beaucoup de gens, aux États-Unis, qui ont une mentalité suffisamment ouverte sur le monde pour avoir de vraies discussions.

C'était un peu le choc des cultures. Les Américains vivent en vase clos, ils préfèrent souvent ne pas connaître les problèmes situés au-delà de leur frontière.

Le monde de la Formule 1 est impitoyable. Le contrat de Bourdais avec Toro Rosso ne court que sur une seule saison ferme (cinq avec option), et les mauvaises langues affirment que cette entente a tenu davantage aux liens entre son manager, Nicolas Todt (le fils de Jean, l'ancien directeur général de Ferrari) et le rabais obtenu par l'écurie sur les moteurs Ferrari, qu'au talent pur du pilote français.

Qu'importe après tout. Bourdais sait qu'il ne bénéficiera pas d'une seconde chance en F1. S'il veut s'y imposer, ne serait-ce qu'y rester au-delà de 2008, il doit faire mieux que son coéquipier et signer au passage quelques petits exploits.

La mission semble difficile. Les victoires en Champ Car doivent décidément beaucoup manquer à Sébastien Bourdais...