Quelle proportion des Canadiennes ayant participé aux derniers Jeux olympiques en hockey et en soccer ont étudié aux États-Unis ? Allez, tentez votre chance.

20 % ? 30 % 50 % ?

Non.

Presque la totalité. Au soccer, 20 sur 22. Au hockey, 22 sur 23. L’exception ? Mélodie Daoust. Ajoutez les coureuses. Les nageuses. Les basketteuses. Les poloïstes. Les joueuses de tennis. Ce sont des centaines de Québécoises qui, chaque année, vont poursuivre leur carrière athlétique dans une université américaine. Plusieurs resteront là-bas après leurs études. C’est une face méconnue de l’exode des cerveaux.

Pourquoi cet attrait pour les États-Unis ?

Parce qu’un règlement, Title IX, adopté en 1972, y interdit toute discrimination basée sur le sexe dans les programmes éducatifs. Les universités doivent donc offrir des opportunités semblables pour les hommes et les femmes. Les équipes féminines sont donc mieux financées que celles de nos universités. Après, l’équation est simple.

L’argent attire le talent.

Le talent attire l’argent.

La roue, bien huilée, tourne très, très bien.

Historiquement, qu’a-t-on fait, au Québec, pour freiner cet exode ?

Presque rien. Nos universités ont bien créé des équipes sportives féminines. Il y en a une vingtaine, tous sports confondus. Sauf que ces formations sont souvent dotées de budgets faméliques. La vente de beignes, pour financer les activités, existe toujours.

Même les plus grandes équipes, comme celles de hockey, s’en sortent grâce à des « passionnés » qui font « des petits miracles », explique la directrice générale de l’équipe féminine de hockey de l’Université de Montréal, Danièle Sauvageau.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Danièle Sauvageau, directrice générale de l’équipe féminine de hockey des Carabins

Or, depuis quelques mois, on sent qu’il se passe des choses. Que les plaques tectoniques bougent. Pas de grosses secousses, encore. Plutôt « des petits mouvements », illustre la directrice générale du sport d’excellence à l’Université de Montréal, Manon Simard.

Ce n’est pas systémique. Ce sont des initiatives individuelles, basées sur des valeurs que portent des [donateurs]. On essaie de briser l’exode de nos talents.

Manon Simard, directrice générale du sport d’excellence à l’Université de Montréal

Trois dons majeurs ont récemment retenu l’attention. Le directeur général du Lightning de Tampa Bay, Julien BriseBois, a remis 75 000 $ au programme de hockey féminin des Carabins. L’animateur Kevin Raphaël, lui, donnera 25 000 $ sur cinq ans à l’équipe féminine de hockey de l’Université Concordia. Quant à Power Corporation, l’entreprise a fait un don exceptionnel de 1,3 million aux quatre formations féminines de Concordia. Ces initiatives suivent celle de la Fondation Molson, qui avait remis 2 millions à l’ensemble des programmes des Carabins, en 2015.

Si on compare ces sommes aux salaires des hockeyeurs professionnels, ça peut paraître trois fois rien. Mais dans le sport universitaire, on peut aller très, très loin avec un don de 1,3 million. Le don de Power Corporation, par exemple, permettra de remettre des prix aux joueuses, ainsi que d’améliorer les ressources qui leur seront offertes. « Ça nous aidera dans notre recrutement », a expliqué la basketteuse Serena Tchida, au moment de la remise du don. « Les femmes qui choisissent un programme vont regarder notre programme et voir combien les athlètes sont soutenues. »

Le don de Julien BriseBois a permis aux Carabins d’embaucher une entraîneuse à temps plein pour cinq saisons. Un gros plus pour une organisation universitaire. « Je veux que les joueuses aient plus d’options si elles veulent faire leur éducation en français », avait-il expliqué à mon collègue Guillaume Lefrançois, il y a 18 mois. « Au hockey féminin, tu as les différents programmes nationaux, de même que quelques ligues professionnelles. Le pipeline pour ces équipes, c’est le hockey universitaire, entre autres canadien, qui n’a rien à envier au hockey américain. »

D’ailleurs, les Carabins ont battu des formations de la NCAA, l’automne dernier, lors d’un voyage aux États-Unis. Et jouer dans un programme américain n’augmentera pas les chances d’être recrutée au sein de l’équipe nationale, fait valoir Danièle Sauvageau. « Oui, Marie-Philip Poulin a étudié à Boston. Mais elle aurait pu étudier à Saint-Tite, l’équipe canadienne l’aurait prise quand même. » Je vous rappelle que toutes les équipes sont à la remorque du talent.

Les grandes rivales des Carabins, les Stingers, peuvent compter depuis cette année sur le soutien financier de l’animateur Kevin Raphaël, également propriétaire d’une équipe professionnelle de hockey, la Force de Montréal.

« Non, je ne suis pas riche ! », précise-t-il.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Kevin Raphaël, animateur et propriétaire du club féminin la Force de Montréal

Mais il gagne mieux sa vie que les étudiantes. Un règlement empêche les universités d’offrir des bourses à toutes les athlètes. Selon les sports, la proportion peut varier de 10 % à 80 %, explique Manon Simard.

« Quand tu es à l’université, raconte Kevin Raphaël, tu as quatre entraînements par semaine. Tu joues deux fois par semaine. Il ne reste pas beaucoup de temps pour travailler. Ce que j’ai voulu faire, c’est aider financièrement une ou deux athlètes par année, qui veulent faire carrière dans les affaires ou les communications. Je souhaite leur enlever le poids financier de jouer et d’étudier en même temps. »

« J’ai confiance que [les entraîneuses] Julie Chu et Caroline Ouellette investiront l’argent à la bonne place, ajoute-t-il. Elles sont là pour faire grandir le sport. Elles veulent garder les Québécoises ici le plus possible. Peut-être essayer de convaincre des Françaises et des Suissesses de venir ici, pour créer un grand marché de hockey féminin universitaire au Québec. »

Retenir nos meilleures joueuses. En attirer d’ailleurs. Est-ce une utopie ?

« On en retient de plus en plus », indique Danièle Sauvageau. Elle a compilé des statistiques. En 2014, il y avait environ 400 hockeyeuses canadiennes dans la NCAA. En 2021, 293. Malheureusement, de façon globale, le hockey féminin stagne au Québec. Il y a huit fois plus de joueuses en Ontario qu’ici.

Pour retenir encore plus d’athlètes-étudiantes, ça prendra plus d’argent. Pas juste de la part des universités ou du gouvernement, qui ont d’autres priorités. Ça pourrait devoir passer par des dons privés.

L’Université de Montréal vient de créer le cercle des anciens athlètes des Carabins. À long terme, elle espère que les anciens soutiendront financièrement les équipes. Ça se fait beaucoup aux États-Unis et au Canada anglais. À court terme, il y a toutefois un enjeu. Comme le programme des Carabins a cessé d’exister entre 1972 et 1989, la plupart des anciens sont aujourd’hui dans la trentaine. C’est un âge où on est plus serré financièrement.

Danièle Sauvageau, elle, souhaite que le regard des gens sur le sport féminin universitaire change.

« J’invite les citoyens corporatifs à reconnaître qu’une athlète-étudiante devrait avoir les mêmes ressources [que ses confrères]. Devrait-on parler d’un Title IX canadien ? On devrait être plus intelligents. Qu’attend-on avant de reconnaître que nos structures opérationnelles doivent être supportées ?

« Notre budget d’exploitation d’il y a dix ans, c’est pratiquement le même qu’aujourd’hui. Sauf que les autobus, eux, coûtent plus cher. Les arbitres aussi. Tout augmente. On a besoin des citoyens corporatifs. »