« Je pense que j’ai un bon ange gardien. Je suis juste vraiment heureux d’être encore là », laisse tomber Elie Karojo en fin d’entrevue. Ces paroles, comme le sourire qu’il affiche en les prononçant, ont toutes les raisons d’être quand on connaît l’histoire du basketteur montréalais.

À l’étage supérieur de l’Auditorium de Verdun, sur la mezzanine menant aux entrées des deux patinoires, se trouvent quelques tables. C’est là, dans un silence apaisant, qu’Elie Karojo nous raconte son récit de vie en toute transparence.

Ce récit, il commence il y a 23 ans, dans un Congo en pleine guerre. Du haut de ses 4 ans, Elie était alors le petit dernier d’une famille de « beaucoup » d’enfants. C’est donc lui qu’on a fait monter dans un avion en direction du Canada.

« Je n’avais aucune idée où j’allais, ils ne m’ont rien dit. J’ai atterri ici en plein mois de janvier, il faisait - 20 degrés. »

Désemparé, Elie a été accueilli par sa grande sœur dans la trentaine, qui habitait la métropole depuis plusieurs années. En plus d’être mère seule de deux enfants, cette dernière avait déjà la garde de trois autres gamins ; tous des membres de la famille éloignée. Financièrement, ce n’était pas simple.

Quand le garçon est rentré de l’école un bon jour, sa sœur n’était plus là : elle était partie avec ses deux enfants biologiques. « La gardienne qui nous surveillait est juste restée plus longtemps que prévu, relate-t-il. Elle a appelé la police plus tard parce qu’il n’y avait pas d’adulte pour s’occuper de quatre enfants du primaire. »

D’une famille d’accueil à l’autre

Elie, dont les souvenirs sont encore limpides à ce jour, explique avoir ressenti comme un soulagement.

« [Ma sœur] était vraiment stressée et quand elle était stressée, elle avait tendance à crier après nous, à nous frapper. Ce n’était pas agréable. Ce n’est pas que je ne l’aimais pas, mais son absence faisait du bien. »

« Je me demande vraiment pourquoi elle a fait ça, continue-t-il. Elle ne me l’a jamais expliqué et, honnêtement, je n’ai plus envie de lui parler. […] Mais à ce moment-là, j’ai réfléchi et je me suis dit : peut-être qu’elle a paniqué et qu’elle a juste explosé. »

Du jour au lendemain, le petit Elie et les trois autres enfants laissés derrière se sont retrouvés en centre d’accueil. Celle de son âge, Diane, est rapidement devenue comme une vraie sœur ; elle était son repère alors que le groupe passait de centres d’accueil en familles d’accueil, et ainsi de suite.

Elie s’est senti chez lui pour la première fois quand il s’est retrouvé chez Dominique Karera, qu’il appelle aujourd’hui « maman ».

Au début, je n’étais pas un enfant facile. En alternant entre les familles d’accueil et les centres d’accueil, j’ai commencé à être méchant par exprès avec certaines personnes. […] J’avais de la misère à faire confiance aux gens.

Elie Karojo

Quand Elie avait 8 ans, sa grande sœur a refait surface avec l’intention de récupérer les enfants qu’elle avait abandonnés quelques années plus tôt. Mais le jeune garçon n’était pas dupe.

« J’ai dit : “J’ai peut-être 8 ans, mais je ne suis pas con. T’es partie une fois, je n’ai pas envie de passer à travers ce processus-là une nouvelle fois.” »

Des quatre enfants, seuls Elie et Diane ont décidé de rester chez Dominique Karera. Chez elle, ils avaient enfin trouvé une famille.

Le basketball

C’est au secondaire que le basketball est entré dans la vie d’Elie Karojo. Le fait de se retrouver dans une équipe l’a rapidement aidé à se « rapprocher des gens », explique-t-il. Au sein du club de l’école Chomedey-De Maisonneuve, l’adolescent dominait.

« Le niveau était très faible, donc je croyais que j’étais bon, mais… Plus tard, j’ai réalisé que non », s’exclame-t-il dans un rire sympathique.

Caressant l’ambition d’un jour évoluer chez les professionnels, Elie a décidé de transférer à Jeanne-Mance, un programme « qui encadre vraiment les jeunes qui ont beaucoup de difficulté », résume-t-il. Mais sa bulle s’est vite dégonflée quand il a été retranché de l’équipe de division 1.

« Démoralisé et découragé », tant sur le terrain qu’en classe, Elie s’est mis à manquer ses cours la plupart du temps et à traîner avec de mauvaises influences. Il a eu des problèmes avec la police.

« Je regardais autour de moi et les gens faisaient pire que moi. Je me disais : ça va, je ne suis pas si pire que ça », se remémore-t-il.

Si Elie a réussi à se sortir de ce milieu, c’est en grande partie grâce à tous ces adultes qui l’ont tiré d’embarras, encouragé et soutenu.

Comme son entraîneur à Jeanne-Mance, qui s’est mis à venir le chercher chez lui tous les matins, à 6 h, pour se rendre à l’entraînement.

« J’ai commencé à y prendre goût, à mieux jouer au basket, à avoir une bonne routine. C’est vraiment pour ça que je suis reconnaissant, pour les gens qui m’ont encadré dans les moments où j’avais besoin d’encadrement. Et il y en a eu beaucoup. »

Plusieurs détours

Elie n’était cependant pas encore au bout de ses épreuves. En cinquième secondaire, le jeune homme avait comme objectif d’aller jouer dans la NCAA. Il a reçu des offres pour prendre part à des camps d’entraînement, mais il n’a pu obtenir sa citoyenneté canadienne à temps. Il a donc dû se tourner vers son plan B : le collège Montmorency.

Cette déception concordait avec l’année de ses 18 ans, où les enfants en famille d’accueil doivent voler de leurs propres ailes.

Je trouve ça vraiment stupide parce qu’à 18 ans, ce n’est pas tout le monde qui est prêt à partir de chez lui. Moi, je n’étais pas prêt.

Elie Karojo

Forcé d’habiter avec des amis du secondaire, Elie s’est encore une fois retrouvé sous l’emprise de mauvaises influences. Et, encore une fois, une âme charitable est venue à sa rescousse : son entraîneur, Tarik Shebani, lui a offert une chambre dans sa nouvelle maison.

« C’est la meilleure chose qui soit arrivée dans ma vie. Après ça, tout allait bien. L’école allait bien. On était une bonne équipe. »

Encore des malchances

Au cours des dernières années, Elie Karojo a fait face à toutes sortes d’épreuves au basketball. Tellement que même lui rit en nous les énumérant.

En janvier 2020, après une courte aventure à l’Université Carleton, il s’est joint à l’Université d’Ottawa ; les règles de transfert l’ont empêché de jouer, puis est arrivée la COVID-19. Pendant des mois, Elie s’est entraîné par Zoom. « Est-ce que ça vaut vraiment la peine ? », s’est-il demandé à quelques reprises.

Quand il est enfin retourné à Ottawa, en septembre 2020, notre protagoniste s’est fracturé le pied droit dès son premier match. « C’est sûr que c’est une joke », a-t-il pensé, découragé. Huit semaines plus tard, en décembre, il était fin prêt à revenir au jeu quand la COVID-19 a forcé la ligue U Sports à mettre la saison sur pause.

De retour à l’entraînement avec les Gee-Gees le 31 janvier 2021, Elie a fait un faux mouvement avec son pied. Résultat : huit semaines de rééducation. Encore.

Une fois celles-ci terminées, à la fin de la saison 2020-2021, le basketteur a eu un test positif à la COVID-19. « Je riais, parce que c’était juste ridicule », lance-t-il, amusé par ses propres infortunes.

Malgré le peu de matchs qu’il avait joués dans les campagnes précédentes, Elie a obtenu en 2022 un essai avec l’Alliance de Montréal. Celui-ci a été fructueux, et le Montréalais a été invité au camp d’entraînement, à la fin de mai. Là-bas, comble de malheur ; un coéquipier a pilé sur son pied, ce qui lui a fait faire un faux mouvement. Verdict : pied fracturé. Encore !

Opéré le 14 juin 2022, Karojo a donc vécu la première saison de l’Alliance sur les lignes de côté.

Au moment de sa rencontre avec La Presse, Elie était de retour avec l’équipe montréalaise pour le début du camp d’entraînement. S’il n’a pas percé l’alignement, c’est tout de même loin d’être le premier défi auquel il fait face.

Et puis, pour une fois, il est en pleine forme.

Mais surtout, il est heureux.

Les gens disent toujours : “Ton passé est difficile”. C’est le passé. Je suis juste content d’être là. D’être entouré de gens qui m’aiment, de bonnes personnes.

Elie Karojo

Avant qu’on ne ferme notre enregistreuse, il ajoute : « Je suis fier d’avoir traversé tout ça et d’être ici. »

Il y a de quoi être fier. Et de quoi sourire.