Il a faim. Il travaille fort. Et il a un but précis. Bennedict Mathurin, plus récente fierté montréalaise à intégrer la NBA, arrive chez les professionnels avec une mission : devenir le meilleur joueur de basketball possible. Du moins, c’est ce que nous disent des entraîneurs l’ayant côtoyé à différentes étapes de sa vie.

Repêché au sixième rang par les Pacers de l’Indiana en juin dernier, Mathurin a déjà brisé des barrières : il est devenu le Québécois sélectionné le plus haut dans l’histoire de la ligue. Avant lui, aucun espoir de la province n’avait été recruté au sein de la loterie, constituée des 14 premiers choix d’un encan.

« Avec lui, sky’s the limit », affirme Hernan Olaya, ancien entraîneur de développement et coordonnateur du recrutement à la NBA Academy de Mexico. Au bout du fil, Olaya manifeste un enthousiasme palpable lorsqu’on lui parle de Mathurin — un sentiment partagé par plusieurs entraîneurs l’ayant encadré.

Mercredi, le Québécois a enfilé son uniforme pour un premier match préparatoire avec les Pacers. Ce moment, celui où il foulera un terrain dans la grande ligue pour la première fois, il l’a en tête depuis longtemps. Depuis qu’il est gamin, dans les gymnases de Montréal.

« Je l’ai connu à l’âge de 8 ou 9 ans. C’était un petit maigrichon, baveux et ricaneur », se rappelle Nelson Ossé, responsable du programme de basketball Parc Ex, là où Mathurin a évolué dans sa jeunesse. « Il n’avait pas froid aux yeux : il jouait avec des jeunes quatre ou cinq ans plus vieux que lui. »

Il voulait toujours un peu plus que tout le monde. Il avait une vision.

Richard Addai, entraîneur à Parc Ex

Addai s’en souvient : en 2017, Mathurin a connu une impressionnante poussée de croissance. « Après ça, son athlétisme était flagrant. »

Six jours sur sept, le jeune basketteur voyageait 45 minutes en autobus. « Dès son jeune âge, il voulait faire quelque chose de spécial avec le basket, continue Nelson Ossé. S’il n’était pas le meilleur de son groupe, il était facilement dans les deux ou trois premiers grâce à son travail acharné et à sa volonté de s’améliorer. »

« Au début de sa deuxième année cadet, on lui a interdit de venir aux entraînements à cause de ses notes, complète Richard Addai. Il voulait tellement revenir qu’il a mis les efforts et il a réussi. »

Pas de cadeau

Bennedict Mathurin n’a pas souhaité parler avec La Presse dans le cadre de ce portrait. Mais comme il l’a récemment détaillé dans The Players Tribune, une plateforme où des athlètes peuvent s’exprimer sous forme de chronique, son enfance a été très difficile.

Lisez l’article publié dans The Players Tribune (en anglais)

« Plusieurs soirs, quand on allait se coucher, on entendait des coups de feu, a-t-il écrit. Il y avait plein de drogue et toutes sortes d’autres choses dans les rues où on vivait. Ce n’était pas facile. Je dirais que la chose la plus difficile là-dedans, c’est de trouver un chemin pour s’en sortir sachant que pas tout le monde ne va réussir. »

Voir ses amis morts ou en prison… ça a eu un gros impact sur moi.

Bennedict Mathurin

Vers la fin de l’école primaire, son grand frère Dominique est mort dans une collision à vélo avec une voiture. C’est en prenant soin de sa mère et de sa sœur, Jennifer, que le jeune Bennedict a surmonté cette épreuve terriblement dure.

« J’ai toujours voulu que le monde sache que c’était aussi le rêve de Dominique de se rendre à la NBA. C’était un rêve qu’on voulait réaliser ensemble. Je l’emmène partout avec moi dans cette aventure. Je refuse qu’il tombe dans l’oubli. »

En 2018, alors âgé de 16 ans, le jeune homme a été tiré de ce milieu en étant recruté par la NBA Academy. Ç’a été un tournant dans sa vie.

« Un ami du Québec m’a dit : “Man, tu dois venir tout de suite”, se souvient le responsable Hernan Olaya. Je suis venu le voir à un entraînement à Montréal dès que j’ai pu, et j’ai immédiatement vu son talent. Je lui ai dit : “Tu vas venir au Mexique avec moi.” Il m’a ri au visage, il me disait : “Je ne te connais pas.” Mais cette occasion ne se présenterait pas deux fois ! Alors trois jours plus tard, on était dans l’avion. »

Le Mexique, puis l’Arizona

Au Mexique, l’adaptation n’a pas été simple. Tout premier Canadien à faire le saut vers l’académie, Mathurin était au début le seul francophone. Ç’a été un choc culturel.

« Ses journées étaient dures, énumère Hernan Olaya. Deux entraînements, une séance de conditionnement, beaucoup d’étude pour être admissible à l’université… il n’avait pas de temps, il était en mission. »

Benn, il n’a peur de personne. Tu peux mettre Michael Jordan devant lui et il va foncer.

Hernan Olaya, ancien entraîneur de développement et coordonnateur du recrutement à la NBA Academy

Mais si ses premiers mois ont été plus complexes, la suite n’a été qu’une pente ascendante.

« Il a changé complètement, note Olaya. Il est devenu un leader, il était plus amical. Il sortait avec les gars en dehors des entraînements. »

Oumar Ballo, un grand centre de 7 pieds, est arrivé du Mali peu après le Québécois. Lui aussi francophone, il est devenu son cochambreur à l’académie.

« C’est un gars qui écoute beaucoup, raconte-t-il en entrevue. Il m’a aidé à grandir. Tu te retrouves dans un endroit, un pays étranger qui ne te ressemble vraiment pas. C’est difficile : tu ne connais personne, tu es le nouveau. Nous, on sortait visiter la ville ensemble. »

Recruté par Baylor et Arizona dans la NCAA, Bennedict Mathurin a choisi la seconde option. Chez les Wildcats, l’entraîneur adjoint Jack Murphy a eu la chance de le voir évoluer pendant deux saisons.

« [Encadrer Bennedict Mathurin] a été l’une des joies de ma carrière, autant sur le terrain qu’en dehors », affirme-t-il au bout du fil.

« Je l’ai littéralement vu dans le gym à toutes les heures de la journée : tôt le matin, en plein milieu du jour, ou tard le soir. Ça, c’est une marque de succès dans n’importe quelle industrie. »

Entre ses années freshman et sophomore, l’arrière de 6 pieds 7 pouces est passé d’un bon joueur de soutien à la première option offensive d’une université prestigieuse. Nommé joueur de l’année 2021-2022 dans la conférence PAC-12, il y a affiché des moyennes impressionnantes de 17,7 points, 5,6 rebonds et 2,5 passes décisives en 37 matchs. Il avait aussi remporté le championnat PAC-12 la saison précédente.

Il est l’un des meilleurs joueurs de l’histoire de l’Arizona. Il a un héritage fort, qui va juste continuer de grandir.

Jack Murphy, entraîneur adjoint des Wildcats de l’Arizona

« Benn, c’est un leader naturel, termine Oumar Ballo, qui l’a également côtoyé chez les Wildcats. Il ne parle pas beaucoup, mais quand il le fait, les gens l’écoutent parce qu’on sait qu’il est sûr de ce qu’il dit. »

« C’est un gars qui n’avait rien, et qui a travaillé pour tout. Il est une source d’inspiration pour moi et pour le monde. »

Selon ses entraîneurs, Bennedict aura pour objectif d’être le meilleur joueur possible. Nelson Ossé le voit devenir l’un des « deux ou trois joueurs clés pour l’avenir des Pacers ». Pour Richard Addai, il sera « quelque chose de spécial ».

« Benn, avec son talent, veut être le meilleur joueur de la NBA », pense quant à lui Hernan Olaya.

« Je ne sais pas si ça va se réaliser. Mais j’ai appris à ne pas douter de lui. »