Qui est réellement Lance Armstrong? Comment a-t-il pu mentir effrontément pendant des années? C'est la question que s'est posée la journaliste Juliet Macur, qui publie ces jours-ci un livre fouillé sur l'homme derrière le cycliste. La Presse s'est entretenue avec elle. Attention, le portrait n'est pas joli.

Par les temps qui courent, Lance Armstrong passe ses journées à jouer au golf. Le cycliste déchu attend patiemment de pouvoir un jour recommencer la compétition car sans elle, il n'est rien. Son rêve? Remporter le championnat du monde Ironman.

Bien sûr, Lance Armstrong a des regrets. Celui de s'être fait prendre. Celui d'être banni à vie du cyclisme compétitif. Celui d'avoir trahi des millions d'Américains qui croyaient en lui comme en un demi-dieu. Mais d'avoir menti, Armstrong ne le regrette pas un instant.

«Tout le monde aurait menti à ma place», dit-il dans Cycles de mensonges, un bouquin sorti ces derniers jours et qui pourrait bien être le livre définitif sur la terrible imposture Lance Armstrong.

L'ouvrage écrit par la journaliste du New York Times Juliet Macur est le plus complet à ce jour sur l'homme derrière le cycliste. Et le portrait qu'elle dresse d'Armstrong n'est pas rose.

Il est celui d'un athlète qui a bâti son mythe sur le dopage, mais qui n'a pas su protéger son terrible secret. Il est celui d'un homme extrêmement dur avec ses amis comme ses adversaires, qui a entraîné sa propre chute en se créant des ennemis à force de mépris. Il est celui d'un amoureux calculateur, d'un fils souvent indigne. En bref, il est le portrait d'un homme méchant.

«Je suis surprise, car j'aurais pensé qu'il aurait des regrets d'avoir menti. Il a tout perdu. Il a perdu ceux qui le soutenaient. Il pourrait même perdre tout son argent dans des procès, explique Juliet Macur en entrevue. On pourrait croire que ces épreuves l'auraient rendu humble, mais on dirait que non.

«Ce qui est fascinant, c'est que cet homme a menti pendant tellement d'années sans vraiment ressentir quoi que ce soit. Je voulais expliquer comment Armstrong a pu devenir le plus grand menteur de sa génération.»

Le bouclier du cancer

Juliet Macur connaît bien Lance Armstrong. Elle entretient avec lui une relation en dents de scie depuis qu'elle a commencé à couvrir le cyclisme en 2004 pour le quotidien new-yorkais. Un jour, il a menacé de la poursuivre après la parution d'un article.

Après des années à lui refuser un entretien en tête en tête, Armstrong a finalement accepté pour le livre, mais seulement après être passé aux aveux devant l'animatrice Oprah Winfrey.

Juliet Macur s'est donc rendue chez lui, à sa maison d'Austin, au Texas, au printemps 2013. La propriété de 10 millions de dollars était jonchée de boîtes de carton. Le cycliste déménageait dans une résidence plus humble, conforme à son nouveau statut de champion déchu; une maison à 2 millions, tout de même.

«Je sais qu'il a accepté de s'entretenir avec moi uniquement parce qu'il pense pouvoir contrôler le contenu de mon livre», écrit la journaliste.

Mais Armstrong n'a pu contrôler le contenu du livre, tout comme il n'a pu maîtriser la trajectoire de sa carrière.

Le récit de Macur commence à l'enfance. Le premier mensonge d'Armstrong s'articule autour de ses débuts. Lui et sa mère, Linda, ont construit une genèse de sa jeunesse, où l'athlète aurait été élevé seul par sa mère dans la pauvreté. Ce qui est faux, démontre la journaliste.

Le mythe Armstrong a ensuite pris sa pleine dimension après son cancer des testicules diagnostiqué en 1996 alors qu'il avait 25 ans. Il avait déjà commencé à se doper, dès 1993. Il a continué à le faire après, mais mieux. Il a pris de la testostérone, de la cortisone, de l'EPO, a eu recours à des transfusions sanguines. Il a remporté au passage sept fois le Tour de France, entre 1999 et 2005.

À ceux qui l'accusaient de dopage, il opposait le bouclier du cancer. «Après ma chimio, je trouvais répugnante l'idée d'introduire des corps étrangers dans mon organisme», écrivait-il dans son autobiographie, Il n'y a pas que le vélo dans la vie. «J'ai eu le cancer, je ne me doperais jamais», répétait-il aux sceptiques. C'était faux, bien sûr.

Les mensonges se sont poursuivis jusqu'à la fin. Macur note qu'il est loin d'avoir tout dit lors de son entrevue de janvier 2013 avec Oprah. Il a gardé des pans secrets, a énoncé des demi-vérités.

Revenir à la compétition

Cycles de mensonge est donc le récit d'une imposture. Mais il est aussi le portait d'un homme colérique et méchant. L'auteure avance qu'Armstrong aurait pu éviter sa chute s'il avait été simplement gentil, notamment avec Floyd Landis, le premier cycliste d'importance à passer aux aveux.

«Il le réalise, il sait que les choses auraient pu être différentes s'il avait été plus gentil avec Floyd Landis. Landis a ouvert la brèche par laquelle le gouvernement fédéral s'est engouffré pour commencer son enquête», rappelle Juliet Macur.

«Je lui ai parfois dit: «Tu sais, Lance, tu devrais être plus gentil avec les gens.» C'est le genre de leçon qu'on apprend en deuxième année du primaire. Mais il n'a jamais compris qu'il devait être gentil avec ceux qui connaissaient son secret. C'est là la principale erreur de Lance Armstrong.»

Au final, il aura été méchant avec tant de proches que ceux-là n'ont pas hésité à le balancer. Et à la fin, maintenant qu'il pourrait perdre ses millions et a déjà perdu son nom, Armstrong semble plus seul que jamais.

Macur a demandé à Armstrong de lui fournir une liste de personnes proches qui pourraient dire du bien de lui pour le livre. La journaliste espérait ainsi pouvoir dresser un portrait plus nuancé du cycliste. Mais de la liste, personne n'a accepté de parler de lui. Même son ex-femme. Même sa mère, à qui Armstrong a pourtant demandé de le faire, a refusé.

«Ça va très mal lorsque notre propre mère refuse de nous rendre un service qu'on lui demande. Ça en dit long sur leur relations, note Juliet Macur, qui estime que tout le feuilleton Armstrong est «une triste histoire».

L'homme de 42 ans se raccroche à un seul espoir, celui de renouer avec la compétition. Il a été banni à vie du cyclisme en août 2012 par l'agence américaine antidopage. Mais ses avocats font valoir qu'il ne pourra être tenu à l'écart des compétitions de triathlon que pendant deux ans encore. Il aura donc 44 ans au mieux lorsqu'il pourra se présenter à un Ironman.

Lance Armstrong est tombé de son piédestal. Il a été déchu de ses sept titres au Tour de France. Mais l'athlète estime qu'il n'a pas encore fini de se battre. Il veut une fois de plus goûter à la compétition, son adrénaline lui manque, tout comme l'euphorie de la victoire. Gagner, c'était tout pour lui. Pour le meilleur et pour le pire.