Voler la vedette au gagnant du Tour de France, il faut quand même le faire. Chris Froome et les têtes d'affiche du Grand Prix cycliste de Québec venaient de terminer leur conférence de presse quand David Veilleux est arrivé au Château Frontenac. Son agenda médiatique était presque aussi rempli que celui du ministre Bernard Drainville la veille.

Très tôt en matinée, Veilleux avait annoncé son retrait de la compétition après les courses World Tour de Québec (demain) et Montréal (dimanche). À 25 ans, après son premier Tour de France, au sommet de sa notoriété et à l'orée de son apogée physiologique.

«Es-tu surpris?» m'a-t-il lancé avec un grand sourire, amusé de son effet. Pas de voler le show, ce n'est surtout pas son genre. Plutôt d'avoir pris les journalistes au dépourvu: «Tu me posais toujours des questions là-dessus...»

Surpris, pas tant que ça, donc. La retraite, David Veilleux en parle depuis longtemps.

En 2010, à l'aube du tout premier Grand Prix de Québec, il avait profité d'un détour près de chez lui, à Cap-Rouge, pour m'annoncer qu'il tirerait sa révérence après les Jeux olympiques de Londres. Il avait 22 ans, déjà d'excellents résultats et un avenir prometteur.

Quelques mois plus tard, il a signé un contrat avec Europcar. Il n'est finalement pas allé à Londres - le Canada était limité à un représentant -, mais il a pris part aux grandes classiques dont il rêvait à l'adolescence: Paris-Roubaix, Tour des Flandres, Milan-San Remo.

Dans le milieu, le bruit de sa retraite imminente courait depuis l'an dernier. L'éloignement lui pesait. «Cette année, j'ai été en Europe de janvier à juillet. C'est très long», souligne-t-il. Les sacrifices étaient lourds. «L'entraînement, il faut tout calculer, la nutrition, la récupération. On a ça en tête 365 jours par année. J'aime encore le vélo. Mais pour être à ce niveau-là, les sacrifices étaient trop importants pour avoir encore du fun.»

Son Tour de France achevé, une première pour un Québécois, et sa victoire d'étape au Critérium du Dauphiné, accompagnée d'un maillot jaune, lui ont offert un sentiment d'aboutissement.

«J'ai passé 10 ans dans le vélo de route, insiste-t-il. Ç'a été des années formidables. J'ai appris énormément, je me suis accompli, je me suis prouvé là-dedans. Mais j'ai toujours continué d'aller à l'école parce que je savais qu'il y avait une vie après ça. Le vélo, ce n'est pas tout. Je l'ai toujours fait, justement, en respectant mes valeurs, pour avoir du plaisir et me dépasser.»

Chez Europcar, son équipe depuis trois ans, personne n'avait vu venir le coup. Veilleux a annoncé la nouvelle à ses coéquipiers peu après leur arrivée à Québec, mardi soir. Le reste du staff a été mis au courant lors d'un souper au restaurant. «Il faisait partie des piliers de l'équipe», assure son massothérapeute Blaise Chauvière, un proche qui fut pris au dépourvu. «Au Tour de France, tout le monde était satisfait de lui. Après trois ans en Europe, l'adaptation, ce qui est plus dur, était faite. Il était parti.»

Veilleux a dû s'y prendre à plusieurs reprises avant d'obtenir la communication avec Jean-René Bernaudeau, le manager d'Europcar qui ne débarquait à Québec qu'hier. Ça voulait dire: patience, on discutera de contrat plus tard cette semaine... «Il était vraiment surpris, sourit Veilleux. Il était content pour moi, il comprend ma décision.»

Le futur retraité a entrepris un baccalauréat en génie mécanique il y a cinq ans à Polytechnique. Il aura besoin de deux autres années à temps plein pour le terminer à l'Université Laval.

Il y a deux semaines, il a épousé Émilie Coulombe, sa blonde de toujours. Chaque printemps, invariablement, on les voyait ensemble lors de la remise de bourses de la Banque Nationale, dans le cadre d'un programme de la Fondation de l'athlète d'excellence. La force de leur union, à un si jeune âge, était frappante.

Les nouveaux mariés viennent de s'installer dans leur maison. Comptable agréée, Émilie Coulombe fait ses gammes dans l'entreprise familiale, dont elle veut prendre la relève. Les deux ne voulaient plus vivre séparés. Ça aussi, ça compte.

David Veilleux dit s'être laissé gagner par les émotions à une ou deux reprises dans la journée, sans plus. Sa décision est mûrement réfléchie et il ne craint «vraiment pas» de la regretter. «Je ne suis pas forcé de prendre ma retraite parce que je n'ai pas de résultats ou que je m'accroche à un rêve qui n'existe plus. C'est un choix personnel. J'aime encore le vélo, je vais m'impliquer, mais de façon différente, auprès des jeunes.»

Avec son mariage et ses cinq cours à l'université, il admet ne pas avoir eu le temps de bien se préparer pour les deux dernières courses de sa carrière. Il les aborde donc avec «un grain de sel» et les voit comme une façon de remercier ceux qui l'ont accompagné.

Dans un monde où les personnalités affirmées et colorées abondent, David Veilleux s'est toujours démarqué par sa discrétion. On peut dire qu'il s'est repris pour sa sortie.