Ballotté aux quatre coins du globe pour exercer son métier de cycliste, Charles Dionne a de plus en plus le mal du pays. Au point où, à 31 ans, il songe sérieusement à la retraite. Le Grand Prix cycliste ProTour de Québec, présenté demain, pourrait être sa dernière grande course. Ça tombe bien, c'est à deux pas de chez lui. Retour sur sa carrière.

Le vélo tout carbone De Rosa est accoté sur une colonne de l'entrée principale du bungalow de Sainte-Foy. Pas besoin de vérifier l'adresse, on est bien chez Charles Dionne. À l'évidence, les voleurs sont rares par ici. Le cycliste de 31 ans nous attend pour une reconnaissance du parcours du Grand Prix ProTour de Québec, tracé qu'il connaît par coeur pour s'y entraîner presque quotidiennement.

Charles nous présente Cynthia, sa blonde depuis 15 ans, et leurs «deux petits paquets», Naomie, 2 ans, et Léa, 6 mois. En cette journée où un soleil de plomb s'annonce, le papa s'inquiète de la casquette un peu trop petite de Naomie, qui part pour sa première journée à la garderie. «Va donc pédaler!» le tance gentiment Cynthia.

Papa poule, Charles Dionne? Chose certaine, il prend son rôle à coeur, et se verrait bien père à la maison d'une famille encore plus nombreuse une fois sa carrière terminée. Car il a beau se dire «plus en forme en jamais», il sent la fin approcher, peut-être même cette année. Même si rien n'est décidé, ce Grand Prix présenté demain pourrait être sa dernière grande course à vie. «Je le sais, toute la famille le sait aussi», dira-t-il un peu plus tard.

Pourquoi se retirer alors qu'il pense avoir encore plusieurs bonnes années dans les jambes? Le blues des voyages, tout simplement. «Être dans un motel à l'autre bout du monde, loin de la famille, il n'y a rien de plaisant là-dedans», résume-t-il.

Même une offre alléchante de son équipe Fly V Australia, qui a des aspirations ProTour, ne le ferait pas flancher. Cela impliquerait de déménager la famille en Europe, ce qu'il n'est pas prêt à faire.

Professionnel depuis une dizaine d'années, Charles Dionne est apparu comme un météorite dans le paysage médiatique. Le 15 septembre 2002, devant un demi-million de personnes, il a remporté le Grand Prix de San Francisco, à l'époque l'une des deux courses d'un jour les plus prestigieuses en Amérique.

Le petit gars de Saint-Rédempteur, alors âgé de 22 ans, avait causé la surprise en s'imposant face à un petit groupe de coureurs aguerris, dont nul autre que Lance Armstrong, ce qui avait frappé l'imaginaire. Dionne avait lui-même pris les choses en main pour empêcher Armstrong de filer seul vers la victoire. Un Armstrong hors saison, mais Armstrong quand même. Le Texan venait de gagner le quatrième de ses sept Tours de France.

Ça demeure le plus beau souvenir de la carrière sportive de Charles Dionne. D'autres suivent de près: cette deuxième victoire en solo à San Francisco, deux ans plus tard; ces deux étapes remportées devant les siens à Québec au Tour de Beauce de 2005 et de 2009; sa participation aux Mondiaux de Zolder, en 2002, à titre d'unique représentant canadien. «Mais les enfants, ça bat tout ça, et de loin», insiste-t-il.

Charles Dionne a toujours été étiqueté comme un sprinter, ce qui le fait bien sourire. Il rappelle que ses plus belles victoires ont été décrochées solo. Mais comme tout bon sprinteur, il ne laisse personne indifférent. Coureur agressif, il ne s'en laisse pas imposer. Impliqué dans quelques chutes spectaculaires, il a souvent été montré du doigt. Et il ne s'embarrasse pas de la langue de bois.

Certains coureurs le détestent carrément. Dionne le sait très bien: «C'est comme pour Lance: il y en a la moitié qui l'aiment et la moitié qui l'haïssent à mourir. J'ai mon cercle à la maison et de la famille en masse qui m'aime.»

Il concède néanmoins que son tempérament s'est adouci au fil des années. «Quand on arrive, on est plus jeune, plus baveux. À un moment donné, on vieillit, on est moins baveux. On comprend que c'est le même monde qui revient. (...) Mais pour d'autres, c'est pas compliqué, ils sont jaloux, c'est tout. On ne m'enlèvera pas que tout ce que j'ai eu, j'ai travaillé pour.»

Pédaler, Charles Dionne le fait depuis qu'il a deux ans et demi. Il a été initié à la compétition par des voisins dans sa ville natale de Saint-Rédempteur. Il a commencé le BMX à 7 ans. Il s'est mis au vélo de route vers l'âge de 15 ans. Très vite, le rêve du Tour de France s'est formé. Quand il roulait dans la neige, c'est à ça qu'il pensait. Il s'en est approché quand il a signé un contrat avec l'équipe espagnole Saunier Duval en 2006. Une sérieuse blessure l'a ralenti et il a dû se faire opérer.

Parallèlement, le rêve s'est décomposé. «Il y a eu l'opération, mais ça ne me tentait pas de retourner l'année d'après», dit-il en grimpant la côte Du Verger, à Sillery. «C'est le dopage. Je n'étais pas intéressé à faire ça.» Il n'y a pas eu d'incitations spécifiques, mais Dionne sentait que ça s'en venait. «Tout le monde a compris en 2008 quand les coureurs de Saunier Duval se sont faits pogner un après l'autre.»

Déçu, oui, mais pas désabusé par ce court séjour européen: «Ça ne prendra pas une grande place dans mes mémoires du vélo.»

À son retour en Amérique du Nord, les coups d'éclat ont été beaucoup moins nombreux. Depuis trois ans, ses victoires se sont limitées au circuit québécois. Dionne affirme néanmoins connaître une excellente saison 2010, rappelant les succès collectifs de Fly V sur le circuit américain. «Il faut comprendre que c'est une équipe australienne. Alors 80% du temps, je travaille pour mes coéquipiers.»

Le métier de cycliste sur le circuit américain n'est pas de tout repos, particulièrement pour un Québécois, dont les frais de voyage sont toujours plus élevés à assumer pour une équipe. «On doit marcher deux fois plus qu'un Américain», souligne Dionne. Il s'estime néanmoins privilégié, n'ayant jamais eu à se taper le calendrier de A à Z. «Souvent, je ne participais qu'aux grands événements. Je ne connais qu'un autre coureur qui était aussi privilégié. C'était Mark McCormack, qui avait aussi des enfants.»

Athlète au tempérament entrepreneur, Dionne est copropriétaire d'un centre Énergie Cardio dans la région de Montréal. Il aimerait bien répéter l'expérience à Québec. Toujours soutenu par les médias locaux, Dionne souligne aussi l'appui indéfectible de Cascades, qui le soutient financièrement depuis une dizaine d'années. Si bien qu'il peut envisager une éventuelle retraite avec sérénité. «Ça fait longtemps que j'y pense. Depuis que j'ai 18 ans que je pense à des plans A, B et C.»

Demain, Charles Dionne portera les couleurs de l'équipe canadienne. Dans ce qui pourrait être son dernier acte sur un vélo, il voudra tirer son épingle du jeu devant les siens. Après, Naomie et Léa pourront avoir leur papa tout à elles.