Après s’être accrochée à son poste malgré la pluie de critiques qui déferlait sur l’organisation, la présidente du conseil d’administration de Hockey Canada a finalement remis sa démission.

La présidence du C.A. est ainsi à pourvoir pour la deuxième fois en un peu plus de deux mois. Andrea Skinner assurait l’intérim depuis le début du mois d’août, moment où le président précédent, Michael Brind’Amour, s’était lui-même retiré au terme de mois de tourmente ininterrompue pour l’organisation.

Peu connue du grand public, Mme Skinner, avocate de Toronto et ex-hockeyeuse universitaire, s’est retrouvée sous les projecteurs mardi dernier. Au cours d’une comparution difficile devant le Comité du Patrimoine canadien, à Ottawa, elle a férocement défendu son organisation, affirmant notamment que Hockey Canada était un « bouc émissaire » alors que la puissante organisation traverse une crise majeure.

Elle s’en est notamment prise aux médias et à la classe politique pour le traitement des révélations des derniers mois, dénonçant même de la « désinformation ». Elle a aussi salué le travail de Scott Smith, président et directeur général de Hockey Canada, lui-même sommé par le Parlement, à commencer par le premier ministre Justin Trudeau lui-même, de remettre sa démission.

« Après mûre réflexion et à la lumière des évènements récents, il ne me paraît plus raisonnable de continuer à donner mon temps bénévolement à titre de présidente intérimaire ou d’administratrice pour l’organisation », a écrit Mme Skinner dans une déclaration transmise aux fédérations provinciales samedi soir, puis publiée sur le site web de Hockey Canada.

Mme Skinner écrit avoir eu la « ferme intention », en briguant un poste au C.A. en novembre 2020, de « rendre le hockey plus sécuritaire, accessible, inclusif et accueillant ».

SAISIE D’ÉCRAN DU SITE DE HOCKEY CANADA

Déclaration d’Andrea Skinner, présidente intérimaire du C.A. de Hockey Canada, qui a démissionné de son poste samedi soir

Depuis le mois de mai, Hockey Canada tente de justifier sa gestion des contrecoups d’un viol collectif qu’auraient perpétré huit joueurs d’âge junior en juin 2018. Le printemps dernier, la fédération nationale a prestement conclu une entente à l’amiable avec la femme qui en aurait été victime après que celle-ci eut déposé une poursuite au civil contre ses possibles agresseurs, la Ligue canadienne de hockey et Hockey Canada.

Cette histoire est devenue une véritable boîte de Pandore pour l’organisation. Le Globe and Mail a révélé l’existence de deux fonds méconnus, en partie alimentés par les cotisations des jeunes joueurs et joueuses de partout au pays, dont la mission était notamment de dédommager les victimes d’agression sexuelle. On sait que l’un d’eux, le Fonds d’équité nationale, a été utilisé précisément à cette fin. De 1989 à 2022, en puisant dans différentes sources de financement, Hockey Canada a versé des millions de dollars à 22 victimes, a-t-on appris pendant l’été.

Différentes pratiques ou décisions de Hockey Canada ont également été mises en lumière au fil des semaines et des mois. La fédération s’est satisfaite d’un rapport incomplet produit par une firme chargée de mener une enquête sur l’agression alléguée de 2018. Elle a diffusé de fausses informations au public sur celle qui en aurait été victime. Elle a aussi fait circuler chez les parents de joueurs un sondage leur demandant s’ils jugeaient « exagérées » les critiques exprimées dans les médias.

La Presse a par ailleurs dévoilé, vendredi dernier, que Hockey Canada s’était adressé aux tribunaux pour empêcher le gouvernement fédéral de divulguer des informations financières délicates pour l’organisme.

Stabilité

Devant les parlementaires, mardi dernier, Andrea Skinner avait livré un plaidoyer pour la « stabilité » en temps de crise.

Elle répondait ainsi aux critiques répétées et quasi unanimes des politiciens et commentateurs, mais aussi à celles des fédérations provinciales qui tapaient du pied depuis un bon moment. Les 13 associations membres avaient envoyé une lettre en août dernier signifiant à Hockey Canada leur mécontentement quant à la gestion de l’organisme. Elles menaçaient de cesser de lui verser leurs cotisations si un véritable mécanisme de reddition de comptes n’était pas mis sur pied.

Au début de la dernière semaine, appuyée par les principaux partis représentés à la Chambre des communes, la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, a réclamé un « ménage » au sein de la direction et du conseil d’administration.

Devant le Comité du Patrimoine, Andrea Skinner a souligné que les neuf membres du C.A. – dont elle-même – devaient être réélus au cours des prochaines semaines. Elle a ajouté ne pas avoir encore décidé si elle briguerait ou non un nouveau mandat. Elle a néanmoins insisté sur le fait que « détruire » Hockey Canada en faisant le ménage complet de ses administrateurs et gestionnaires aurait inévitablement un « impact » sur « les filles et les garçons qui jouent au hockey au Canada ».

« Les lumières resteront-elles allumées à l’aréna ? », s’est-elle demandé, une déclaration instantanément dénoncée.

Elle a aussi attribué un « A » au PDG Scott Smith pour son travail au cours des derniers mois. Pendant l’été, M. Smith s’est lui-même retrouvé à deux reprises devant les Communes. Mal préparé, il avait donné peu de réponses aux parlementaires sur la culture organisationnelle à Hockey Canada.

Le soir même de la comparution de Mme Skinner à Ottawa, Hockey Québec a mis ses menaces à exécution : son C.A. a voté une résolution dans laquelle elle retirait expressément sa confiance envers Hockey Canada, annonçant du même coup qu’elle interromprait jusqu’à nouvel ordre le versement des cotisations de ses membres.

Les fédérations de la Nouvelle-Écosse et de l’Ontario ont rapidement signifié leur intention de faire de même, tandis que Hockey Manitoba a appelé à un « changement de leadership ».

Au cours des derniers jours, des commanditaires majeurs, notamment Esso, Canadian Tire, Tim Hortons, Telus et Nike, ont également largué Hockey Canada. L’organisme est par ailleurs privé de subventions gouvernementales depuis des mois.

Et maintenant ?

Au cours d’une réunion d’urgence tenue par les fédérations provinciales jeudi soir dernier, les dirigeants de Hockey Canada « se sont clairement fait dire de lâcher prise », a rapporté Martin Leclerc, chroniqueur à Radio-Canada.

C’est finalement ce qu’a fait Mme Skinner samedi soir.

On se doute que les lumières resteront bel et bien allumées dans les arénas du pays, mais la suite des choses n’est pas limpide pour autant. Pour le moment, on ne sait pas si les autres membres du C.A. démissionneront eux aussi ou s’ils termineront leur mandat bientôt échu. On ne sait pas davantage si des administrateurs brigueront une réélection.

Les élections viennent d’ailleurs d’être retardées, a appris le réseau CBC. D’abord prévues pour le mois de novembre, les voilà reportées au 17 décembre. Selon la société d’État, une revue de gouvernance menée par l’ex-juge de la Cour suprême Thomas Cromwell a notamment conclu que des changements au processus d’élection devaient être apportés. Parmi ses multiples mandats, le nouveau C.A. devra décider, s’il est toujours en poste, du sort de Scott Smith à la direction de l’organisme.

On peut se demander si d’autres changements ne sont pas à prévoir rapidement. Le président de la Fédération internationale de hockey sur glace (FIGH), Luc Tardif, a en effet confié à RDI être « très inquiet » pour le sort du Championnat mondial junior, qui doit avoir lieu dans les provinces maritimes en décembre et janvier prochains. Si les commanditaires ne sont pas de retour, le sort de l’évènement devient très incertain. La FIHG n’a « absolument pas de plan B », a ajouté M. Tardif.