Hockey Canada est un « bouc émissaire ». Les appels à la démission de ses dirigeants sont basés sur de la « désinformation ». Les médias n’ont pas décrit « fidèlement » les mécanismes de fonctionnement de l’organisme. Personne n’a agi de manière « inappropriée » et la fédération nationale a besoin de « stabilité » à sa tête si elle veut implanter des changements durables dans sa culture et dans celle du hockey.

La présidente intérimaire du conseil d’administration de Hockey Canada, Andrea Skinner, a sèchement rejeté les critiques qui pèsent sur les membres du Conseil ainsi que sur la haute direction de l’organisme. Avec son prédécesseur Michael Brind’Amour, qui a démissionné de son poste de président du C. A. au mois d’août dernier, Mme Skinner a comparu pendant deux heures devant le Comité permanent du patrimoine canadien, à Ottawa.

Les parlementaires des quatre principaux partis représentés aux Communes l’ont criblée de questions concernant notamment l’entêtement du C. A. à garder en place le président et directeur général Scott Smith, alors que même le premier ministre Justin Trudeau a appelé à son départ. Mme Skinner accorde pourtant un « A » au PDG.

Le printemps dernier, Hockey Canada a prestement conclu une entente à l’amiable avec une jeune femme qui maintient avoir été violée par huit hockeyeurs d’âge junior en juin 2018. La victime alléguée avait intenté une poursuite au civil de 3,55 millions de dollars.

Depuis que l’affaire a été rendue publique, une série de nouvelles révélations, rendues possibles en grande partie par le travail des médias, a choqué le public et la classe politique. On a notamment appris l’existence de deux fonds destinés, sans s’y consacrer exclusivement, à dédommager des victimes d’agression sexuelle. Depuis 1989, des règlements ont été conclus avec 22 personnes.

La fédération s’était satisfaite d’un rapport incomplet produit par une firme chargée de mener une enquête sur l’agression alléguée. Hockey Canada a diffusé de fausses informations au public sur la victime alléguée, arguant notamment qu’elle n’avait jamais collaboré avec la police, ce qu’elle a pourtant fait. Au cours des dernières semaines, Hockey Canada a en outre fait circuler chez les parents de joueurs un sondage leur demandant s’ils jugeaient « exagérées » les critiques exprimées dans les médias.

L’organisme souhaite « changer le narratif » autour de ce scandale, affirme-t-on dans le procès-verbal d’une récente réunion du C. A. selon le député néo-démocrate Peter Julian. « Les ententes hors cour doivent être perçues positivement », ajouterait-on dans ce document. Hockey Canada a d’ailleurs embauché la firme de relations publiques Navigator pour l’aider à gérer la crise qu’il traverse depuis des mois.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE HOCKEY CANADA

Andrea Skinner, présidente intérimaire du conseil d’administration de Hockey Canada

De tout cela, Mme Skinner retient que Hockey Canada a toujours agi dans l’intérêt de la victime alléguée, et que la version des faits diffusée dans les médias est inexacte.

À propos des appels quasi unanimes à la démission de Scott Smith, elle rétorque que « notre C. A. ne partage pas [ce] point de vue […] qui est basé sur ce que l’on considère comme de la désinformation ». Elle montre aussi du doigt une « attaque excessive et cynique ».

Elle s’est également navrée de la description qu’a faite le Globe and Mail, plus tôt cette semaine, du « Fonds en fiducie pour l’héritage des participants ». Citant des documents de cour, le quotidien torontois a expliqué que ce fonds avait été créé pour traiter les réclamations non couvertes par l’assureur de l’organisme découlant d’évènements survenus de 1986 à 1995 – ce qui pouvait inclure, sans s’y restreindre, des cas de violence sexuelle. Le fonds devait être dissous en 2020, mais Hockey Canada a cherché à le renouveler jusqu’en 2039.

« Je crois que ce qui a été rapporté dans les médias ne reflète pas fidèlement la situation », a déploré Mme Skinner, qui a plus d’une fois affirmé qu’à sa connaissance, ce fonds n’avait pas servi à dédommager des victimes d’agression sexuelle – ce que n’avançait pas le Globe, par ailleurs.

Hockey Canada adopte les manières de [Donald Trump] en accusant la presse.

Anthony Housefather, député libéral

M. Housefather, dans un échange serré avec Mme Skinner, s’est également surpris que les administrateurs aient approuvé l’entente à l’amiable du printemps dernier sans connaître l’identité des agresseurs allégués et sans avoir en main une reconstitution exacte des évènements de 2018. Aucune trace n’existe, par ailleurs, de la réunion au cours de laquelle le C. A. a donné le feu vert à cette entente estimée à quelques millions de dollars.

« Comme avocate, est-ce que c’est quelque chose que vous suggéreriez à un client ? », lui a demandé M. Housefather, qui est aussi juriste de formation.

Tous derrière Smith

Tous les parlementaires ont tenté de savoir pourquoi le C. A. s’entêtait à garder en place Scott Smith à la tête de Hockey Canada. Au cours de deux audiences devant le Comité du patrimoine, M. Smith a lui-même réitéré qu’il croyait être l’homme de la situation pour changer la « culture » au sein de l’organisation et du hockey canadien. De l’avis de bien des observateurs, sa performance devant les Communes n’avait pas été très convaincante.

« Hockey Canada est-il plus intéressé à garder une stabilité ou à créer un changement culturel ? », s’est demandé la conservatrice Rachael Thomas.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Scott Smith

Andrea Skinner a répondu que les neuf membres du C. A. devaient être réélus au courant des prochaines semaines et que de « détruire » Hockey Canada avec un ménage complet de ses administrateurs et gestionnaires aurait un inévitable « impact » sur « les filles et les garçons qui jouent au hockey au Canada ».

« Les lumières resteront-elles allumées à l’aréna ? », a-t-elle ajouté.

À ses yeux, M. Smith et la haute direction n’ont jamais agi de manière « inappropriée », et le PDG demeure la meilleure personne pour implanter le « Plan d’action pour améliorer le hockey au Canada » dévoilé pendant l’été. Cette initiative, critiquée dès son lancement, crée déjà toutes sortes de maux de tête au sein des fédérations provinciales, qui réclament des directives claires.

Les députés se sont échinés à demander à Michael Brind’Amour si, oui ou non, il avait confiance en M. Smith. L’avocat québécois était encore à la tête du C. A. lorsqu’un vote de confiance « consensuel » a été formulé envers le PDG.

La présidente du Comité du patrimoine, Hedy Fry, a même dû sommer M. Brind’Amour de répondre à la question, qu’il a plusieurs fois esquivée.

« Oui », a-t-il finalement soufflé. « Je crois que M. Smith a les qualités requises pour faire un travail positif pour l’organisation, a-t-il ajouté. Il est rassembleur et sait s’entourer de personnes complémentaires à lui. C’est un travailleur. »

Andrea Skinner a essentiellement tenu les mêmes propos, ajoutant que M. Smith était « pleinement engagé » envers le plan stratégique de Hockey Canada. Le garder en poste n’empêche pas la mise en place de « changements significatifs », a-t-elle poursuivi.

« Si vous étiez enseignante, quelle note donneriez-vous à Scott Smith ? », a lancé Anthony Housefather à Mme Skinner.

« Je suis une évaluatrice sévère, mais je crois que les circonstances dans lesquelles M. Smith a travaillé sont extraordinaires et difficiles, a-t-elle répondu. Je dirais qu’il s’est conduit comme un A dans les circonstances. »

Dans son allocution de conclusion, le bloquiste Sébastien Lemire y est allé d’une charge à fond de train dirigée vers Mme Skinner et Hockey Canada.

« Je sens que vous êtes déconnectés de la population, a-t-il estimé. Vous vous convainquez entre vous que vous avez bien agi. Le C. A., normalement, a la responsabilité d’être un chien de garde [pour le public]. Là, vous agissez comme le bras exécutif et vous perpétuez une culture toxique. Vous accusez les médias et les politiciens de mal comprendre votre message. Mais nous, nous restons à l’affût des prochaines révélations. »