Si Georges Vézina pouvait lire La Presse+ ce matin, il rirait sûrement un peu de nous. Un débat sur les numéros ? Des chandails retirés ? Où donc s’en va le monde ?

Lorsqu’il a amorcé sa carrière avec le Canadien, en 1910, le Concombre de Chicoutimi ne portait même pas de numéro. C’était d’ailleurs le cas de tous les autres hockeyeurs, baseballeurs et footballeurs. Pourquoi ? Selon l’historien Peter Morris, les sportifs craignaient de ressembler… à des prisonniers !

Les spectateurs reconnaissaient donc les joueurs à leur coupe de cheveux, leur démarche ou leur physionomie. Pas toujours évident. Quelques équipes ont tenté des expériences. En 1879, le club de baseball de Worcester a demandé à ses joueurs de porter « un ruban de couleur d’un pouce de large » sur leur casquette. L’équipe vendait ensuite une feuille de pointage sur laquelle chaque joueur était identifié par la couleur de son ruban. C’est mort aussi vite que les cassettes 8-track.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Retrait du numéro 33 porté par Patrick Roy avec le Canadien de Montréal.

Ce n’est qu’à partir de 1911 que l’Association nationale de hockey – l’ancêtre de la LNH – a imposé le port des numéros. Une mesure annoncée sans tambour ni trompette. Pas une seule phrase dans La Patrie du lendemain.

Dans La Presse, deux petites lignes ont été ajoutées à la fin d’un texte sur des joueurs suspendus. « Il a été résolu que les joueurs soient numérotés afin de donner au public l’avantage de suivre plus facilement le jeu. Ces numéros seront portés sur le bras. »

C’était l’année du chandail blanc traversé d’une diagonale tricolore. Les numéros ont été cousus sur le bras gauche. Georges Vézina a hérité du 1. Jack Laviolette, du 3. Puis du 2. Puis du 7. Puis du 6. Visiblement, ce n’était pas important. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucune trace d’un monocle en or donné par Laviolette à Ernie Dubeau pour lui ravir son numéro 2.

Jusqu’à la mort de Vézina, en 1926, les joueurs portaient seulement des petits numéros. Le plus élevé ? 14. Et s’il y avait plus que 14 joueurs dans l’équipe ? Les substituts partageaient les maillots 10 à 14. C’est ainsi qu’en 1917, le tiers des joueurs – 6 sur 18 – ont porté le numéro 11.

Entre-temps, au baseball, de loin le sport le plus populaire de l’époque, la résistance se poursuivait. Les Indians de Cleveland ont tenté d’ébranler la tradition en 1916. Ça a duré… un match. Les numéros, posés sur les manches, étaient illisibles. Trop petits(1).

Dans les années 20, les Cardinals de St. Louis ont tenté l’expérience pendant deux saisons. Les numéros étaient attribués selon la position dans l’ordre des frappeurs. Les Yankees de New York ont repris le concept en 1929. C’est pourquoi Babe Ruth portait le 3 et Lou Gehrig, le 4. Les autres clubs de la Ligue américaine ont suivi. Mais pas ceux de la Ligue nationale. Ce circuit a même interdit cette pratique pendant plusieurs années.

Revenons à Vézina. De son vivant, le gardien du Canadien n’a jamais vu un chandail être retiré. La première fois que ça s’est produit, c’était en 1934. Pour le numéro 6 d’Ace Bailey, des Maple Leafs de Toronto. L’idée n’était pas tant de souligner ses exploits sur la glace que de lui rendre hommage. Cet hiver-là, Bailey a mis fin à sa carrière après avoir reçu un coup à la tête. C’est dans un contexte semblable qu’un premier chandail a été retiré dans le baseball majeur. Le 4, de Lou Gehrig, contraint à la retraite en raison de la sclérose latérale amyotrophique.

Ces cas restaient exceptionnels. Entre 1940 et 1970, savez-vous combien de chandails ont été retirés dans le baseball majeur ? Seulement 15. Au hockey, c’était encore plus rare. Seulement trois : Dit Clapper (5, Bruins), Eddie Shore (2, Bruins) et Maurice Richard (9, Canadien).

Aujourd’hui, c’est chose courante. Au cours de la dernière décennie, il y a eu plus de retraits de chandails dans la LNH que de marqueurs de 100 points. Le Canadien a 14 numéros retirés de la circulation. Les Leafs, 13. Et ce n’est rien comparé aux Yankees. Tous les chiffres de 1 à 10 sont retirés. Plus le 15, le 16, le 20, le 23, le 32, le 37, le 42, le 44, le 46, le 49. Complémentaire : 51.

PHOTO AMY SANCETTA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les nombreux numéros retirés par les Yankees sont installés au Monument Park, dans le Yankee Stadium.

Avec cette pléthore d’hommages, manquera-t-il bientôt de numéros à deux chiffres ? Faudra-t-il piger dans les centaines ? Le 666 pour le gardien des Devils ? Pourquoi pas ! Le temps est venu de brasser le cocotier une autre fois. De contester des dogmes centenaires.

Au baseball, les lanceurs continuent de bouder les petits chiffres. Dans la NBA, 14 numéros n’ont jamais été portés. Dans la NFL, aucune fantaisie n’est permise. Les numéros sont tous associés à la position. Dans la LNH, les joueurs sont plus audacieux. Ils optent sans complexe pour le 71 ou le 87. Le gardien québécois Martin Biron a même porté le 00 pendant trois matchs. Sauf que le système informatisé de statistiques exigeait des numéros entre 1 et 98. Biron a dû se contenter du 43.

Et si les numéros dans les centaines sont trop longs pour le dos de l’uniforme, autorisons au moins les fractions. Là, pas d’excuses. En plus, il existe un précédent.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Eddie Gaedel avec les Browns de St. Louis

En 1951, entre deux matchs d’un programme double, Eddie Gaedel – un nain – est sorti d’un gâteau en papier mâché pour souligner les 50 ans de la Ligue américaine. Je sais, c’est de mauvais goût. Une autre époque. Toujours est-il que l’équipe, les Browns de St. Louis, a étiré l’élastique très, très fort. Jusqu’à envoyer Gaedel au bâton lors de la deuxième partie. Sans blague. Gaedel a adopté une position accroupie. La zone des prises mesurait 3,8 centimètres. Évidemment, il a obtenu un but sur balles, avant d’être remplacé par un coureur suppléant. Ce jour-là, Gaedel est non seulement devenu le plus petit joueur de l’histoire des majeures, mais aussi le seul à avoir porté une fraction comme numéro.

1/8…

(1) L’anecdote est racontée par Peter Morris dans son livre A Game of Inches, paru aux éditions Ivan R. Dee.

Rectificatif

Dans ma chronique de vendredi, j’ai indiqué que les Alouettes n’avaient pas fait salle comble depuis neuf ans. En fait, il y en a eu une : le 2 octobre 2016, pour le premier match de l’entraîneur-chef Jacques Chapdelaine.