La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Aujourd’hui : Gilles*, 74 ans

Gilles a eu une vie sexuelle assez « débridée », sans jamais réussir à se caser. Or, depuis son cancer de la prostate, c’est le néant. Carrément « aride, désertique et monacal ». Entretien avec un homme qui n’a plus de désir, encore moins de plaisir, qui rêve désormais de tendresse. En vain.

« Les gens n’ont pas d’intérêt à me rencontrer, ils partent à courir », confie notre interlocuteur de 74 ans, un retraité aux airs de bohème, rencontré dans un chic café du Village, à deux pas de chez lui.

D’emblée, Gilles précise qu’il n’est pas malheureux. « Je ne suis pas là pour m’apitoyer sur moi-même, j’ai une belle vie, quand même », dit-il tout bas, entre deux gorgées de déca. Sous peu, il part d’ailleurs en voyage. Il a un bon train de vie, quoi. Gêné et un brin stressé, il n’est pas non plus trop sûr de savoir pourquoi il est là.

Il faut dire qu’il a voulu annuler, mais on a gentiment insisté. Pour cause : « J’aimerais faire voir des facettes que les gens ne voient pas. [Le cancer de la prostate], les gens ne réalisent pas ce que c’est. » Alors justement, parlons-en.

Il commence son récit à 6 ans. « Parce que dans ma chronologie, j’ai eu des attouchements », laisse-t-il tomber. Attention : « Il ne faut pas partir en peur avec ça, ajoute-t-il, ça n’a pas été la fin du monde. » Et non, il n’en a jamais parlé. Et on n’en saura pas davantage.

Sa vie sexuelle active débute à proprement parler à l’adolescence, avec un proche de la famille. « Je savais que j’étais attiré par les hommes, c’était assez évident », résume-t-il, sans s’éterniser non plus là-dessus.

Il le sait, mais ce n’est pas exactement ce qu’il veut, comprend-on. À preuve : à l’université, Gilles se marie avec une femme, mais pas à cause d’une quelconque « pression sociale », prend-il soin de préciser. Pourquoi, alors ? « Je ne veux pas être homosexuel, répond-il. Ce que je vois n’est pas édifiant, ce sont des hommes très efféminés… »

Je ne veux pas être ça…

Gilles, 74 ans

S’il couche avec elle ? Certes, « mais ce n’est pas [sa] tasse de café », précise-t-il en gloussant.

Et puis un an plus tard, coup de foudre, notre Gilles rencontre l’« amour ». Il divorce, et cette aventure dure quatre ans. On comprend qu’il vit enfin sa vie de gai, mais ce n’est pas tout rose non plus. Tout le contraire. « Il était tellement jaloux, ce n’était pas vivable. » Fin de l’histoire.

Voilà donc Gilles, début vingtaine, célibataire. C’est là qu’il vit enfin pleinement cette vie qu’il qualifie de « débridée », à la sexualité « élaborée », dit-il. Élaborée ? « Je rencontrais beaucoup et on faisait toutes sortes de cochonneries », illustre-t-il. Mais encore ? « La sexualité homosexuelle », résume-t-il simplement.

Il est attiré par les beaux gars (et ce ne sont pas nécessairement ses meilleurs coups, il y reviendra), il enchaîne les aventures d’une nuit, parfois plus, un an ou deux, ici ou là. Il étire même une relation sur 10 ans, mais au bout de quelques années à peine, il va voir ailleurs, son partenaire de même. Bref, il papillonne, comprend-on.

« C’était agréable, mais à un moment donné, je ne veux pas vivre ça toute ma vie, ça n’a aucun sens », réalise-t-il, mi-quarantaine. À la même époque apparaît une maladie qui le refroidit aussi.

« Alors je décide de me trouver un chum sérieux. Mais ce n’est pas facile de trouver quelqu’un pour avoir une relation stable ! »

À ce jour, il n’a jamais trouvé. Ce n’est pas tout : « Le pire qui me soit arrivé, autour de 60 ans, c’est un cancer de la prostate », ajoute-t-il, sans transition.

Gilles se fait tout à coup plus loquace. C’est que du jour au lendemain, sans crier gare, son corps change. Pas à moitié : « J’ai arrêté d’avoir des éjaculations. » Dans son cas, cela veut dire : « J’ai arrêté d’avoir de la jouissance. »

À noter qu’il y a différents types de cancers, différents traitements, et surtout différentes réactions. Le frère de Gilles, quant à lui, n’a pas eu le moindre effet secondaire. « Je ne savais pas que c’était un risque, mais ça n’aurait rien changé, précise-t-il. Je n’aurais pas mis ma vie en danger pour ça. »

Si vous voulez tout savoir, Gilles a toujours des érections, mais elles ne mènent nulle part. Imaginez le choc : « immense », confirme-t-il. « C’est immédiat. Et c’est sec, sec, sec… »

Je me suis senti diminué. [Perdre ses éjaculations], ce n’est pas anodin !

Gilles, 74 ans

Il a surtout senti que son corps et sa personne perdaient de leur attrait. « Les gens ne sont pas intéressés ! », répète-t-il, en signalant qu’il n’a fait aucune rencontre digne de mention depuis.

S’il a cherché de l’aide ? Non. « Mais il faut que je le dise : je n’étais pas trop malheureux, insiste-t-il. Parce que quand j’ai perdu cette faculté, j’ai aussi perdu le désir d’avoir du sexe, donc ça a aidé beaucoup. »

Comme si, sans jouissance, sa sexualité perdait à ses yeux tout son sens. « Il y a des hommes qui disent jouir à l’intérieur, moi, je ne comprends pas ça. » Il s’excuse d’être si cru, mais ajoute : « Oui, je me masturbe toujours, dans l’espoir d’éjaculer, mais ça ne donne rien. » Rien à comparer aux explosions de bonheur auxquelles notre homme était habitué, disons.

Cela fait plus de 10 ans et Gilles ne s’y fait pas. Ce n’est pas l’acte qui lui manque, on l’aura compris, mais surtout tout le reste. « Ce qui me manque, encore aujourd’hui, c’est la tendresse, les câlins ! C’est ça que je veux, mais on n’en trouve plus ! Les gens de mon âge, ils cherchent des gens qui ont la moitié de leur âge ! » Et oui, laisse-t-il tomber, il se sent seul. « Oui, par moments… »

Son cri du cœur ressemble à celui de tant de femmes du même âge. D’ailleurs, il a songé (un instant seulement) aller voir de ce côté. Mais non. « Mais il faut qu’il y ait un attrait ! Un homme homosexuel, ça a de l’attrait pour les hommes ! Il y en a qui sont bis, mais… pas moi ! »

Avec le recul, Gilles le sait : son mode de vie plus jeune lui a sans doute nui. « J’aurais peut-être dû m’arrêter à des gens qui en valaient la peine. Je me suis arrêté à ceux qui valaient moins la peine. » Alors si son histoire vous parle, retenez donc ceci, conclut-il en nous quittant : « Arrêtez d’aller d’une personne à l’autre ! Arrêtez-vous à quelqu’un ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.