La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Mathieu*

Mathieu souffre de paralysie cérébrale. Il est confiné à un fauteuil, ses quatre membres sont atteints, mais il a néanmoins des besoins tout à fait humains dont on parle encore bien peu. Et qu’on considère encore moins. Alors parlons-en.

« Certes, on commence un peu plus à en parler, mais… on est encore loin d’un mouvement qui mènerait à une nouvelle mouture d’Emmanuelle en chaise roulante, quoi », nous a-t-il écrit dernièrement. Un commentaire teinté d’humour et de réalisme qui a évidemment piqué notre intérêt.

L’homme de 40 ans à la plume aussi vive que le reste de son corps semble inerte nous a donné rendez-vous chez lui, pour des raisons évidentes : les lieux de rencontre avec une personne en situation de handicap ne courent pas les rues.

Installé dans son fauteuil, au milieu de son petit appartement dans un quartier central en ville (aux bons soins de préposés 24 heures sur 24, sept jours sur sept, faut-il préciser), il se révèle avec une verve insoupçonnée.

Comme on peut s’y attendre, au secondaire, je n’étais pas la coqueluche des filles.

Mathieu, 40 ans

Sa découverte de la sexualité se passe donc en mode solo. Si vous voulez tout savoir, non, il ne peut évidemment pas marcher, ses bras ont une mobilité « limitée », mais ne sont pas non plus immobilisés, et tout le reste fonctionne « très bien », merci.

« Cela va témoigner de mon âge, mais c’était avec Bleu nuit et des magazines », se souvient-il, en philosophant sur son état. « Je sais que je n’aurais jamais pu faire un remake d’American Pie : inviter une fille chez moi, et qu’elle soit attirée par moi… »

Certes, tenez-vous bien : c’est plus ou moins ce qui se produit plus tard à l’âge adulte, quoique de manière tout à fait inattendue.

Mi-vingtaine, Mathieu passe du temps avec une amie. « Ce qui est drôle, c’est que c’était une ancienne préposée qui ne travaillait plus pour moi, évidemment », précise-t-il. Ils vont voir des spectacles, jasent et, un beau jour, font un pique-nique. Or, ce jour-là, Mathieu est mal habillé. Au sens propre : « On m’avait mal mis mon pantalon, et elle, elle a les compétences pour m’aider », explique-t-il. Ce qu’elle fait : « Je vais t’arranger ça ! »

Ils montent à sa chambre, puis une fois le pantalon arrangé, ils s’installer pour « relaxer » et, sans crier gare, madame éteint la lumière. « Ce n’était même pas prévu ! », s’émerveille notre interlocuteur. « Toujours est-il qu’elle m’a fait la démonstration de ses capacités ! », résume-t-il pudiquement, en se remémorant sa toute première fellation.

Oh mon Dieu ! Ça a été l’explosion d’un bouchon de champagne !

Mathieu, 40 ans

« Et c’est fou parce que ça a été pour moi un moment d’extrême sensualité. Dans ma tête, je n’aurais jamais envisagé que ça arrive ! Ça me surprend encore d’avoir une vie sexuelle. »

Il faut dire que l’affaire ne s’arrête pas là. Ils poursuivent cette relation d’« amants-amis » pendant quelques années. « L’acte est arrivé un an plus tard peut-être, poursuit Mathieu. Ça a été fantastique : l’équivalent d’une bombe atomique ! » Très concrètement, madame s’installe sur lui, « évidemment », et « mon Dieu, j’avais l’impression que j’allais éclater, raconte-t-il. C’est une chose, très honnêtement, que j’ai peur de ne jamais revivre ».

Parenthèse : Mathieu a à l’époque un lit à deux places. Or, quand on a changé son lit pour un plus petit (son lit actuel, effectivement « minuscule »), « on ne s’est jamais préoccupé de savoir si cela allait impacter ma vie sexuelle », laisse-t-il tomber. Fin de la parenthèse.

Bref, avec « la vie », comme il dit, et surtout les années, ils se sont éloignés, madame a fini par se marier, et Mathieu s’est retrouvé seul. « Ce n’était pas grave, j’étais déjà amoureux d’une autre fille ! », poursuit notre homme, sans transition. Malheureusement, ce n’est pas réciproque. « Intellectuellement, il m’attire, mais physiquement, ce n’est pas ça », dit sa flamme à son sujet. Conséquence ? « Ça m’a détruit… »

L’effet qu’elle me faisait, c’était indescriptible. C’était monumental…

Mathieu, 40 ans

C’est d’ailleurs un peu à la suite de cette tout aussi « monumentale » déception que Mathieu décide de se lancer dans le militantisme. « Et ça a changé ma vie. Parce que c’est une cause qui me tient à cœur, dit-il. Honnêtement, pour utiliser une analogie des personnes LGBTQ+, sans être un sujet dans le placard, c’est un gros problème, que de démocratiser la gestion de la sexualité des personnes en situation de handicap. »

Vrai, il y a une « pléthore d’enjeux qui nous affligent », sait-il, à commencer par l’accessibilité aux soins de santé. « Alors c’est tout à fait normal que la question de la santé sexuelle soit reléguée à la remorque. » Compréhensible, disons. Mais acceptable ?

À noter que depuis quelques années, Mathieu vit en outre et de temps à autre des rapprochements avec une voisine, qui souffre de paralysie cérébrale comme lui. Ils se masturbent mutuellement et c’est « très, très, très le fun », indique Mathieu.

« Faire la page frontispice du Kamasutra, oublie ça, mais j’ai d’autres compétences… », paraît-il.

Oui, il est déjà arrivé qu’on les surprenne. Mais Mathieu ne s’en formalise pas. « Une préposée a cogné et nous a vus tous les deux : “Oh mon Dieu, excusez-moi”, a-t-elle lancé. C’était drôle. »

Mais non, les deux ne sont pas en relation. C’est que madame rêve d’un partenaire pour voyager. Et il n’est évidemment pas son homme. Alors ils se voient « quand ça adonne ». De son côté, Mathieu rêve de revivre « des papillons ».

C’est d’ailleurs ce qu’il souhaite qu’on retienne de son histoire. « C’est sûr qu’on a des enjeux médicaux, conclut-il, mais ça ne nous empêche pas d’avoir des désirs et des besoins totalement légitimes ! […] Le jour où on cessera de nous considérer comme des numéros dans un dossier médical, on aura fait un grand pas vers la libération de qui nous sommes. […] Parce que la perception sociale, c’est encore que les personnes en situation de handicap sont asexuées. » Rien n’est plus faux.

* Nom fictif, pour préserver son anonymat