La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

C’est une histoire tout sauf grivoise. Sentimentale, plutôt : le récit d’un coup de foudre pour un homme déjà pris, et de toutes ces émotions fortes oubliées, enfouies bien loin, tout à coup ressuscitées. Même si rien n’a été consommé.

Et rien ne le sera non plus, s’il faut croire Carole*, 72 ans, rencontrée virtuellement, tout juste avant Noël. Distance oblige, la septuagénaire raconte en toute candeur et à la caméra son drôle d’amour qui n’aura pas lieu. Une aventure platonique, mais non moins vivifiante. Visiblement, ça lui fait le plus grand bien.

« Je ne peux pas me confier à personne ! pouffe-t-elle. Dans ma famille, je ne peux pas dire que je suis en amour avec un autre homme ! Je dois rester très discrète, c’est ça, l’affaire ! »

Mais à la voir sourire comme une gamine, dernière ses longs cheveux gris, on devine qu’elle bouillonne. Pour pas grand-chose, finalement. Comme quoi il n’en faut pas gros pour renaître.

« Il ne s’est rien passé », confirme-t-elle. D’ailleurs, ça n’est même pas vraiment réciproque. Mais l’essentiel est ailleurs. « Mais je vis quand même un sentiment très fort. Ça m’apporte beaucoup de satisfaction intime. J’ai l’impression de revivre. » Était-elle éteinte ?

Je ressens des émotions que je n’avais pas ressenties depuis des dizaines d’années…

Carole, 72 ans

Ce n’est pas faute d’avoir vécu, pourtant. Et de belles choses, par-dessus le marché. Éveillée relativement tôt à la sexualité (15 ans), elle passe 10 ans avec son premier amoureux, qui deviendra son premier mari. « Sexuellement, ça allait très bien. » Relationnellement, un peu moins. Monsieur est un homme violent, et elle finit par le quitter, fin vingtaine.

« Là, j’ai vécu mon célibat. J’ai eu plusieurs aventures assez courtes, des histoires de quelques mois. Il y en avait des meilleures que d’autres », laisse-t-elle tomber, laconiquement. Comment ? « Tu te rends compte qu’au lit, tu ne peux pas mentir. Si tu es quelqu’un d’égoïste dans la vie, tu vas l’être aussi au lit. Inversement, une personne généreuse, ça va paraître aussi. »

Dans le lot, elle explore avec une femme ou deux également. « Un peu par hasard, une amie qui reste à coucher, puis on a juste un lit… » Et puis ? « J’ai trouvé ça très agréable, mes fantaisies tournent autour de ça, mais je ne suis pas lesbienne », dit-elle. À preuve : « Je ne suis jamais tombée amoureuse d’une femme. »

Toujours est-il qu’au tournant de la trentaine, Carole rencontre son deuxième mari et conjoint actuel. « Ça fait 40 ans ! »

Au départ, et pendant plusieurs années, ç’a été merveilleux. Puis, peu à peu, on est tombés dans la routine.

Carole, 72 ans

On lui demande de raconter : « On était très, très complices, se souvient-elle, autant dans la vie que dans la chambre à coucher, on avait des goûts très semblables sur différents aspects, on s’enrichissait l’un l’autre sur le plan intellectuel. » Au lit ? « On était très attentifs aux besoins de l’un et de l’autre. » Oui, résume-t-elle, « il y avait beaucoup de passion ».

Mais ? Mais… la vie, le temps, l’usure, sans doute. Sans évènement particulier, peu à peu, ils se sont tranquillement éloignés. « Et cela va de pair avec la communication en général. À un moment donné, chacun s’enferme dans sa bulle. On s’entend bien, on ne se chicane jamais, on a beaucoup de considération l’un pour l’autre, mais on est un peu chacun dans notre univers… »

S’ils font encore l’amour ? « En fait non, dit-elle. Avec pénétration, ça doit faire plus de 10 ans. » Monsieur a eu des soucis de santé, manque depuis de confiance en lui, « et finalement ça ne marche jamais ». « On se fait des caresses d’affection. Pas plus. Et je ne peux pas dire que ça me donne le goût d’aller plus loin. »

Elle a fait son deuil, mais sans en faire un plat. « J’avais pris mon parti, c’est comme ça que ça a évolué, je prenais ça comme ça venait. » Et à part ses « petits appareils », avec lesquels elle renoue une fois ou deux par mois, sa sexualité s’arrête là.

S’ils en ont parlé ? Pas exactement. « Ce n’est pas facile, il se ferme facilement… »

Et puis voilà qu’il y a cinq ans, et pour toutes sortes de raisons, notre Carole a changé de cercle social. Et un homme de ce nouveau « cercle », plus ou moins en position d’autorité, l’a complètement chavirée. Littéralement.

Il m’a charmée ! Sa personnalité, sa façon de parler, de bouger, tout ! C’est une personne fascinante !

Carole, 72 ans

« Il m’a troublée de façon très positive. Je ne peux pas croire que ça m’arrive ! C’est vraiment extraordinaire ! »

Elle lui trouve « toutes les qualités », tant physiques qu’intellectuelles. « Dans un autre monde, ça aurait pu faire un conjoint parfait. » Mais ça ne le fera pas. Et on devine pourquoi : Carole a déjà un conjoint. Monsieur de même. Et ni l’un ni l’autre ne veulent que cela change. Et même si elle pense à lui « beaucoup, beaucoup », confirme-t-elle, s’énerve avant de le voir, anticipe leurs retrouvailles, il ne s’est jamais, ô grand jamais, passé quelque chose. « Le plus qu’on ait fait, c’est la bise ! »

Bien sûr que c’est dur, convient-elle. Mais l’affaire en vaut la chandelle. Pourquoi ? « Pour tout ce que ça m’apporte de plaisir, de bonheur, cette aventure qui n’en est pas une ! » Oui, répète-t-elle : « Je revis ! »

« Jamais je ne pensais que ça pourrait m’arriver. Je suis quand même une personne rationnelle. Je ne suis pas le genre à vivre un roman à l’eau de rose. Mais là je suis en train d’en vivre un ! » Quoique unidirectionnel, et platonique, faut-il le répéter.

Si elle se sent coupable ? Pas tellement. « Tout est relatif, dit-elle. C’est quelque chose qui me donne beaucoup de bonheur et de plaisir. Surtout qu’il ne se passe rien, objectivement. Je ne fais rien de mal ! […] C’est comme si mon désert s’était mis à fleurir », sourit-elle de plus belle. Morale ? « Il faut prendre le bonheur là où il est », conclut-elle.

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.