« Dans toute promenade avec la nature, on reçoit beaucoup plus que ce que l’on cherche. » Ce constat du naturaliste américain John Muir a été confirmé des décennies plus tard par une abondante littérature scientifique. Même si la recherche n’est pas terminée, des experts appellent à reconnecter avec cette grande Dame pour améliorer notre santé.

Un remède naturel sous l’œil de la science

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Pour profiter pleinement de la nature, rien ne vaut l’aventure, croit Virginie Gargano, professeure adjointe à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval.

Si les peuples autochtones connaissent depuis longtemps l’influence de la nature sur le bien-être humain, de nombreuses études récentes ont permis de clarifier son rôle et d’établir ses bienfaits.

Passez une heure en nature, à marcher, à cueillir ou à contempler. Il est possible que votre rythme cardiaque ralentisse, que votre pression artérielle diminue, que votre niveau de cortisol, un indicateur de stress, se réduise, tout comme l’anxiété si vous en ressentez. Ce sont les bienfaits d’une exposition à la nature les plus connus à ce jour et pour lesquels on trouve une preuve scientifique bien établie.

Il se peut aussi que vous vous sentiez moins déprimé, de meilleure humeur et moins fatigué puisqu’il est prouvé qu’il existe un lien entre les expériences en nature et l’amélioration du bien-être psychologique ainsi que la réduction des facteurs de risque pour certaines maladies mentales.

Une revue de littérature scientifique réalisée en 2021 pour la SEPAQ, par une équipe de chercheurs de l’Institut de cardiologie de Montréal, a réitéré les effets positifs de la nature sur la santé globale. Ceux-ci sont connus intuitivement depuis fort longtemps, mais l’intérêt des chercheurs pour le sujet a connu un engouement récemment, note le rapport. Si bien que tout un pan de bienfaits, et leurs mécanismes, restent à investiguer.

lisez notre article « La nature, c’est bon pour vous »

Un bain de nature peut-il être bénéfique pour réduire la fatigue mentale ou pour restaurer notre attention constamment sollicitée par les courriels et textos, la messagerie Slack, les notifications des réseaux sociaux ? C’est ce qu’avance la théorie de la restauration attentionnelle, élaborée par les psychologues américains Rachel et Stephen Kaplan à la fin des années 1980. Alors qu’il a été démontré qu’un effort mental prolongé peut épuiser les ressources attentionnelles et augmenter le stress, l’exposition à la nature encouragerait le fonctionnement du cerveau sans effort, ce qui lui permettrait de récupérer et de restaurer sa capacité d’attention dirigée. À condition que soient réunis quatre facteurs : la fascination, l’éloignement du quotidien, la compatibilité (il faut être enclin à être en contact avec la nature) et la richesse de l’environnement.

Depuis, des chercheurs ont pointé les failles de cette théorie, considérée comme trop vague, mais d’autres ont poussé la recherche plus loin.

Une revue systématique, réalisée en 2018, a conclu que la mémoire de travail, la flexibilité cognitive et, dans une moindre mesure, le contrôle attentionnel sont améliorés après une exposition à des environnements naturels.

Consultez l’étude « Attention Restoration Theory II: a systematic review to clarify attention processes affected by exposure to natural environments » (en anglais)

Le chercheur en facteurs humains et psychologie cognitive Alexandre Marois a signé en 2020 un article sur la restauration de l’attention dans la Revue québécoise de psychologie, après s’être penché sur le sujet dans le cadre d’un stage doctoral à l’Université de Denver. En entrevue, celui qui travaille maintenant chez Thales Recherche et Technologie Canada précise qu’il s’agit d’une « littérature relativement émergente » et qu’on observe une « importante variabilité dans les études et un manque de consensus ».

Lisez l’article d’Alexandre Marois

Néanmoins, ces résultats sont prometteurs et devraient, selon lui, être pris en compte dans l’aménagement des villes, des lieux de travail et des écoles. Cela va au-delà de déposer une plante dans le coin d’une pièce ou regarder une photo de forêt. « Les études qui ont employé des environnements réels, mais également des expositions plus longues, sont associées à de meilleurs bénéfices pour l’attention », note-t-il.

La règle du 3-30-300

Il faut se tenir près de la nature pour se sentir bien, affirment des chercheurs de l’Institut pour la santé globale de Barcelone. Dans une étude publiée en décembre 2022 dans Environmental Research, ils ont confirmé les bénéfices de l’approche des 3-30-300, selon laquelle chaque personne bénéficierait de voir 3 arbres de son logement, de vivre dans un quartier où il y a environ 30 % de canopée et d’habiter à moins de 300 m d’un parc ou d’une forêt.

Consultez l’étude « The evaluation of the 3-30-300 green space rule and mental health » (en anglais)

Le plus récent indice de l’agglomération de Montréal est de 25,3 % et il varie selon les villes et quartiers.

L’accès à la nature est un « enjeu majeur », pense Virginie Gargano, professeure adjointe à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ LAVAL

Virginie Gargano, professeure adjointe à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval

Quand on parle de justice et d’équité sociale, pour des personnes qui n’ont pas accès à des véhicules et qui habitent au centre d’une ville comme Montréal ou Québec, l’accès aux immersions en nature est plus difficile.

Virginie Gargano, professeure adjointe à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval

Mme Gargano, qui accompagne régulièrement des groupes dans des expéditions, croit fermement qu’au chapitre des bienfaits, nature et aventure sont intimement liées. « Je vais être en contact avec la terre si je fais de l’escalade, avec la rivière si je fais du kayak […]. Ce n’est pas juste le fait de regarder une plante. C’est le fait d’être dans la nature, de faire de l’activité physique qui va favoriser les effets sur le plan physiologique et psychologique. »

« L’élimination des obstacles et l’amélioration de l’accès aux environnements naturels, ainsi que la conception et l’entretien des espaces verts urbains, devraient être une priorité pour la santé de la population », affirme Gregory Bratman, professeur adjoint et directeur du Laboratoire sur l’environnement et le bien-être de l’Université de Washington.

Quand on aborde les bienfaits de la nature, ce dernier met toutefois en garde contre les généralisations. Selon lui, l’ampleur et les spécificités des effets dépendent de nombreux facteurs, notamment la relation que nous entretenons avec la nature, notre état de santé initial et nos préférences pour différents types d’interactions. Des propos qui rejoignent ceux de Virginie Gargano, pour qui une immersion en nature ne sera pas automatiquement bénéfique pour tout le monde, à tout moment d’un processus de développement.

La biophilie, de l’école au bureau du médecin

PHOTO GETTY IMAGES

La nature comme cadre d’apprentissage favoriserait la motivation chez les élèves.

Au cœur des quartiers, sur les lieux de travail ou dans les écoles, la nature doit se tailler une place dans notre quotidien, croient de nombreux experts. À commencer par Alexandre Marois, chercheur en facteurs humains et psychologie cognitive, pour qui mettre la nature au cœur des milieux de travail et éducatifs « peut être une façon d’améliorer le bien-être, le stress et même ultimement la performance de travail ou la performance des élèves », poursuit-il.

C’est aussi ce que croient les penseurs du Lab-École, qui placent la biophilie au cœur de leur réflexion sur l’aménagement des écoles de demain. Dans les projets en cours – une école a été inaugurée l’an dernier, trois le seront cette année et deux autres sont en construction –, cela se traduit notamment par l’ajout de reliefs naturels, de végétaux, de roches, de souches d’arbres et d’espaces de jardinage dans la cour, par des aménagements qui encouragent l’extension des classes vers l’extérieur ainsi que par la maximisation de la ventilation et de la lumière naturelle et l’utilisation du bois à l’intérieur. C’est en menant les recherches pour la publication Penser la cour de demain que l’importance de la biophilie s’est imposée, non seulement à la lumière des avis d’experts, mais aussi en écoutant les besoins des enfants qui, lorsqu’ils ont été invités à dessiner leur cour de rêve, ont été nombreux à inclure des végétaux.

  • L’école des Berges, au centre-ville de Québec, a une cour ouverte sur un parc, avec un espace pour enseigner en plein air.

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    L’école des Berges, au centre-ville de Québec, a une cour ouverte sur un parc, avec un espace pour enseigner en plein air.

  • La cour de l’école de l’Étincelle, à Saguenay, un projet du Lab-École qui accueillera les élèves à compter de la prochaine rentrée

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    La cour de l’école de l’Étincelle, à Saguenay, un projet du Lab-École qui accueillera les élèves à compter de la prochaine rentrée

  • L’extérieur de l’école de l’Étincelle

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    L’extérieur de l’école de l’Étincelle

  • Lorsqu’ils ont été invités à mettre en dessin leur cour de rêve, plusieurs enfants ont dessiné des végétaux.

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    Lorsqu’ils ont été invités à mettre en dessin leur cour de rêve, plusieurs enfants ont dessiné des végétaux.

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À l’école Stadacona, située dans le Vieux-Limoilou, à Québec, un secteur où l’indice de défavorisation est élevé, été comme hiver, les enfants apprennent à hauteur d’arbres, lors de cours donnés sur le toit.

Les intervenants scolaires remarquent une augmentation de la motivation de leurs élèves lorsqu’ils réalisent des activités d’apprentissage à l’extérieur.

Denis Morin, coordonnateur des services éducatifs et de l’évaluation au Lab-École

« Nous croyons que l’utilisation grandissante de la classe extérieure comme de la cour et du quartier aura des effets bénéfiques sur la motivation et l’engagement des élèves, ce que pourra démontrer le projet de recherche en cours », souligne Denis Morin, coordonnateur des services éducatifs et de l’évaluation au Lab-École, dans une déclaration écrite transmise à La Presse.

La nature en ordonnance

La nature s’invite aussi dans les cabinets des médecins. Au Québec, depuis un an, des professionnels de la santé prescrivent la nature, de la même façon qu’ils prescriraient un médicament, avec des ordonnances sur lesquelles ils inscrivent leur recommandation : tant de minutes de marche à tel endroit, un nombre X de fois par semaine.

Plus de 1900 professionnels de la santé sont inscrits à la plateforme du collectif de Prescri-Nature. « La beauté de la chose, c’est que ça peut être prescrit pour à peu près tout, mais il y a certaines interventions ciblées qui peuvent mieux fonctionner », indique la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille et membre du collectif Prescri-Nature.

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La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille et présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement

Il y a beaucoup de données, établies dans la littérature scientifique, sur les bienfaits de l’exposition à la nature pour plusieurs conditions de santé. Les bienfaits sur la santé psychologique sont très bien documentés, notamment pour ce qui est des symptômes anxieux, de l’altération de l’humeur et des symptômes dépressifs.

La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille et membre du collectif Prescri-Nature

La nature est rarement prescrite comme traitement seul, précise-t-elle, mais en complément au même titre que l’activité physique ou la méditation pleine conscience. « J’en parle d’emblée à la majorité de mes patients qui consultent pour des enjeux de santé psychologique – dépression, anxiété, trouble d’adaptation. Et je commence à l’intégrer de façon plus globale dans les conseils de base de promotion et de prévention de bonne santé, au même titre que le tabagisme et l’alcool. »

La nature doit-elle se consommer en doses ? Gregory Bratman invite à une perspective plus large : « Comme le soulignent depuis longtemps les chercheurs et les traditions issus de diverses visions du monde fondées sur les savoirs indigènes et locaux, nous ne bénéficions pas seulement du contact avec la nature, nous vivons dans une relation réciproque avec le monde naturel. » Ainsi, plutôt que de mettre l’accent sur la manière dont la nature nous est bénéfique, c’est notre relation cruciale avec celle-ci qu’il faudrait reconnaître.

Aujourd’hui, la recherche se tourne vers les expériences multisensorielles. Comment les sons, les odeurs et les couleurs influencent-ils nos bains de nature ? Il semble que les oiseaux aussi soient, par leur chant, des aidants naturels.

Avec la collaboration de Catherine Handfield

En savoir plus
  • 17 millions
    Somme prévue pour l’aménagement de cours d’école pour l’année 2023-2024
    ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec