Dans son essai Make up : le maquillage mis à nu, la journaliste française Valentine Pétry analyse et met en question notre relation au maquillage. Une relation pleine de contradictions : on le trouve à la fois superficiel et indispensable, car il permet notamment d’avoir confiance en soi et d’affirmer son identité. Mais pourquoi se maquille-t-on ?

« Même les femmes qui ne portent pas de maquillage ont des choses à raconter sur le sujet ! », lance en entrevue Valentine Pétry. L’autrice explique qu’on a attribué différentes valeurs au maquillage pendant des siècles et que c’est pour cette raison que notre rapport à lui est aussi ambigu.

« Dès l’Antiquité, le maquillage est considéré comme un outil pour séduire les hommes. Les femmes se maquillent pour se rendre belles, pour cacher leur vieillesse et tromper les hommes. Il est régulièrement associé au diable par la religion chrétienne. Maquillage, séduction et tromperie sont intimement liés », explique-t-elle.

Cette idée va évoluer au fil de siècles, et aujourd’hui, il y a deux visions qui s’entremêlent : « La première est l’idée selon laquelle les femmes se maquillent pour se plier à des conventions sociales créées par des sociétés patriarcales, et se maquiller constitue donc un travail imposé et inévitable. Dans un deuxième temps, porté par les féministes de la deuxième vague, on se maquille pour créer son identité, c’est un moyen d’expression, une prise de pouvoir sur soi-même », analyse Valentine Pétry.

Un outil politique

Elle rappelle dans son essai qu’Hillary Clinton rêvait de pouvoir faire comme ses collègues masculins, sortir au naturel, sans effort. L’autrice a calculé qu’elle a passé en 2016, en campagne électorale, 600 heures à se coiffer et à se maquiller, soit l’équivalent de 25 jours ! Et quand elle sort sans maquillage, tout le monde le remarque.

On attend des femmes qu’elles se maquillent, mais pas trop, juste la bonne dose. Soit on n’est pas assez maquillée et on a l’air fatiguée ou trop vieille, soit on l’est trop et on est une bimbo, avec tous les stéréotypes associés aux femmes trop maquillées, c’est-à-dire qu’on est malhonnête et qu’on va séduire et tromper pour arriver à ses fins.

Valentine Pétry, journaliste et autrice

Dans la sphère publique, le maquillage est un rituel obligatoire, mais on peut l’utiliser à des fins politiques, car se maquiller au quotidien, comme le soutient Alexandria Ocasio-Cortez, élue démocrate au Congrès américain, est tout sauf anodin. « Pour elle, c’est une façon de s’affirmer. Cette vidéo qu’elle a tournée pour le magazine Vogue a eu un succès fou parce qu’à travers sa routine beauté, elle parle d’elle, une femme engagée, féministe, qui travaille fort, et qui utilise le maquillage pour sublimer sa personnalité et rappelle que la féminité a un pouvoir. Elle évoque sa signature : son rouge à lèvres, très rouge, qu’elle a commencé à porter en faisant du porte-à-porte. Ça lui donnait de l’assurance. »

Voyez la vidéo sur la routine beauté d’Alexandria Ocasio-Cortez (en anglais) 

Valentine Pétry évoque aussi le lancement de Fenty Beauty par Rihanna, la première grande marque à faire de l’inclusion son cheval de bataille, qui a bouleversé le marché. « Il y avait déjà des marques qui proposaient des gammes pour tous les types de peau, mais Rihanna, star planétaire, a révolutionné l’industrie du maquillage en créant 40 couleurs de fond de teint lancées simultanément dans 17 pays. Fenty Beauty est devenue incontournable et beaucoup de marques ont par la suite proposé beaucoup plus de teintes et de nuances pour tous les types de peau », analyse la journaliste.

Une industrie encore très genrée

L’industrie cosmétique est encore très genrée. Elle vise les femmes et ignore encore le maquillage pour hommes. Car au-delà des soins pour la peau, les hommes se maquillent-ils ? « Il y a eu le khôl des Égyptiens, la poudre pour le teint des rois de France, David Bowie… Le maquillage des hommes est très marginal et il est encore plus codifié que celui des femmes. La plupart du temps, c’est du maquillage qui n’est pas présenté comme du maquillage ! Ça va être un contour des yeux antifatigue teinté [anticerne], une crème effet bonne mine [fond de teint]. Il faut les rassurer sur le fait qu’ils sont encore des hommes, ce qui est une vision très caricaturale de la masculinité, encore présente. »

On voit qu’il y a un changement générationnel, car il y a beaucoup d’influenceurs beauté qui utilisent du maquillage et qui redéfinissent l’expression du genre. Les choses évoluent grâce aux nouvelles générations qui sont ouvertes sur le sujet.

Valentine Pétry, journaliste et autrice

Pour Valentine Pétry, l’industrie des cosmétiques nous vend du rêve. Les économistes montrent bien que les gens achètent toujours du maquillage, même en période de crise ou de récession, car il est associé au plaisir. « Il y a de vrais enjeux écologiques et de durabilité, il y a des recharges dans les soins et le maquillage, mais il faut être fidèle au même produit, alors que l’industrie ne vit que par la nouveauté et nous pousse à consommer. Acheter du maquillage est un plaisir enfantin, comme si nous étions dans un magasin de bonbons à travers les palettes de couleurs. »

Make up : le maquillage mis à nu

Make up : le maquillage mis à nu

Éditions Les Pérégrines

240 pages