« Combien d’enfants avez-vous ? » La question semble simple, mais pour Carryanne Pépin, la réponse est complexe.

« Des fois, je dis : “J’en ai cinq à la maison.” Quand je veux éviter les questionnements. […] C’est le compromis mental que je me suis fait. »

Si sa grande fille est à ses côtés à ce moment-là, cette dernière s’empressera toutefois de corriger le tir. Dans leur famille, ils ne sont pas cinq enfants, ils sont six.

En mars 2023, Carryanne Pépin a vécu ce que redoute toute femme enceinte. À 28 semaines de grossesse, elle a cessé de sentir son bébé bouger. « Je suis allée à la maternité et on m’a annoncé le décès. »

Son mari n’était pas avec elle. Il était resté à la maison pour s’occuper des enfants qui dormaient. Lorsqu’il a appris la nouvelle, il était convaincu qu’il venait de faire un cauchemar.

Pendant la nuit, les parents ont discuté. Allaient-ils demander une autopsie ? Voulaient-ils que leur enfant soit incinéré ? L’urne serait-elle enterrée ? Des questions qu’ils n’auraient jamais cru avoir à se poser.

Billie est né le lendemain. Carryanne Pépin a pu le prendre dans ses bras un moment. Un instant trop bref, quand elle y repense.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Carryanne Pépin

« Si tu ne demandes pas [au personnel hospitalier] comment ça va se passer et ce que tu peux faire, personne ne va te l’expliquer. C’est ça que j’ai trouvé vraiment difficile », témoigne la jeune mère de 31 ans.

Elle a eu « la lucidité et le calme » de poser des questions, mais une fois l’accouchement passé, elle aurait souhaité être mieux accompagnée.

« Il n’y a pas une travailleuse sociale qui est venue me voir. Il n’y a personne. […] Si j’avais été complètement en crise, ça aurait peut-être été différent… mais ce n’est pas vrai que ça allait bien », déplore-t-elle.

« Le CLSC m’a appelée un mois plus tard pour me dire qu’il avait reçu une lettre qui disait que je vivais un deuil périnatal et qu’il offrait des ateliers. Un mois plus tard, c’est trop peu », croit celle qui aimerait que toutes les mères vivant un deuil périnatal puissent obtenir du soutien sur-le-champ.

De blessantes maladresses

Les semaines qui ont suivi ont été très pénibles pour Carryanne Pépin. « J’avais tellement peur de croiser des gens et de me faire poser des questions [sur le bébé]. C’est difficile pour les gens d’entendre ça. C’est confrontant. […] Ils ne savent pas quoi répondre et ils tombent dans les maladresses. »

« Il n’y a rien qui arrive pour rien » ou « au moins, tu as d’autres enfants en santé » sont deux exemples de phrases que Carryanne Pépin recevait comme un coup de poignard en plein cœur. Le deuil n’est pas plus facile parce qu’on a d’autres enfants. C’est d’ailleurs leur deuil à eux aussi, pas seulement celui des parents, note la mère.

« Un gros manque »

Comme nombre de personnes, elle s’est tournée vers le privé pour recevoir le soutien psychologique dont elle avait besoin. Son médecin, « qui est incroyable », l’a aussi épaulée. Elle croit toutefois que les hôpitaux devraient en faire plus. « Il y a un gros, gros, gros manque. Si j’avais plus de temps, ce serait ma mission de vie. Présentement, ce n’est pas bien fait. »

Enceinte de son septième enfant, Carryanne Pépin bénéficie d’un suivi plus serré dans un autre hôpital, où elle se sent mieux encadrée.

« J’ai très peur, mais très hâte de voir comment je vais vivre ce post-partum-là », conclut la maman.

Lisez « Cinq, six, sept fois maman »

Du soutien pour les parents endeuillés

Chaque année, au Québec, plus de 20 000 familles vivent la perte d’un enfant, pendant la grossesse, à la naissance ou dans les mois qui suivent. Malgré ce nombre, beaucoup de parents ont l’impression de traverser seuls cette épreuve.

« C’est un deuil qui est invisible. […] Quand on perd un membre de notre famille, comme un père, une mère, un frère, les autres personnes l’ont connu. C’est plus facile pour l’entourage de s’imaginer ce deuil. Tandis que le deuil périnatal, l’entourage n’a pas connu le bébé, ne l’a pas vu, ne l’a pas senti bouger. […] C’est un deuil qui est plus difficile à comprendre pour plusieurs personnes », explique Marie-Claude Dufour, directrice générale du Réseau des centres de ressources périnatales.

Selon elle, il y a des lacunes dans le système de santé quant au soutien psychologique offert aux parents endeuillés. Elle tient donc à rappeler que des services existent également du côté des organismes communautaires.

Près d’une vingtaine de centres de ressources périnatales proposent des groupes de soutien ou des rencontres individuelles pour les parents traversant cette épreuve. « Il y a aussi certaines régions où il y a un service de marrainage. On a plusieurs bénévoles qui sont disponibles avec des histoires différentes. Selon les besoins du parent qui nous contacte, on peut le jumeler avec quelqu’un qui a un vécu similaire », explique-t-elle.

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Deux autres ressources à consulter

Un livre : Écrit par la journaliste Jessika Brazeau et la psychologue Lory Zéphyr, Le deuil invisible regroupe de nombreux témoignages de familles qui ont perdu un bébé en période périnatale. Avec beaucoup de compassion, les autrices abordent notamment les étapes du deuil, les répercussions de cette épreuve sur le couple et les autres enfants de même que le rôle de l’entourage.

Lisez l’article « Deuil périnatal : place à la compassion »

Un site web : Le site web de l’hôpital Sainte-Justine contient de nombreuses informations sur le deuil périnatal. On y trouve notamment la série de quatre vidéos Revenir les bras vides, dans laquelle des parents endeuillés et des professionnels de la santé sont interviewés.

Consultez le site web du CHU Sainte-Justine