Depuis un an, Johanne La Belle habite à huit minutes à pied de la maison de sa fille Sara et de son petit-fils Enzo, un an et demi. Elle les voit à quelques reprises chaque semaine. « Je trouve que c’est un privilège que j’ai. J’en suis reconnaissante », souligne la grand-mère.

Sa situation est loin d’être unique. Au Québec, de nombreux grands-parents s’impliquent dans la vie de leurs petits-enfants, qu’ils vivent ou non à proximité d’eux. Une tendance à la hausse, selon les experts. L’importance de leur soutien a d’ailleurs été mise en lumière au cours de la pandémie. Combien de familles jonglant avec le télétravail et les fermetures d’école et de garderie ont appelé mamie et papi à la rescousse ? Combien de parents auraient aimé pouvoir le faire au plus fort du confinement ?

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Andrée-Anne Boucher, professeure de sociologie au cégep de Victoriaville

Professeure en sociologie au cégep de Victoriaville, Andrée-Anne Boucher note que certains facteurs démographiques ont contribué à cette implication grandissante des grands-parents. « Ils vivent plus vieux, plus en santé. […] Ils continuent de se maintenir en forme et peuvent donc être très présents », affirme l’autrice d’un mémoire de maîtrise sur le sujet.

En moyenne, les grands-parents ont aujourd’hui quatre petits-enfants. Rien à voir avec les familles nombreuses du début du XXsiècle. Ce chiffre plutôt bas « fait en sorte que c’est vraiment plus simple de développer une relation individuelle » avec chacun d’eux, soutient Andrée-Anne Boucher.

Les attentes envers les grands-parents ont aussi changé. Les nouveaux parents souhaitent généralement recevoir leur aide, explique la professeure.

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Monique Fortin, sa fille Marie-Hélène Boucher et sa petite-fille Julia, 5 mois

Nouveaux parents, nouveaux besoins

« Les grands-parents ont un rôle fondamental à jouer, croit la psychoéducatrice Mélanie Bilodeau. […] On dit que ça prend un village pour élever un enfant. Ça prend aussi un village pour prendre soin des parents qui, eux, prennent soin de l’enfant. C’est le rôle des grands-parents de faire partie du village proximal de la famille et ensuite de répondre aux besoins de cette famille-là. »

Votre fille vient de mettre au monde votre petite-fille et vous vous proposez pour prendre soin du poupon ? L’offre est généreuse, mais ce n’est peut-être pas ce qu’elle souhaite.

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Mélanie Bilodeau, psychoéducatrice

C’est très rare que les parents ont besoin que les grands-parents viennent seulement bercer le bébé à la maison. C’est plutôt le contraire. Quand on vient d’accoucher, ce qu’on veut, c’est se coller avec notre enfant.

Mélanie Bilodeau, psychoéducatrice

Elle suggère aux grands-parents de poser directement la question à leur enfant : comment pouvons-nous vous aider ?

« Des fois, aller chez nos enfants pour porter un plat déjà préparé, faire une brassée de lavage ou faire du ménage, ça va être aussi important que de prendre le poupon », croit la psychologue Suzanne Vallières.

Un soutien inestimable

Même s’ils habitent à Orford, Monique Fortin et son conjoint n’hésitent pas à prendre l’autoroute 10 en direction de la Rive-Sud de Montréal pour donner un coup de main à leurs deux enfants. La semaine dernière, ils ont fait un aller-retour pour distribuer des petits plats. « Du soutien comme ça, c’est vraiment précieux », confirme leur fille Marie-Hélène Boucher, mère de Clara, 2 ans, et de Julia, 5 mois.

Pour la grand-mère, c’est naturel d’être là pour sa famille. « Ce n’est jamais contraignant de venir et de s’entraider », assure l’infirmière à la retraite.

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Monique Fortin et la petite Julia, 5 mois

Lors du passage de La Presse, la grand-mère allait retourner à Orford avec Clara, après sa sieste. La fillette était très excitée à l’idée d’aller passer la nuit chez ses grands-parents, assure Marie-Hélène Boucher. De son côté, elle allait pouvoir passer une soirée plus tranquille avec son poupon et son conjoint.

Ça me permet vraiment d’être une meilleure maman, d’être une meilleure version de moi-même, parce que j’ai des moments de répit.

Marie-Hélène Boucher

Le défi de la distance

Marcela Vera a elle aussi reçu beaucoup de soutien de la part de ses parents après la naissance de son deuxième enfant, Elena, qui a aujourd’hui 14 mois. Le couple de Colombiens a passé deux mois au Québec. « Avec eux ici, c’était parfait », se souvient Marcela Vera.

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Marcela Vera et sa famille : son conjoint, Juan Sierra, ses enfants, Nicolas et Elena, et ses parents, Dora Villa et Luis Vera

Depuis la fin de son congé de maternité, la mère d’Elena et de Nicolas, 4 ans, a de la difficulté à trouver un équilibre dans sa vie. Elle aimerait que ses parents soient là pour pouvoir garder ses enfants de temps à autre, un peu à l’image de ce qu’elle a vécu lorsqu’elle était jeune.

« J’ai grandi avec mes grands-parents. Pour moi, ça fait partie de ma personne. Beaucoup de choses viennent d’eux, parce que j’ai passé beaucoup de temps avec eux », confie celle qui aimerait parfois retourner vivre en Colombie.

L’importance de la communication

Consciente que toutes les mères n’ont pas la même chance qu’elle, Sara La Belle affirme qu’il s’agit d’un « privilège d’avoir [s]a mère aussi proche ». Des propos qui font écho à ceux de grand-maman Johanne, pourtant interviewée séparément.

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Sara La Belle entourée de sa mère, Johanne, et de son fils, Enzo

Bien qu’elles apprécient la proximité, les deux femmes trouvaient important d’établir certaines limites pour préserver leur intimité.

Je voulais qu’on se respecte mutuellement là-dedans. On en a parlé au début. On s’est demandé comment on allait fonctionner. On a décidé de ne pas arriver chez l’autre à l’improviste, de toujours au moins téléphoner […]. Et, mutuellement, de se sentir à l’aise de dire non.

Sara La Belle

Cette façon de faire correspond aux recommandations pour éviter des conflits formulées par les spécialistes consultés par La Presse. « La communication, c’est la base. Où est ma limite ? […] Il est important de nommer comment on a l’intention de vivre notre parentalité. Qu’est-ce qu’on aimerait et qu’est-ce qu’on aimerait moins ? Je pense déjà qu’on met la table pour que la relation soit adéquate », indique Suzanne Vallières, coautrice du Psy-guide des grands-parents – Aimer, soutenir, réconforter.

Les perceptions de la parentalité ont évolué dans les dernières décennies, rappelle Mélanie Bilodeau. Résultat ? « Il y a un choc des générations actuellement qui est très grand. » Les nouvelles mamans n’ont pas nécessairement envie d’élever leurs enfants comme l’ont fait leur mère. Selon la psychoéducatrice, il est important pour les parents de parler de leur vision de la parentalité et pour les grands-parents, de les écouter, de les soutenir, sans les juger.

Toutes les familles rencontrées dans le cadre de ce dossier s’entendent sur une chose : leur vie ne serait pas la même sans l’aide des grands-parents.

« Des fois, je n’ai pas l’impression que papa et toi réalisez tout ce que ça nous apporte. Je trouve que vous le minimisez beaucoup », a d’ailleurs confié Marie-Hélène Boucher à sa mère, Monique Fortin, à la fin de l’entrevue. Ce à quoi elle a répondu : « Je pense que, inversement, vous non plus ne réalisez pas tout ce que ça nous apporte d’avoir accès aux petits-enfants. »

Quel type de grands-parents êtes-vous ?

Dans le cadre de son projet de mémoire à la maîtrise, Andrée-Anne Boucher a distingué trois styles de grands-parents. Mamie ou papi, vous reconnaissez-vous ?

  1. Rôle parental par intérim. Ces grands-parents « veulent vraiment soutenir leurs enfants et ils vont aller dans la même ligne directrice qu’eux. Si le petit-fils se couche toujours à 20 h, ils vont s’assurer que s’ils le gardent, il va se coucher à 20 h », explique la professeure de sociologie au cégep de Victoriaville.
  2. Grands-parents gâteaux. « Quand les petits-enfants sont là, c’est plutôt le party. On mange des bonbons, on se couche à n’importe quelle heure. Il y a certains parents qui sont très à l’aise avec ça, d’autres non. »
  3. Rôle parental envers leur enfant. « Ils vont conseiller leur enfant », parfois sur l’éducation de leur petit-enfant, note Andrée-Anne Boucher. Ce sont des grands-parents qui continuent à jouer leur rôle de parent auprès de leur enfant.
En savoir plus
  • 68
    Âge moyen des grands-parents au Canada en 2017. Il était de 64 ans en 1995.
    Source : Statistique Canada, 2017
  • 52
    Âge moyen pour devenir grands-parents pour la première fois au Canada
    source : Statistique Canada, 2017
  • 47 %
    Proportion des adultes canadiens de 45 ans et plus qui sont grands-parents
    source : Statistique Canada, 2017