Après la génération X (désenchantée), la génération Y (désabusée), voici la génération « pandémie » (sacrifiée ou éventuellement « perdue »). Une génération qui ferait tout particulièrement les frais de la crise actuelle, craignent de plus en plus d’experts. Explications, nuances... et espoir, en cinq temps.

Des perturbations « sans précédent »

Évitons d’emblée tout malentendu : par « génération pandémie », on ne parle pas ici d’une éventuelle cohorte issue d’un soi-disant (et peu probable) baby-boom, qui découlerait prochainement du confinement. Aussi amusante que soit cette image, par génération pandémie, on parle plutôt (et beaucoup plus sérieusement) des jeunes touchés de plein fouet (quoique de biais) par la pandémie actuelle. Et ce, depuis quatre mois déjà. On se souvient que les pédiatres ont été parmi les premiers à déplorer la fermeture prolongée des écoles. Pour les raisons scolaires, sociales et psychologiques que l’on sait. Plusieurs voix se sont ensuite élevées pour dénoncer à quel point les jeunes avaient été ici oubliés. La dernière en lice (et non la moindre) ? Oxfam-Québec, qui, au début de l’été, a publié un rapport (Les jeunes et la COVID-19) pour le moins alarmant sur cette génération (10 à 24 ans) : « les jeunes encaisseront la majeure partie des répercussions de la pandémie de COVID-19. En effet, les possibilités qui s’offrent à eux dans la vie auront été transformées par les perturbations sans précédent que subissent l’éducation et l’emploi, ainsi que par le grave traumatisme que beaucoup ont vécu », est-il indiqué, chiffres et analyses à l’appui. À preuve : à l’échelle mondiale, d’après les chiffres de l’UNESCO, ce sont 1,5 milliard de jeunes qui ne vont plus ni à l’école ni à l’université, à cause du confinement. Citant le secrétaire général des Nations unies António Guterres : « le monde ne peut se permettre d’avoir une génération perdue de jeunes gens dont la vie aura fait un pas vers l’arrière en raison de la COVID-19 », martèle le rapport, qui plaide en faveur d’une inclusion des jeunes dans les plans de relance à venir.

> Lisez le rapport

La santé mentale des jeunes en jeu

Plus tôt cette semaine, l’Association internationale de pédiatrie (AIP), en collaboration avec l’UNICEF et l’OMS, en a rajouté, présentant un webinaire sur la délicate question de la santé mentale chez les adolescents pendant le confinement. « Nous savons aujourd’hui que les adolescents […] ont été exposés à beaucoup de menaces qui vont impacter leur avenir ou leur vécu à court terme », a déclaré d’entrée de jeu le pédiatre et modérateur Ousmane Ndiaye, membre du bureau exécutif de l’AIP. À preuve : différentes enquêtes orchestrées par l’UNICEF ont révélé que, à l’échelle mondiale, plus de 70 % des adolescents avaient signalé des émotions négatives depuis le confinement (tristesse, colère, désespoir, dégoût, solitude, etc.), 79 % disent craindre une « suspicion d’infection » à leur égard quand ils retourneront à l’école, 44 % disent se sentir peu informés sur la COVID-19 et 38 % estiment que le pire reste encore à venir (en matière de deuxième vague et de déclin économique). Tour à tour, divers experts se sont exprimés sur les effets de la « déscolarisation », de l’isolement, de la perte de liens et du difficile accès aux soins. D’où la grande question : quels seront les impacts à long terme de cette pandémie sur la santé mentale des adolescents ?

> Écoutez le webinaire

Une identité « marquée »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Hamel, professeur de sociologie à l’Université de Montréal et grand spécialiste de la jeunesse

N’empêche : l’expression « génération pandémie » n’est-elle pas ici un peu galvaudée ? Pas forcément, répond Jacques Hamel, professeur de sociologie à l’Université de Montréal et grand spécialiste de la jeunesse. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au sens sociologique du terme, une génération n’est pas qu’une question d’âge : « Une génération peut aussi se former à partir d’un événement historique marquant qui contribue à l’identité d’un groupe d’âge, dit-il. Sur cette base, la COVID-19 peut très certainement être considérée comme un ‟événement inédit”, jamais connu dans le passé (l’arrêt de la planète au complet !), et donc susceptible de marquer l’identité des jeunes d’aujourd’hui. » Et c’est un fait, confirme-t-il, ici même au Québec : « Je vois mes étudiants frappés par les répercussions de la crise : plusieurs ont perdu leur emploi, et les diplômés vont s’insérer dans un marché du travail difficile. » Entre autres conséquences chez les jeunes : l’absence prolongée de contacts (entre eux et avec leurs établissements scolaires) avec les écueils psychologiques qui vont avec, l’annulation de plusieurs « rites » (la rentrée au cégep, à l’université, les bals des finissants, etc.) et le report éventuel de la fameuse « entrée dans la vie adulte », les jeunes repoussant la fin de leurs études, leur insertion dans le marché du travail, leur départ du domicile familial, etc. en ces temps pour le moins incertains. « Les jeunes d’aujourd’hui vont porter les marques de cette pandémie, croit aussi le sociologue. Alors effectivement, on peut parler d’une ‟génération pandémie”. » Mais nuance : quels jeunes exactement ? « Pour le diplômé de médecine, il ne faudrait pas trop s’inquiéter. Pour le jeune qui quitte l’École nationale de théâtre, par contre, ce doit être un peu plus compliqué… »

Moins vrai chez les plus jeunes

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Christine Gervais, professeure au département de sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais, et deux de ses enfants

Christine Gervais est professeure au département de sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais. Depuis la fin d'avril, elle a sondé avec une équipe près de 200 jeunes Québécois de 7 à 17 ans sur les effets de la pandémie sur leur vie. Verdict ? « Les jeunes, majoritairement, vont très bien ! » nuance la coauteure de l’enquête, baptisée Réactions (Récits d’enfants et d’adolescents sur la COVID-19). Plusieurs ont en effet profité du confinement pour passer du temps en famille, avec leur fratrie, sans subir les préoccupations de leurs parents (qui ont quant à eux des taux « très élevés » d’anxiété), fait-elle valoir. Les jeunes plus âgés (11 à 17 ans), a-t-elle constaté, font preuve en prime d’une empathie marquée pour les personnes âgées, et démontrent une conscience écologique et même économique renouvelée. « Ce sont des valeurs très belles qu’ils semblent vraiment avoir intégrées, dit-elle. Je vois beaucoup plus de remises en question qui vont stimuler un engagement et une conscience dans leurs choix pour la suite, plutôt qu’une perte de pouvoir, comme on peut envisager dans les pays en voie de développement. » Quelques bémols, toutefois : les jeunes sondés dans son enquête sont issus de milieux plutôt favorisés ; or, « la pandémie a accentué les inégalités », fait-elle valoir. Le portrait est certainement moins rose pour les jeunes plus vulnérables, tous ceux en difficulté, ou encore en transition (vers le secondaire ou le cégep), effectivement plus « inquiets ».

Un avenir en question

Plusieurs questions demeurent : comment iront ces jeunes dans six mois, un an ? se demande Christine Gervais. « Comment iront-ils dans un environnement où tout le monde porte un masque ? » Finis les foules, la bise, les voyages, la proximité ? « Il y a plein de choses qu’on tenait pour acquises qu’eux, ils ne pourront plus tenir pour acquises. » Et dans 10, 15 ans, renchérit Jacques Hamel, « est-ce qu’il y aura des répercussions négatives sur ces jeunes ? […] Est-ce qu’à plus long terme, ces répercussions auront eu un effet durable ? » Le sociologue fait pour sa part le pari de l’optimisme. Faisant une analogie avec la génération X, laquelle a écopé économiquement, on le sait, du poids démographique des baby-boomers, il souligne que, malgré tout, ces fameux « X » ont effectivement survécu. Les jeunes d’aujourd’hui survivront-ils à leur tour ? « Sans doute », répond celui qui a justement fait une enquête longitudinale sur les X. « Je les ai revus début 2000, et ils avaient réussi. Mais cela leur a pris beaucoup plus de temps. Est-ce qu’on peut faire la même hypothèse, et penser que cette génération-ci va peut-être mettre plus de temps à réussir qu’en a mis la génération précédente pour accéder aux mêmes emplois ? C’est une hypothèse qu’on peut faire. Si on est plus optimiste, comme moi, on peut penser qu’ils vont réussir, mais ils vont affronter plus de difficultés, et y mettre plus de temps… »