Cela fait déjà six semaines. Et combien d’autres à venir ? Six semaines sans dictée, sans compréhension de textes, ni la moindre racine carrée à calculer. Sauf pour les plus motivés. Certes, nos enfants auront sans doute oublié d’importantes notions au fil des grasses matinées. En revanche, ils pourraient bien avoir gagné quelques précieux et uniques apprentissages à ne pas sous-estimer. En voici huit, en vrac et sans hiérarchie, à cultiver.

1. Les compétences transversales appliquées

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

« À quoi ça sert l’école : eh bien voilà ! » se félicite aussi sa mère, Christine Gervais, professeure au département de sciences infirmières à l’Université du Québec en Outaouais.

Théo Joly n’aime pas trop l’école. Son dada ? Le soccer. Déçu de ne plus pouvoir jouer, confinement (et pause d’activités parascolaires) oblige, le garçon de 11 ans a décidé de se construire un but, question de s’exercer à tirer. Et pas à moitié : il a pris les mesures réglementaires au parc, dessiné un plan, choisi ses matériaux, puis vissé et monté le tout, avec un coup de pouce de son père, dans leur cour à Val-David. « On va voir s’il va résister aux coups de pied », rit ce dernier, Jean-François Joly, pas peu fier du résultat. « À quoi ça sert l’école : eh bien voilà ! », se félicite aussi sa mère, Christine Gervais, par ailleurs professeure au département de sciences infirmières à l’Université du Québec en Outaouais, laquelle vient justement de déposer un projet de recherche sur la question des apprentissages des enfants en confinement.

2. Des souvenirs gravés dans les mémoires

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Pour Léa Stréliski, ce confinement risque d’être gravé dans la mémoire de nos enfants : « OMG pas d’école, on peut jouer aux jeux vidéo toute la journée ! »

Ces « compétences appliquées » en matière de géométrie ou de français ne sont certes pas à la portée de tous, notamment ceux qui vivent en ville, confinés à cinq dans un 1000 pi2, comme le fait remarquer l’humoriste et autrice Léa Stréliski, qui a surtout très hâte que l’école et la vie normale recommencent. « Mon Dieu, oui ! » Pour sa part, elle croit que ce confinement va surtout servir à « créer des souvenirs ». « Je compare un peu ça au verglas, avance-t-elle. Moi, en 1998, j’avais 16 ans, aucune responsabilité. Ce n’était pas mon problème s’il n’y avait pas d’électricité ni de chauffage. » Son souvenir ? Noël, puis « deux semaines de vacances en bonus ». De la même manière, ce confinement risque d’être gravé dans la mémoire de nos enfants : « OMG pas d’école, on peut jouer aux jeux vidéo toute la journée ! » Au passage, certains auront développé (plus ou moins) en douceur une certaine résilience. « Ils vont apprendre à s’adapter », avance-t-elle. Et tous auront en prime intégré l’importance des sacro-saintes « consignes ».

3. L’importance du lavage des mains

Ça n’est pas banal. Nul n’ignore désormais l’art de se laver les mains, comment se propagent les virus, les personnes les plus vulnérables, ni la saine distance à garder pour demeurer en sécurité. Sans parler du temps requis pour trouver un vaccin. Plusieurs notions de sciences auront été vues par la bande, entendues et certainement discutées autour de la table à manger.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTINE BRABANT

Christine Brabant, professeure à la faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal, à qui l’on doit L’école à la maison au Québec.

« On n’aura plus besoin de voir ça en classe », se félicite Christine Brabant, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, à qui l’on doit L’école à la maison au Québec. Des connaissances « autres » et pas forcément au programme de votre enfant, certes, qu’il ne faut néanmoins pas sous-estimer, comme le défend l’auteur de la Petite pédagogie du confinement à l’usage des parents (Richard-Emmanuel Eastes, doctorant en sciences de l’éducation), publiée dernièrement dans la revue The Conversation. « Vous réaliserez […] que rester à la maison ne signifie pas nécessairement moins d’apprentissages, mais “d’autres”, voire “plus” d’apprentissages dans certains cas. »

> Lisez l’article de la revue The Conversation

4. Culture générale 101

« Plus » d’apprentissages, vous l’aurez peut-être remarqué, en matière de géographie (même les plus petits savent où est l’Italie), d’économie, d’alimentation ou de transports. On parlait peut-être déjà de l’importance de l’économie locale chez vous ? Maintenant, on le dit et on le vit. « Probablement que les jeunes vont avoir une meilleure connaissance du monde », commente Stéphane Cyr, professeur de didactique des mathématiques à l’UQAM et membre de la Chaire UNESCO de développement curriculaire. « Souvent, les enfants au primaire sont centrés sur leur environnement proche. Là, j’ai l’impression qu’ils vont être plus centrés vers l’environnement international. Il va y avoir des acquis, c’est certain, en termes de culture générale. » Un bémol, toutefois, et il est de taille : pour que cette ouverture sur le monde ait effectivement lieu, encore faut-il que le parent soit disponible, impliqué, et qu’il propose un minimum d’encadrement. En un mot : « présent ! »

5. Un parent au quotidien

Parlant du parent (et on parle ici du parent « moyen », ordinaire, bref, non toxique), force est de constater que nos enfants n’auront sans doute jamais passé autant de temps à nos côtés, à nous voir non pas en train de les divertir en vacances, mais bel et bien travailler (pour ceux qui ont la chance de télétravailler). Ce faisant, reprend l’experte en enseignement Christine Brabant, les enfants vont avoir leurs parents comme « modèles » à différents égards : sur le plan professionnel (« il faut travailler dans la vie pour réussir »), psychologique (« même quand on n’a pas envie ») et organisationnel (« on s’adapte »). Au quotidien, les occasions de discussion ne se comptent plus. De jour, donc, mais aussi de soir. La preuve : les soupers en famille, qu’on sait si importants, mais d’ordinaire si compliqués à coordonner, sont de nouveau la norme.

PHOTO STÉPHANE DEDELIS

Le pédiatre Jean-François Chicoine

« On est quasiment tous les jours comme un dimanche soir en 1965 », glisse ici le pédiatre Jean-François Chicoine.

6. L’« introduction à la platitude »

C’est tout particulièrement vrai pour les adolescents, poursuit le pédiatre du CHU Sainte-Justine. Ses patients le lui disent et le lui confirment : ils se sont mis à faire le ménage des feuilles dehors, de leurs cahiers dedans. Certains font du tricot. Ou encore, ils scient du bois. « C’est l’introduction à la platitude. Parce que tu t’ennuies, tu inventes », se félicite-t-il. Parce que oui, c’est une excellente chose. Non seulement les jeunes sont davantage dans le « concret » (« parce qu’il y a moins de temps pour l’abstrait »), mais ils sont surtout plus ancrés dans le présent. « Et parce qu’ils ne font rien, ils trouvent à s’occuper. C’est une très bonne chose, cela va faire d’eux des survivants ! » Autre belle nouvelle : Jean-François Chicoine ajoute que plusieurs se sont (re)mis à la lecture : « Je ne dis pas qu’ils lisent À la recherche du temps perdu, concède-t-il, mais ils ont ouvert des BD, lisent des mangas. […] À un moment donné, ils sont tannés des écrans. »

7. Et à l’autonomie

Comme plusieurs parents sont occupés, à jongler entre télétravail et vie familiale, ils sont évidemment moins disponibles. Et c’est tant mieux. Car c’est dans les moments d’ennui que se manifeste, outre la créativité, l’autonomie.

PHOTO FOURNIE PAR GENEVIÈVE BEAULIEU-PELLETIER

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue

« C’est dans ces moments où les enfants sont par eux-mêmes qu’il y aura cette idée, “je suis capable”, essentielle à leur développement », confirme la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, à qui l’on doit un guide sur le coronavirus (Parler de la COVID-19 aux enfants). Capable de dévisser un couvercle, d’étaler le dentifrice, de faire la lessive ou de trier le linge d’été. « Ils sont en train d’apprendre, avance-t-elle. Ne désespérons pas trop ! » Une affirmation confirmée par la revue Psychology Today, qui déclarait dernièrement au sujet de cette pandémie : « Nous ne faisons pas face à une urgence scolaire ! »

> Lisez Parler de la COVID-19 aux enfants

8. Éthique appliquée

Dernier, et non le moindre, l’apprentissage en ces temps d’isolement physique obligé : la dimension « éthique et politique », avance Mathieu Gagnon, professeur à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ

Mathieu Gagnon, professeur à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke

En confinement, plusieurs auront peut-être oublié ce qu’est une maison longue, mais appris à faire des compromis avec la fratrie, la valeur de l’amitié, mais surtout « comment mon comportement peut avoir un impact sur les autres », avance le professeur, par ailleurs président de l’Association québécoise de philosophie pour enfants. À la maison comme en société. Il voit une nouvelle « sensibilité très forte à l’impact de notre conduite sur le bien-être des autres, dit-il, au vivre ensemble. » Les pertes scolaires seront selon lui « compensées » par une nouvelle « capacité d’adaptation en situation d’urgence, et un éveil sur le sens politique de la vie en société ». Des notions d’éthique peut-être même bien plus « ancrées » et « durables » que toutes les formules mathématiques apprises, et aussi vite oubliées…

Des acquis, mais aussi des retards

Il ne faut pas jouer à l’autruche. Stéphane Cyr, expert en didactique, à qui l’on doit un site web et une série de conseils pour favoriser le maintien des apprentissages pendant le confinement, est sans équivoque : selon les cas, le niveau de scolarisation des enfants et leur vulnérabilité, « bien entendu, il va y avoir des retards ». Tous les experts consultés le confirment : ce sont les enfants les plus vulnérables, en difficulté scolaire, qui ont le plus à perdre pendant ce confinement. « S’il n’y a pas d’encadrement, c’est sûr qu’il va y avoir des retards importants, c’est certain. » Et par « encadrement », on s’entend que ça n’a rien « d’hystérique ». Stéphane Cyr le confirme lui-même : on parle d’une vingtaine de minutes par jour à peine, selon les matières. « Je le fais avec mon garçon, et on couvre amplement une journée, voire deux, en mathématiques. » Il se désole de « l’immobilisme » du Québec et des initiatives trop « timides » en matière d’éducation. « Je ne suis pas inquiet, mais déçu, conclut-il. Ça se rattrape, pour l’instant, ce n’est pas catastrophique. […] Mais ceux qui vont en payer le plus le prix, ce sont les élèves en difficulté d’apprentissage… »

> Lisez Les conseils pour les parents