(Paris) « Mon dernier contrôle a été annulé ». « Je vais accoucher sans mon conjoint ». « J’ai peur du retour à la maison »... Au terme de leur grossesse en pleine épidémie de coronavirus en France, les femmes redoutent l’évènement tant attendu malgré les efforts des professionnels pour les rassurer.

Adrienne, Émilie, Justine, Aurélie, Karin : toutes avaient projeté un scénario idéal, le père à leur côté les vaporisant avec un brumisateur, la famille autour du berceau, leur mère ou les amies en soutien lors du retour à la maison. Rien de tout cela n’adviendra.

« C’est un premier bébé, je ne sais pas comment me préparer seule », redoute Karin Karam qui doit accoucher dans quelques semaines, près de Strasbourg, dans l’est de la France particulièrement touché par l’épidémie.

« Aurai-je une péridurale s’ils manquent d’anesthésistes ? », s’inquiète Marine, à Bordeaux.

Pour tenter de leur répondre, le professeur Jacky Nizard, obstétricien à l’hôpital parisien de la Salpêtrière et président de l’association des gynécologues-obstétriciens européens, réalise sur YouTube de petites vidéos à leur intention.

Tournées dans la cour de l’hôpital sur un ton délibérément badin, elles devancent les questions : « Pour les consultations, zéro accompagnant : le père reste dehors » ; « pour l’accouchement, pour l’instant un accompagnant — ça pourra changer — et s’il sort, il ne revient plus ». « Après ? personne : on sait, c’est compliqué ».

« On a deux enjeux de santé publique » explique-t-il à l’AFP : « Stopper la circulation du virus et que les soignants ne tombent pas malades... Les consignes évoluent. Pour le moment la plupart des maternités acceptent un accompagnant en salle de travail, mais il n’y a pas de règle générale ». Certaines les ont déjà bannis.

Beaucoup dépend du stock de masques, de blouses pour le personnel, la patiente, le conjoint. En maternité aussi, « il faut gérer la pénurie ».

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En cas de complication pour la mère ou l’enfant, les anesthésistes seront eux « bien sûr » présents — malgré les réquisitions pour les services des urgences et de réanimation.

Pour aider ses patientes, le professeur Nizard renvoie à la page Facebook de l’une d’elles — « confinées avec bébé » — sur laquelle futures et jeunes accouchées échangent conseils et états d’âme : créée le 19 mars, la page rassemblait mercredi près de 500 femmes.

Mais pour le moment, elles ont du mal à voir la vie en rose. « C’est mon 3e enfant, mais j’ai peur d’accoucher sans le père » confie Laure, 39 ans, à trois jours du D-Day. « Pour les deux autres je me sentais plus sereine, plus combative. Là, je me sens seule et beaucoup moins préparée ».

Les cours de préparation à l’accouchement, de yoga, de piscine, ont été annulés. Les visites de contrôle, sauf complications, s’effectuent par téléphone.

« On essaie d’assurer un suivi par Skype pour rassurer, mais je ne fais plus que de la téléconsultation », confirme Adrien Gantois, président du collège des sages-femmes libérales.

Lui aussi déplore le manque de matériel : « Pour les visites postnatales à domicile, il nous faudrait lunettes, surblouses, surchaussures… on n’a rien de tout ça ».

Révoltée

Faute de réponses, les femmes se sentent souvent « abandonnées ».

« Mon RDV anesthésiste s’est déroulé par téléphone, je crains que mon RDV du 9e mois le soit aussi », avoue Aurélie, à Versailles, près de Paris. « Je ne sais pas si je dois me tourner vers mon gynéco (débordé) ou attendre », dit-elle, après un début de grossesse compliqué.

Sa double angoisse : « Passer à côté d’un problème pour le bébé et ne pas pouvoir vivre ce moment avec mon conjoint ».

Adrienne, 34 ans, ressent même de la « révolte » à cette idée. « On est confinés ensemble ! » avance-t-elle.

« Confinée depuis trois semaines » à l’hôpital Trousseau à Paris pour retarder la naissance d’un grand prématuré, Émilie est déjà seule. « Peu à peu les restrictions se sont intensifiées », raconte-t-elle. « Pour certaines femmes qui accouchent d’urgence par césarienne, les pères ne voient ni les mères ni les bébés : les sages-femmes leur montrent des photos ».

« On ne peut pas autoriser les va-et-vient avec l’extérieur », justifie le professeur Nizard.

La phase du retour à la maison sans visites amicales ni familiales s’annonce également délicate, comme pour Justine à Lille dont c’est « la principale angoisse ».

« Je ne pensais pas dire ça un jour, mais elles vont cruellement me manquer dans ces moments », ajoute-t-elle en évoquant sa mère et sa belle-mère.