Je me suis débarrassée de ma voiture. Au début, j’étais nerveuse. Je ne vous le cacherai pas, ça donnait un peu le sentiment de sauter dans le vide. Nous avons trois enfants, nous vivons en ville, nous avions une immense voiture sept places achetée usagée il y a cinq ans. Et en plus, j’aime aller chez IKEA.

Avec trois enfants, généralement, la question ne se pose même pas, ça te prend un char. On a des amis qui en ont quatre et qui vivent depuis toujours sans voiture, et chaque fois qu’on les croisait, on leur jetait des regards entre « admiration » et « vous êtes des extraterrestres ». Comme quand j’étais petite et que je voyais mes cousins parisiens vivre en famille sans voiture. « Mais comment c’est possible ? » Je pensais que ça allait de soi, moi, une voiture. Comme quand mes parents m’ont annoncé à mes 6 ans qu’ils allaient se marier, pour moi, c’était impensable qu’ils m’aient faite sans être mariés ! C’était pas ça, l’ordre des choses.

Et avoir une voiture, c’est aussi supposé être l’ordre des choses. On nous le vend depuis tellement longtemps, je n’avais jamais même pensé le remettre en question.

En Amérique du Nord, TOUT a été pensé en fonction des voitures. J’ai vu plus de pubs de chars depuis ma naissance que j’ai vu de regards de ma mère. On m’a répété et répété et répété qu’un char, c’est le standing, un char, c’est la classe, un char, c’est la performance et un char, c’est surtout : la liberté !

La liber… quoi ? La liberté de quoi, exactement ? La liberté de te promener dans un truc en plastique qui vaut entre 20 000 et 80 000 piasses et qui perd de la valeur la seconde où tu sors du concessionnaire ? Je me suis toujours demandé si c’était plus frustrant d’être pogné dans le trafic en Ferrari ou en Honda. La liberté d’avoir des paiements qui te coûtent un deuxième loyer ? Des factures d’assurance qui augmentent si tu l’accroches ? Des trucs à faire réparer par des garagistes qui parlent un langage que tu comprends pas ? Qui te donnent des factures exorbitantes pour des morceaux dont tu ignores le nom ou la fonction ? Mais que tu remplaces parce que t’as peur de mourir ? La liberté de devoir changer les pneus deux fois par année ? De les sortir de ton coffre comme si tu faisais du CrossFit ? De payer pour les entreposer ou d’être pogné avec dans ta cour ? La liberté de payer ton permis… À ta fête ?!

La liberté d’être l’esclave du prix du gaz ? De le voir augmenter quand ça leur tente et comme par hasard pendant les vacances ? La liberté de subir le trafic, les gens qui conduisent mal, la pollution, les impolis et surtout… les ost** de travaux ? Les cônes et les cônes et les cônes et les cônes. La liberté que même ton GPS ne comprend plus où tu es et de te perdre dans un détour d’un détour d’un détour ?

Non, come on ! OK, vendez-nous des chars si ça vous tente, mais arrêtez de nous faire croire qu’un char, c’est la liberté. Surtout pas en ce moment. Quand l’air devient de moins en moins respirable et qu’il y a maintenant tellement d’autos qu’il n’est physiquement plus possible de circuler en ville.

Je sais que j’ai une vision très urbaine de l’affaire. Je m’en excuse si vous me lisez ailleurs qu’à Montréal, prenez-le comme un appel à l’aide. Pas que vous pourriez entrer dans la ville si vous deviez nous secourir… Mais mon but n’est pas d’exclure entièrement la possibilité d’avoir une voiture, je suis bien consciente que cette réalité ne s’adresse pas à tout le monde. Il s’agit plutôt de revenir sur cette espèce de « ça va de soi » que l’on nous vend depuis des décennies. Comme si toute autre forme de réflexion n’était pas envisageable.

Alors comment on fait pour vivre à cinq sans voiture ? Mon mari prend le métro pour aller travailler, les petits (qui ne sont plus des bébés, donc n’ont plus d’énormes sièges d’auto) marchent pour aller à l’école et je me promène aussi en transports en commun. Pour les sorties la fin de semaine, on utilise Communauto. Pareil pour les vacances.

Est-ce que les petits chialent ? Parfois, quand on doit marcher le soir du métro jusqu’à chez nous, mais spoiler, les petits chialent de toute façon. Et quand le plus grand se fait demander : « Quelle auto il a ton père ? », il doit répondre qu’il n’en a pas ! La honte. Mais on n’a plus besoin de changer notre voiture de bord de rue, on se fout des travaux, on a plus d’argent dans nos poches et moins de stress mental, économique et écologique. 

Si vous le pouvez, me semble que c’est plus ça, la liberté.