C'est la grande question que bien des parents se posent: quand est-ce qu'on commence à donner un peu de jeu à nos enfants? À quel âge, précisément, on les laisse prendre leur envol? Nous avons exploré la question pour vous. Et certaines réponses ont de quoi surprendre.

Seul à la maison

Chaque jour, un parent se fait arrêter au Royaume-Uni. Son crime? Avoir laissé un enfant seul, chez lui, à la maison.

Dans le lot se trouvent des enfants de quelques semaines à pas moins de 14 ans, rapportait récemment le tabloïd britannique Mirror.

Pour tous ces parents qui commencent tranquillement à laisser leur enfant seul pendant qu'ils vont faire une course, après le camp de jour, ou pourquoi pas carrément pour un après-midi de congé, une journée pendant l'été, la statistique a de quoi faire froid dans le dos. Et si c'était moi?

Le hic? Aucune loi, là-bas, ne précise à quel âge on peut, ou pas, légalement laisser un enfant seul chez soi. Et savez-vous quoi? Ici non plus.

Ce que dit la loi

À Montréal, chaque jour, deux familles se font accuser de négligence. À l'échelle du Québec, le chiffre grimpe à 20. C'est ce qui ressort du tout dernier bilan des directeurs de la protection de la jeunesse, rendu public en juin.

Bien sûr, la définition de négligence, au sens de la Loi sur la protection de la jeunesse, est vaste, incluant la négligence sur le plan physique, en santé et en éducation. N'empêche, elle inclut aussi cette délicate question de la «surveillance». Est donc passible de négligence tout parent ne «fournissant pas une surveillance ou un encadrement appropriés». D'où la question: à quel âge peut-on, en toute bonne conscience, laisser son enfant seul chez soi?

La question du jugement parental

«Dans aucune loi, on n'écrit un âge», confirme Annie-Claude Bibeau, chef de service à l'accueil de la DPJ, du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Est-de-l'île-de-Montréal, en entrevue.

Nulle part? «Nulle part, répète-t-elle. C'est une question de jugement parental.» Et si les parents jugent que leurs enfants sont aptes à rester seuls, justement, mais que les voisins ne sont pas du même avis? Une foule d'histoires du genre ont fait les manchettes aux États-Unis. On se souvient d'un couple du Maryland qui a laissé seuls ses enfants de 7 et 10 ans dans un parc, à quelques coins de rue de leur maison. Ils ont été accusés de négligence. Tout comme une autre mère, qui a carrément été arrêtée pour avoir laissé son enfant au parc pendant qu'elle allait travailler. Et une autre a perdu la garde de ses quatre enfants pour les avoir laissés seuls quelques heures, le temps de se rendre à un cours. Les enfants avaient entre 5 et 10 ans.

Le magazine Atlantic rapporte régulièrement des récits déchirants du genre.

Ce flou législatif ne pose-t-il donc pas problème? «Je ne pense pas», répond Annie-Claude Bibeau. «Il ne faut pas être rigide. C'est le parent qui connaît vraiment bien son enfant.» 

Ainsi, avant d'intervenir, en cas de signalement, la DPJ va suivre une «grille d'analyse» pour bien comprendre la situation. En gros, elle va chercher à éclaircir les faits, la fréquence, la récurrence, et la gravité de la situation.

Nuancer l'analyse

À titre d'exemple, un enfant de 4 ans, laissé seul, jour après jour, dans un appartement isolé, d'une mère ex-toxicomane en rechute, ça n'est pas tout à fait la même chose qu'un jeune de 10 ans, qui reste quelques heures à la maison après l'école, avec une voisine à portée de téléphone, en attendant sagement que ses parents reviennent du travail.

«Il y a toutes sortes de facteurs qui nuancent l'analyse», fait-elle valoir.

Et ce sont ces mêmes facteurs qui devraient idéalement guider les parents dans leur décision de laisser, ou non, leur enfant seul à la maison.

«C'est au parent de regarder les caractéristiques de son enfant: est-il mature, en cas d'urgence, sait-il quoi faire, dit-elle. Ça se joue vraiment au niveau des caractéristiques de l'enfant.» En un mot, répète-t-elle: «C'est une question de jugement parental.»

Indépendance 101

L'autonomie, ça s'acquiert. Avec le temps, les années et l'expérience. Ça ne se gagne surtout pas du jour au lendemain.

«Il faut que l'enfant ait le temps d'accueillir cette autonomie, explique Gérald Boutin, docteur en psychopathologie et pédagogie à l'UQAM. Il faut y aller de façon progressive! Ça se prépare! C'est une question de relation parent-enfant. On libère notre enfant de notre emprise.» 

Quelques questions à se poser avant de laisser un peu de liberté, suggère l'expert: où en est mon enfant dans son développement? S'il arrive quelque chose, peut-il se tirer seul d'embarras? «Tout est question d'apprentissages et d'habiletés.»

S'il n'existe pas de règle absolue, puisque chaque enfant est évidemment différent, et encore moins de loi, quelques grandes lignes directrices existent tout de même. Des pistes pour vous aider à prendre des décisions éclairées.

Les voici.

SEUL À LA MAISON : 10 ANS

«Nous, on dit 10 ans pour une courte période, après l'école par exemple, tant que l'enfant est à l'aise», affirme Raynald Marchand, directeur général des programmes du Conseil canadien de la sécurité. Avant, l'enfant n'a pas tout à fait la maturité nécessaire. Or, cette maturité, selon les enfants, s'acquiert entre 10 et 12 ans. «Mais tout cela se prépare! Je connais des enfants de 7, 8 ou 9 ans qui sont assez autonomes, parce que leurs parents ne les ont jamais surprotégés», nuance le pédagogue Gérald Boutin.

SEUL À LA MAISON AVEC SES FRÈRES ET SOEURS : 12 ANS

«Pas avant 12 ans», tranche le Conseil canadien de la sécurité. C'est d'ailleurs à cet âge que les enfants peuvent aussi suivre un cours de formation en gardiennage, de type Gardiens avertis. À noter, la réglementation varie ici d'une province à l'autre. En Ontario, une des rares provinces qui stipule un âge légal pour pouvoir garder, il faut minimalement avoir 16 ans pour s'occuper d'enfants en toute légalité.

SEUL AU PARC : 6 ANS

Théoriquement, un enfant peut, avec l'autorisation de ses parents, quitter seul l'école dès l'âge de 6 ans. S'il y a un parc entre l'école et la maison, et que le contexte semble approprié (qu'il est avec des amis, a des ressources, à une heure raisonnable), «probablement qu'il n'y aurait aucun problème», confirme Raynald Marchand, du Conseil canadien de la sécurité. «Évidemment, si l'enfant est seul au parc et qu'il braille, c'est une autre histoire», nuance-t-il. Donc, théoriquement oui, un enfant de 6 ans peut être seul au parc, mais on ne recommande pas de le laisser seul entre quatre murs, chez lui? «Il y a beaucoup de nuances, répond le directeur général. Ce n'est pas recommandé, mais non, ce n'est pas illégal.»

SEUL DANS LE MÉTRO : VARIABLE

Le Conseil canadien de la sécurité cible toujours 12 ans comme l'âge clé de l'autonomie, notamment parce que c'est à cet âge que les jeunes passent du primaire au secondaire, et acquièrent de facto une certaine indépendance.

N'empêche que du côté de la Société de transport de Montréal (STM), il n'y a aucune politique qui stipule un âge minimum requis. «Cela relève de l'autorité parentale», indique la porte-parole Isabelle Tremblay. Tout est donc toujours question de contexte: un enfant de 10 ans, sac au dos, sûr de lui, en plein après-midi, ne surprendra personne. En larmes à la tombée de la nuit, si. «Nos employés ont la consigne de demeurer vigilants.»

SEUL UNE JOURNÉE DE CONGÉ : 12 ANS

À 12 ans, on peut garder des enfants, donc théoriquement, on est aussi en âge de se garder soi-même, toujours selon le Conseil canadien de la sécurité. Avant cela? «À 10 ans, toute une journée, c'est long. La plupart des enfants ne sont pas prêts à cela. Quelques heures, oui, avec des devoirs à faire, une collation, mais pas plus de trois heures. C'est trop long.»

SEUL TOUTE UNE NUIT : 16 ANS 

Le Conseil canadien de la sécurité suggère de viser 16 ans, un âge où, généralement, les adolescents ont les ressources requises en cas de pépin. Il s'agit d'un âge où, faut-il le rappeler, ils ont aussi légalement le droit de conduire. «Mais moi, ma fille a 18 ans et elle n'aime pas être seule la nuit. Elle invite toujours une amie!», signale Raynald Marchand. Comme quoi il est impossible, en matière d'autonomie, de suggérer une règle absolue. La souplesse et surtout la connaissance de son enfant sont les seuls facteurs déterminants. «Le regard sur l'autonomie, c'est le père et la mère qui le posent. C'est par l'observation que l'on peut voir où l'enfant est dans son développement, conclut le pédagogue Gérald Boutin. Et cela exige de la part du parent une présence très attentive!» À méditer.