« On a oublié que le repos est un droit acquis à la naissance. »

Marie-Eve St-Germain a une pointe d’audace dans le regard. Elle vient de me dire que « la sieste est un enjeu politique » et elle sait que sa position est radicale.

La femme de 33 ans a accumulé des épuisements professionnels avant de « rebâtir [s]a relation avec le repos ». Elle est devenue professeure de yoga et s’est particulièrement intéressée aux techniques de relaxation profonde. Apaisée par ces pratiques, elle s’est dit qu’il serait merveilleux de les faire entrer dans les bureaux du Québec. Il y a un peu moins d’un an, elle fondait donc Espace mental.

Depuis, elle offre des services de sieste en entreprise (!).

Concrètement : Marie-Eve St-Germain débarque à l’heure du dîner, donne une conférence sur l’importance du sommeil et guide une sieste de groupe d’une vingtaine de minutes. Les travailleurs peuvent alors s’endormir ou errer dans la délicieuse zone entre le dodo et l’éveil. (L’option cinq-à-sieste est aussi offerte si l’heure du lunch est trop remplie.)

Qu’on me comprenne bien : j’adore l’idée de somnoler au bureau. Mais est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de paradoxal dans le fait d’aller en entreprise pour prôner le repos ? N’est-ce pas là une manière pour les gestionnaires de stimuler – encore – la productivité de leurs employés ?

Marie-Eve St-Germain hoche la tête et fait un parallèle entre la sieste et le yoga. Plusieurs personnes commencent à pratiquer le yoga pour l’aspect physique de l’activité. Elles en viennent ensuite à s’intéresser à la philosophie qui le sous-tend. De la même manière, c’est tout à fait correct que ce soit la productivité qui nous amène à valoriser le repos… 

« Quand je vais en entreprise, j’essaie tout de même de ne pas trop parler de productivité, précise-t-elle. Je dis des choses comme : ‟On ressort de notre sieste plus vigilant et alerte, on fait moins d’accidents et d’erreurs. S’endormir permet à notre cerveau de ralentir, de consolider la mémoire et de récupérer physiquement, etc.” Il y a plein de bénéfices à faire une courte sieste plutôt que de se forcer à travailler, mais le but est d’amener les participants à réfléchir à leur relation avec le sentiment d’urgence qu’on connaît tous. »

Peut-être qu’ensuite, ils vont prendre leurs pauses, faire une sieste une fois par semaine, éviter de remplir leur agenda jusqu’au soir ou dormir plus longtemps le matin… Bref, réaliser que c’est correct de ne pas travailler à 140 % du temps.

Marie-Eve St-Germain, professeure de yoga et fondatrice d’Espace mental

Il ne faut donc pas que la sieste soit un pansement à appliquer sur la plaie béante de l’épuisement, mais plutôt un outil de plus offert dans un arsenal important.

« À la base, il y a la santé et la sécurité au travail, insiste Marie-Eve St-Germain. Il faut aussi pouvoir prendre des congés sans se faire harceler, avoir une sécurité psychosociale et être bien payé pour ne pas avoir à surtravailler ! Après, pour moi, se coucher au sol est un acte de rébellion contre la société de production dans laquelle on vit. »

Si les siestes guidées d’Espace mental se déploient jusqu’à maintenant dans des organisations au mandat créatif, Marie-Eve St-Germain fait aussi partie de l’équipe de Recharjme, une entreprise qui conçoit des cabines de repos pour des milieux pas mal plus traditionnels (comme des hôpitaux et des institutions financières). La sieste n’est pas réservée aux bureaux à aire ouverte avec barista et fûts de bière…

Et si tout ça m’étonne, ce que je trouve le plus surprenant dans le discours de Marie-Eve St-Germain, c’est la distinction qu’elle fait entre la relaxation et le repos. Lire ou marcher en forêt sont des activités relaxantes, mais le repos se doit pour elle d’être passif : « C’est s’asseoir sur le divan et fermer les yeux, apprendre à siester ou dormir plus ! »

On peut d’ailleurs télécharger des micro-siestes guidées sur le site d’Espace mental, si tout ça ne nous vient pas naturellement. Marie-Eve St-Germain se tient toutefois loin des modes d’emploi. Elle refuse de dicter à quoi devrait ressembler le repos en encourageant par exemple les gens à dormir moins de 26 minutes entre 14 h et 16 h (la recette parfaite, selon certains). Elle sait que cette pause s’inscrit dans un contexte bien personnel, mais elle considère qu’il s’agit d’une activité accessible à tous.

« Couche-toi au sol et ferme les yeux pour 20 minutes. Ou garde les yeux ouverts si tu préfères et commence par deux minutes… Une sieste à la fois, tu vas te rappeler qu’on n’est pas que des êtres humains qui doivent faire, mais aussi des êtres qui sont. En t’arrêtant, tu peux penser à ce que tu veux porter comme valeurs sans être en train de créer la valeur. »

J’applaudis toutes ces idées, mais je me dis qu’on a beau vouloir protéger notre repos, c’est difficile d’adopter notre propre rythme quand notre famille, nos collègues et notre société vont si vite.

(Avez-vous déjà essayé de ne pas travailler un vendredi sans recevoir de messages ? Bonne chance.)

Si le repos est un droit, il me semble qu’on n’y accorde collectivement pas beaucoup d’importance.

Marie-Eve St-Germain admet qu’il y a du chemin à faire. Même après cinq ans de relaxation profonde et de siestes régulières, elle n’arrive pas à se déposer sans culpabilité : « J’ai tout le temps cette petite voix qui me dit que je suis paresseuse. J’ai accepté qu’elle ne disparaîtra probablement jamais. On est trop dans une culture du go, go, go. »

Malgré tout, Marie-Eve continue à fermer les yeux et compte promouvoir le droit au repos jusqu’à ce que son message soit entendu. Elle espère d’ailleurs devenir « porte-parole de la sieste au Québec ».

Parlez-moi d’un titre qui fait rêver.

Consultez le site d’Espace mental