J’ai toujours été fascinée par les personnes qui pratiquent le tai-chi dans les lieux publics. La première fois, j’ai trouvé ça bizarre – « mais qu’est-ce qu’ils font, ces gens ? » –, croyant à une performance artistique. Ensuite, quand une mode s’est installée, je me demandais si ce n’était un pas peu poseur, puis j’ai fini par penser que c’était peut-être une activité pour les vieux et les ésotériques.

Dans ma vie, j’ai fait du yoga, du pilates et de la méditation, rien d’intense, mais le tai-chi demeurait un mystère que je n’osais pas trop percer, jusqu’à l’idée de ce dossier collectif sur l’importance de ralentir. Le tai-chi, voilà un truc très lent, et en l’explorant, je pouvais en même temps satisfaire ma curiosité. Car au fond, ce que je trouve vraiment curieux dans le tai-chi est précisément sa lenteur affirmée.

Ayant toujours eu beaucoup de difficulté avec la méditation, je n’ai jamais cru que le tai-chi était pour moi. C’est niaiseux, mais la méditation me stresse, je n’y arrive pas. Le petit hamster dans ma tête roule trop vite, mes idées vont dans tous les sens – cette phrase lue tantôt, qu’est-ce qu’on mange au souper, appeler le comptable pour les impôts – et je compte les minutes jusqu’à ce que la séance finisse, découragée de moi-même. Ça, c’est si je ne me suis pas endormie sur le tapis pendant les postures au sol.

Or, le tai-chi est en quelque sorte une « méditation en mouvement », m’a expliqué Marie-Eve Gamache-Perron, de l’école Art du Chi Montréal, que j’ai contactée pour participer à un atelier de groupe au parc Laurier.

À mon grand étonnement, j’ai vraiment aimé ça. On ressent une forme de méditation, mais l’enchaînement très doux des mouvements empêche l’esprit de s’en aller ailleurs, en nous ancrant dans notre corps sans le brusquer. Cet esprit que l’économie de l’attention est en train de nous gruger sans arrêt.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Un dimanche au parc Laurier, notre chroniqueuse a fait du tai-chi.

En fait, si l’esprit vagabonde, on n’arrive tout simplement plus à suivre les mouvements, que je ne connaissais pas. Le débutant doit rester concentré, mais imaginez à quel autre niveau de concentration il accède quand il a intégré les gestes. Et cela sans compter les secondes pour maintenir une posture difficile ou le nombre de répétitions pour raffermir un muscle.

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Marie-Eve Gamache-Perron, de l’école Art du Chi Montréal

On n’est pas juste en train de te dire “ne pense à rien”. La tête a quelque chose à faire. C’est lent, mais c’est très plein en même temps, et ce n’est pas plate.

Marie-Eve Gamache-Perron, de l’école Art du Chi Montréal

Après une séance, je n’ai certainement pas la prétention de vous dire ce qu’est le tai-chi, une pratique millénaire. L’Art du Chi Montréal, qui appartient à un réseau comptant plusieurs centres dans le monde, offre un enseignement basé sur la méthode Stévanovitch – car il existe plusieurs traditions, écoles, approches et philosophies. « Notre école a été fondée par un grand maître du chi au XXe siècle, Vlady Stévanovitch, maintenant décédé, explique Marie-Eve. Il a étudié avec des maîtres de différentes disciplines – japonaises, chinoises, indiennes – et est allé chercher des points communs entre elles. »

En fait, il n’existe pas vraiment de mot en français pour bien définir ce qu’est le « Chi », qu’on tente de cerner par l’expression « énergie vitale ». « Le chi, c’est davantage quelque chose qui se sent, qui se vit », résume Marie-Eve.

Au parc Laurier un dimanche matin, traînant une petite gueule de bois pour avoir trop célébré ma mère au souper de la fête des Mères la veille, j’ai participé avec une dizaine de personnes à une séance dirigée par Johanne, une prof aguerrie. Elle m’a rappelé Josée, une amie cool de ma défunte belle-mère, qui a longtemps pratiqué le tai-chi. Le même calme olympien du visage. Il y avait autant d’hommes que de femmes, dont un couple.

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Le tai-chi n’a rien à voir avec la performance.

Je pensais m’asseoir sur un banc pour les observer et ne pas perturber leur séance avec mon ignorance, mais on m’a invitée à participer à la routine du qi gong. Je crois n’avoir dérangé personne, car chacun était concentré sur ses gestes.

Au début, un peu nerveuse, je copiais leurs mouvements en allant trop vite, comme si je voulais prouver que je comprenais et que je pouvais être bonne, mais très vite, je me suis ajustée au rythme du groupe. Le tai-chi n’a rien à voir avec la performance.

Dans une pause entre deux séquences, alors que j’interrogeais les participants sur leurs motifs pour faire du tai-chi, Deva, un pince-sans-rire, a suscité les rires et les protestations de tous en disant que le yoga demande trop de travail et que le tai-chi est pour les paresseux, en jouant sur les clichés. Ces gens-là semblent chercher quelque chose de plus qu’être « en forme », veulent bouger sans pression et sans se blesser, partager sans se comparer, davantage vivre quelque chose qu’accomplir quelque chose – c’est ma lecture très personnelle.

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Notre chroniqueuse en train de pratiquer le tai-chi

« Ce qui est important est que ça fasse du bien, rappelle Marie-Eve. Dans cette école, c’est très “confort d’abord”, il n’y a rien d’autoritaire. Après, on se sent plus léger, on dirait que notre “pyjama de corps” est plus lousse. » Elle éclate de rire. « Habituellement, notre attention est portée sur l’extérieur, sur la vitesse, et déjà de ramener son attention au niveau du corps ralentit quelque chose et permet de nous ouvrir sur d’autres choses. Pas seulement sur nous, mais aussi sur les autres, sur l’environnement. »

Plus que l’attention sur le corps, quand on travaille le chi, l’attention est portée sur la vie qui circule dans notre corps, et ça, c’est très concret. C’est une approche et une attitude complètement différentes.

Marie-Eve Gamache-Perron, de l’école Art du Chi Montréal

J’ai été étonnée d’apprendre que le tai-chi est aussi un art martial. Et pour vrai, en cherchant le chi un dimanche matin au parc Laurier, j’avais l’impression de refaire des gestes de mon enfance, quand on imitait le karaté de Bruce Lee au ralenti comme dans ses films, avec la même joie. De danser aussi, avec des mouvements gracieux, moi qui ai la plupart du temps le sentiment d’être un taureau dans un magasin de porcelaine.

Cachées derrière la lenteur, ce sont des postures de force intérieure, je pense. Le tai-chi se passe beaucoup au niveau du bassin, de la respiration, de l’équilibre, de la détente des muscles supérieurs et de la concentration. Ce jour-là, dans le visage de quelques passants qui nous regardaient, j’ai reconnu cette curiosité un peu moqueuse que j’ai toujours eue devant un groupe qui fait du tai-chi. Mais cette fois, j’étais dedans, et je n’en étais pas du tout gênée, trop occupée à sentir le vent sur ma peau, l’odeur des arbres qui bourgeonnent, et combien la température était parfaite, malgré les nuages gris.

Je ne sais pas si je vais poursuivre ma découverte du tai-chi, mais je sais maintenant que lorsque je verrai des gens en faire dans un parc, je serai plus envieuse qu’amusée.

Une grande pratique de lancement aura lieu ce dimanche, de 10 h à 12 h, au parc Sir-Wilfrid-Laurier, à Montréal. Les pratiques se poursuivront tous les dimanches au même endroit jusqu’au 25 août. Gratuit et ouvert à tous.

Consultez le site de l’école Art du Chi