C’est peut-être parce qu’on se fait bercer ?

C’est rare, se faire bercer, une fois adulte. Il n’y a à peu près que la voiture pour nous ramener au doux mouvement de notre enfance. Forcément, ça relaxe. Notre garde baisse.

À moins que ce ne soit une question de position ? On se trouve côte à côte, plutôt que face à face. Nos yeux se croisent peu. Sans se regarder, on arrive peut-être à mieux s’écouter ?

C’est peut-être parce qu’on se sent dans un monde à part, aussi… L’auto a beau filer rapidement vers un ailleurs, peu de choses bougent dans l’habitacle. On est seuls ensemble, comme en suspension.

Tout ce que je sais, c’est que les balades en auto sont propices aux discussions. Les profondes, là ! Celles qui surprennent et chavirent.

C’est l’un des aspects du temps des Fêtes que je préfère.

Noël nous embarre dans notre char ; la famille est loin et la liste de proches à visiter, interminable. On passe nos vacances sur la route. Mais ce qui est bien, c’est qu’entre le moment où on s’obstine au sujet de la musique à écouter et celui où l’enfant feint de dormir pour qu’on le transporte dans nos bras, il y a de longues minutes propices à l’intimité. Et elles nous amènent là où ne s’y attend pas.

Il y a des discussions qu’on repousse et il y en a d’autres qu’on ne sait même pas qu’on veut avoir. C’est seulement au milieu d’une autoroute qu’elles se présentent en évidence.

Les divertissements sont limités et l’attention soudainement accessible. L’ennui qu’on évite à longueur de journée réussit enfin à nous atteindre. Pas le choix, alors : soit on plonge dans nos pensées, soit on trouve de quoi jaser… Une option n’étant pas exclusive à l’autre.

(J’ai déjà compris que je voulais rompre avec un amoureux au début d’un trajet et quitté ledit amoureux avant de descendre de la voiture. Quand je parlais de discussions profondes…)

Il y a peut-être un certain héritage culturel qui nous encourage à échanger, en auto, aussi. À se parler pour vrai. J’ai l’impression qu’on est quelques-uns à avoir fait de la route avec notre père, le dimanche, rien que pour passer le temps… La voiture, tel un salon mobile.

On n’y parlait pas nécessairement beaucoup, mais les mots y comptaient. C’était notre espace-temps juste à nous, la famille. J’en suis parfois nostalgique.

Récemment, je me suis rendue à Québec avec ma sœur et ses deux adolescents. Ça n’a pas pris 20 minutes avant que je ne propose de jouer à « questions profondes »… Un jeu que je venais d’inventer, ai-je besoin de le préciser ? Pire nom de jeu, pour vrai.

Le concept était plutôt simple : à tour de rôle, chacun devait… poser une question profonde aux autres.

Quel sera votre plus grand regret, sur votre lit de mort ? (Ma question brise-glace, parce que je suis une excellente tante.)

Quel a été le plus beau jour de votre vie ?

Quand est-ce que vous vous sentez le plus aimé ?

Êtes-vous heureux ?

Mes neveux ont remis leurs écouteurs après deux rondes, mais je pense que ce moment où on s’est purement intéressés à eux n’est pas étranger au fait qu’une heure plus tard, on chantait tous les quatre à gorge déployée alors que Wonderwall jouait à la radio.

Ils sortaient de leur personnage d’adolescents détachés pour chanter avec leur mère et leur tante, sans ironie aucune. On était ensemble et on était bien. Unis par les questions lourdes ou par Oasis, qui sait…

Je joue parfois aux questions profondes avec mon amoureux aussi, mais dans ce cas-là, on utilise une application nommée {The And}, créé par The Skin Deep. C’est un studio interactif devenu populaire grâce à ses vidéos dans lesquelles des couples répondent avec beaucoup de vulnérabilité à différentes questions, en tête-à-tête. Ça se trouve sur YouTube, si vous êtes curieux.

Sur l’application, la première étape est de préciser avec qui on joue – un enfant, un membre de notre famille, un partenaire amoureux ou une personne qu’on vient tout juste de rencontrer et qui nous fait de l’effet. Une fois la sélection faite, on peut choisir un thème qui sera décliné en 10 à 12 questions.

Disons que j’y vais avec la catégorie « couple ». Je peux ensuite opter pour le thème des souvenirs, celui des angles morts ou encore celui de l’amour qui trouve son chemin malgré les souffrances. Dans celui-là, je pourrais avoir droit à la question : « À quel moment t’ai-je le plus déçu ? »

Voilà de quoi assurer un joyeux trajet vers le réveillon.

PHOTO V_ZAITSEV, GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO

Tant qu’à devoir prendre la route, aussi bien profiter des échanges qu’elle permet…

Toutes les questions ne sont pas si sombres, je vous rassure. On peut aussi se faire demander ce qu’on retient de notre première rencontre, les raisons pour lesquelles on a été charmé par l’autre ou encore ce qu’on rêve de faire ensemble. Il y a moyen d’arriver au souper de famille en se rappelant pourquoi on a envie de former un clan…

Cette application est en anglais, mais je sais qu’il existe plusieurs variations du genre en français, comme les jeux de cartes Parle-moi, Les grandes questions et Entre toi et moi. On peut également trouver d’innombrables listes de questions profondes en ligne, si l’inspiration nous manque.

Je me dis juste que tant qu’à devoir prendre la route, aussi bien profiter des échanges qu’elle permet…

C’est si beau de voir que les personnes qu’on pense connaître de tout bord tout côté ont encore de quoi nous surprendre et nous émouvoir.