Malgré la forte baisse des productions américaines causée par la grève des scénaristes et des acteurs à Hollywood, la saison des tournages au Québec bat son plein. Pour plusieurs propriétaires de maison, c’est la période de l’année où ils laissent leur chez-soi devenir le théâtre de drames et de comédies destinés au petit ou au grand écran.

Comment ces résidences, prestigieuses ou non, ont-elles su capter l’attention des réalisateurs ? Combien rapporte une location ? Faut-il aller faire du camping dans la famille pour le temps du tournage ?

« C’est du cas par cas, tout est négociable », répond Michèle St-Arnaud, considérée comme la doyenne des directrices de lieux de tournage à Montréal. « Cela dépend du type de propriété, du temps de production, des besoins de relocalisation des occupants. Bref, tout est relatif à la nature de l’invasion. »

Parler d’invasion n’est pas exagéré. « C’est envahissant », confirme Dominique Chagnon, qui a loué l’été dernier sa maison ancestrale datant de 1760, située dans une ferme équestre de Calixa-Lavallée, en Montérégie, pour le tournage de la comédie américaine French Girl, qui met notamment en vedette la comédienne québécoise Evelyne Brochu, et dont la sortie est prévue en 2023.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La maison de Dominique Chagnon a été utilisée comme plateau de tournage l’été dernier de la comédie French Girl.

« C’est un raz-de-marée de 96 personnes qui débarquent chez toi avec des tonnes d’équipement. Ils entreposent tes affaires, ils déplacent tout. Certains font attention à la maison, d’autres moins », raconte celle qui, avec son conjoint Bertrand Tremblay, fait l’élevage de chevaux de compétition.

Pour continuer d’exploiter la ferme et de veiller sur ses animaux, le couple a donc vécu pendant quatre mois, de juillet à octobre, dans sa roulotte. « Pas grave, nous sommes habitués à voyager aux États-Unis pour les compétitions », fait remarquer la femme de 63 ans.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Michèle St-Arnaud est considérée comme la doyenne des directrices de lieux de tournage à Montréal.

Mission de repérage

Un propriétaire intéressé par l’aventure peut proposer sa maison aux différents bureaux du cinéma et de la télévision de la province (voir encadré). Ces organismes constituent souvent des répertoires de lieux à proposer aux producteurs. Il est toutefois plus facile de connaître déjà « une personne du milieu », convient Michèle St-Arnaud.

Cependant, la plupart du temps, ce sont des équipes de repérage qui ont la mission de dénicher les lieux qu’exige un scénario.

Selon les exigences de la production, nous allons cibler des endroits ou des styles architecturaux particuliers. Ensuite, nous cognons aux portes et nous laissons des invitations dans les boîtes aux lettres. Nous espérons qu’un propriétaire va accepter notre proposition.

Michèle St-Arnaud, directrice de lieux de tournage à Montréal

Pour French Girl, c’est à l’invitation d’une recherchiste que le couple d’éleveurs de chevaux a accepté de louer son domaine. « On s’est dit que ce serait drôle et intéressant », a raconté Mme Chagnon, fille d’un ancien réalisateur de Radio-Canada.

  • La maison ancestrale, en pierre, date de 1760.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    La maison ancestrale, en pierre, date de 1760.

  • Pendant le tournage, la maison était méconnaissable, mais des photos ont servi à tout remettre en place.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Pendant le tournage, la maison était méconnaissable, mais des photos ont servi à tout remettre en place.

  • Mme Chagnon et son conjoint font l’élevage de chevaux de compétition.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Mme Chagnon et son conjoint font l’élevage de chevaux de compétition.

  • Les prix peuvent atteindre 5000 $ par jour pour une superproduction américaine.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les prix peuvent atteindre 5000 $ par jour pour une superproduction américaine.

  • Une chambre dans le toit, avec poutres apparentes et un mur de pierre

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Une chambre dans le toit, avec poutres apparentes et un mur de pierre

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Dès le premier jour de la location, la résidence et ses alentours ont été photographiés sous toutes leurs facettes avant que les décorateurs, accessoiristes et techniciens en fassent un studio de cinéma. Les photos ont servi de référence quand est venu le temps de remettre la demeure dans son état original, au départ des caméras.

« Pendant le tournage, la maison était méconnaissable. Ç’a donné un choc. Ils avaient repeint une grande partie, ils avaient collé du papier peint. C’était assez particulier, mais c’est ça, le jeu », rappelle Mme Chagnon.

Le jeu de la négociation

Le jeu est surtout une question de gros sous. Tout est négociable : le coût de la location, les frais de repas, l’usure des meubles, le prêt d’accessoires... « Il n’y a pas de recette », répète Michèle St-Arnaud.

Tout dépend surtout du budget de production.

Si les prix peuvent varier de 800 $ à 2000 $ par jour pour un film québécois, ils peuvent atteindre 5000 $ par jour pour une superproduction américaine, dit Michèle St-Arnaud.

Le contrat peut aussi comprendre une compensation financière pour des frais de repas et d’hébergement.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE AUBRY

La maison de Chantal Aubry a servi au tournage des trois saisons de la série Nouvelle adresse.

Ainsi, Chantal Aubry a choisi d’aller vivre avec son conjoint et leurs trois enfants dans d’autres maisons de son quartier de Shaughnessy, à Montréal, pendant le tournage des trois saisons de la série Nouvelle adresse, diffusée à Radio-Canada.

« L’horaire de production empiétait sur la fin de l’année scolaire et la rentrée à l’école. Nous ne pouvions pas nous éloigner », explique cette dentiste et enseignante universitaire. Sa coquette maison victorienne, qu’elle possédait à l’époque, fut pour les téléspectateurs la résidence du personnage incarné par Macha Grenon.

Qu’est-ce qui a incité la famille Aubry à accepter ces déménagements à répétition ? « Nous venions de terminer un agrandissement et des rénovations majeures. Alors, le timing était donc bon pour des raisons financières », confie la femme de 55 ans.

Ironiquement, ces rénovations apaisaient les craintes de la propriétaire de voir sa maison ancestrale endommagée.

« Des trous ont été percés dans deux chambres à coucher pour laisser passer une caméra. Mais cela ne me dérangeait pas puisque c’était une cloison neuve en gypse. Ça se répare mieux qu’un mur de plâtre d’origine », souligne-t-elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Dominique Chagnon sur sa propriété

Dommages et assurances

Comme ailleurs, la maison des Aubry a été complètement redécorée pour mieux représenter l’essence de la série télé. Des panneaux de bois lambrissé ont été ajoutés aux murs, de même que du papier peint. À la fin de chaque tournage, la production s’assurait de « tout remettre comme neuf ».

« Et on nous a dédommagés pour l’usure du plancher de bois franc et du matelas », ajoute Mme Aubry. Même son de cloche du côté de Dominique Chagnon : « Personne n’a chipoté. Le plancher a été poncé et verni à la grandeur après le départ de l’équipe. »

« Les assurances couvrent absolument tous les dommages causés par les activités de tournage », confirme Mme St-Arnaud.

Y a-t-il tout de même quelques mauvaises surprises ? « Quand j’ai vu ma garde-robe grande ouverte à l’écran, j’ai bien prévenu les gens qu’ils devront trouver à l’avenir d’autres vêtements à mettre dedans », raconte Mme Aubry, pour qui aucune somme d’argent n’allait compenser cet étalage de sa vie privée.

Dominique Chagnon, elle, a découvert au printemps ses cadres de fenêtre endommagés par le ruban adhésif (duct tape) utilisé pour fixer de gros tuyaux d’air climatisé. « J’ai fait : Ah ouin. On ne l’avait pas vu, ça », dit-elle.

Fin heureuse

Malgré tout, les deux femmes répéteraient l’expérience sans hésiter.

« C’était vraiment l’fun. Ils ont été tellement gentils et accommodants. Ils ont même trouvé un rôle à mon conjoint. Mes enfants étaient là tous les jours à jaser avec les enfants de la série », se remémore Chantal Aubry.

Dominique Chagnon abonde dans le même sens. Elle émet néanmoins une mise en garde. « Il faut comprendre que ce sont des artistes qui recherchent une image, un son, un punch. Il faut être dans ce mood-là avec eux. Et s’ils préfèrent que tu ne sois pas là, il faut être prêt à ça. Tu l’as louée, ta place. Tu n’as plus d’affaire là. »

Proposer sa maison

Le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ) a développé une photothèque qui permet aux propriétaires de maison de soumettre leur résidence comme lieu de tournage. Les différents bureaux de cinéma régionaux et municipaux peuvent utiliser et bonifier cette banque de données.

Cet outil, gratuit et public, contient près de 8000 lieux et 165 000 photos permettant aux producteurs de trouver leurs prochains lieux de tournage.

Le BCTQ ne négocie pas les ententes de location entre la société de production et un propriétaire de maison. Son rôle se limite à proposer une liste de lieux potentiels pour un tournage.

Consultez le formulaire pour proposer votre maison