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Des complotistes ont décrit récemment le modèle de la « ville en 15 minutes » comme un plan diabolique, conçu pour restreindre la liberté de mouvement de la population. Ce concept apporte plutôt une justice sociale et une solution aux prochains défis environnementaux, affirme l’architecte montréalais Daniel Pearl, qui a étudié en profondeur ce concept novateur.

« Nous sommes dans une crise écologique si difficile pour les 15 prochaines années qu’il faut regarder désormais l’architecture dans une approche de paysages urbains », affirme M. Pearl, qui croit que Montréal devrait suivre la voie tracée par des villes comme Paris, Dublin et Portland.

En effet, un changement des mentalités s’impose lorsqu’on jette un coup d’œil aux dangers qui guettent la métropole québécoise, poursuit cet associé au bureau L’Œuf Architectes et professeur de l’Université de Montréal, en tirant une carte topographique préparée par Ouranos, un pôle d’innovation spécialisé en évolution climatique, pour illustrer son propos.

À l’écran, la carte affiche des traits hachurés sur l’ancien lit du lac à la Loutre, entre les échangeurs Turcot et Saint-Pierre, pour désigner ce qui deviendra l’une des prochaines zones inondables provoquées par la montée des océans et la hausse des précipitations.

Ce n’est pas tout, ajoute-t-il. Dans ce même secteur, en été, les moyennes de température sont plus élevées de 7 à 8 degrés qu’à Westmount ou Mont-Royal. « Quand il fait 27 degrés là-bas, il fait 35 degrés ici », précise M. Pearl dans ses bureaux de Saint-Henri, tout en rappelant que des canicules à répétition ne seront plus l’exception dans les prochaines années.

Devant ces bouleversements annoncés, il est nécessaire de revoir la conception de la construction, croit le chercheur universitaire. C’est là, dit-il, que le concept de la « ville en 15 minutes » offre non seulement des pistes de solution, mais aussi une vision globale où l’architecture s’intègre à l’urbanisme.

L’exemple de Barcelone

« La ville en 15 minutes, c’est une expression qui signifie que le citoyen a accès à tout ce qui lui est nécessaire dans un rayon de 15 minutes de marche », explique Daniel Pearl.

Pas besoin de voiture, donc, pour se rendre dans un café ou une boulangerie, poursuit-il. Non seulement le trajet se fait plus rapidement à la marche, mais il permet aussi au marcheur « de conserver sa forme physique, de rencontrer des gens et de profiter de la flore et la faune ».

De plus, un tel quartier est mieux conçu pour limiter la pollution, combattre les îlots de chaleur, améliorer la sécurité dans les rues, revitaliser les artères commerciales, renforcer la cohésion sociale et bonifier la biodiversité. La liste des bénéfices est longue, déclare M. Pearl, en citant l’exemple de Barcelone.

Aux prises avec une qualité de l’air responsable de la mort de 3500 personnes par année, la métropole catalane a pris en 2016 le pari proposé par l’architecte espagnol Salvador Rueda, reconnu comme le père des « super-îlots ».

Un « super-îlot » est un quadrilatère désormais protégé de toute circulation de transit. En son centre, d’anciens carrefours sont convertis en places publiques, emplies d’arbres, de bancs et de jeux pour enfants, et même de pistes de danse en certains endroits.

Reliés par des corridors verts, ces super-îlots permettent aux habitants de se déplacer à pied ou à vélo en toute sécurité. Ils sont l’incarnation, à Barcelone et ailleurs, de la ville en 15 minutes, explique Daniel Pearl, qui collabore avec Salvador Rueda depuis le milieu des années 2000.

Réunir les ingrédients essentiels

Une ville en 15 minutes est-elle possible à Montréal ? Bien sûr, répond M. Pearl sans hésiter, à condition de réunir les conditions gagnantes.

Cette recette se compose d’une quinzaine d’ingrédients essentiels, comme une haute densité de population, des services efficaces de transport collectif, une abondance d’espaces verts, une riche vie commerciale locale et d’autres ingrédients de cohésion sociale, énumère le chercheur.

« Par exemple, pour une ville de 15 minutes, la cible est de 85 à 100 logements par hectare, de manière à soutenir une réelle offre de transports collectifs », affirme-t-il.

Comment alors parvenir à réunir les éléments nécessaires à Montréal où la moyenne s’élève à seulement 40 logements par hectare ? En ciblant des secteurs actuellement dépeuplés et sans infrastructure qui permettent de rebâtir sur de nouvelles bases, répond Daniel Pearl en nommant différents endroits du sud-ouest de Montréal comme Verdun, Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri, LaSalle, Ville-Émard et Côte-Saint-Paul.

C’est justement sur une zone de 250 hectares, qui englobe l’échangeur Saint-Pierre, les abords du canal de Lachine, des parties de LaSalle et les terrains des industries Dominion, que travaillent actuellement les troupes de Daniel Pearl.

Une nouvelle vision pour le canal de Lachine
  • Trois étudiants de Daniel Pearl ont concentré une partie de leurs efforts sur le site Dominion, coincé entre l’autoroute Jean-Lesage et le canal de Lachine.

    IMAGE TIRÉE DE GOOGLE MAPS, MODIFIÉE PAR JORDANE CASTONGUAY, BENJAMIN GUTZEIT ET OLIVIER PESANT

    Trois étudiants de Daniel Pearl ont concentré une partie de leurs efforts sur le site Dominion, coincé entre l’autoroute Jean-Lesage et le canal de Lachine.

  • Une ville en 15 minutes demande une mixité de logements pour permettre une cohésion sociale, selon les architectes montréalais.

    IMAGE FOURNIE PAR DANIEL PEARL*

    Une ville en 15 minutes demande une mixité de logements pour permettre une cohésion sociale, selon les architectes montréalais.

  • Les voitures n’auraient qu’un accès partiel à certaines rues principales et secondaires dans le quartier redessiné.

    IMAGE FOURNIE PAR DANIEL PEARL*

    Les voitures n’auraient qu’un accès partiel à certaines rues principales et secondaires dans le quartier redessiné.

  • Les habitants du quartier bénéficieraient d’un bouquet de services de transport collectif à haute fréquence.

    IMAGE FOURNIE PAR DANIEL PEARL*

    Les habitants du quartier bénéficieraient d’un bouquet de services de transport collectif à haute fréquence.

  • La circulation à travers le quartier serait assurée par la construction de pistes cyclables et de voies piétonnières.

    IMAGE FOURNIE PAR DANIEL PEARL*

    La circulation à travers le quartier serait assurée par la construction de pistes cyclables et de voies piétonnières.

  • Le nouveau quartier serait quadrillé de rues, mais ne compterait que deux stationnements pour les voitures.

    ESQUISSE PRÉPARÉE PAR JORDANE CASTONGUAY, BENJAMIN GUTZEIT ET OLIVIER PESANT

    Le nouveau quartier serait quadrillé de rues, mais ne compterait que deux stationnements pour les voitures.

  • La mixité des immeubles permettrait une haute densité de population sur le site Dominion.

    ESQUISSE PRÉPARÉE PAR JORDANE CASTONGUAY, BENJAMIN GUTZEIT ET OLIVIER PESANT

    La mixité des immeubles permettrait une haute densité de population sur le site Dominion.

  • L’équipe de Daniel Pearl prévoit la naturalisation à plusieurs endroits du canal de Lachine pour permettre son assainissement et pour attirer une biodiversité.

    IMAGE FOURNIE PAR DANIEL PEARL*

    L’équipe de Daniel Pearl prévoit la naturalisation à plusieurs endroits du canal de Lachine pour permettre son assainissement et pour attirer une biodiversité.

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* Esquisses préparées par les étudiants de Daniel Pearl à l’Université de Montréal et par les professeurs invités Michel Langevin, architecte de paysage, Marianne Lafontaine, architecte de paysage, Jean-Marc Weill, architecte/ingénieur, et Amy Oliver

Cette équipe multidisciplinaire, composée d’étudiants, d’architectes, d’ingénieurs et d’architectes de paysage, a élaboré les plans détaillés d’un quartier composé de nouveaux immeubles résidentiels et commerciaux, de bâtiments et d’entrepôts reconvertis, tous séparés par un tricot d’espaces verts propices à la vie active. La diversité des logements assurerait une mixité sociale, souligne Daniel Pearl.

Les résidants de ce quartier, traversé par plusieurs pistes cyclables, auraient accès à des transports collectifs à haute fréquence. Les automobiles et les camions de livraison seraient confinés à quelques rues primaires et secondaires.

Plusieurs obstacles, à la fois politiques et financiers, se dressent devant la réalisation d’un tel projet novateur, reconnaît l’universitaire. « Mais il coûte moins cher de se préparer aux catastrophes que de réparer les dégâts », rappelle-t-il.

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