L’inventeur était à mi-parcours de sa course à pied, sur une rivière gelée d’un parc du Saguenay, quand il a eu l’idée. Il a aperçu un jeune en fauteuil roulant freiné par la neige. Impossible de rouler jusqu’au rivage. Et la glace aurait cédé sous le poids d’une motoneige.

Yvon Martel s’est mis à imaginer une chenillette électrique, légère, pouvant passer partout, aussi bien dans la neige que sur terre, sur la glace ou dans la boue. Le tout sans bruit. Sans pollution de l’air. Et tant qu’à inventer, il s’est dit que l’idéal serait de pouvoir la télécommander.

« J’ai eu le déclic en voulant aider l’humain », lance-t-il.

C’était il y a 13 ans. La chenillette électrique, baptisée MTT, était née. Aujourd’hui, elle est présente dans des centres de plein air, dans des fermes agricoles, l’armée canadienne l’a dans sa ligne de mire – même des chercheurs du Groenland s’y intéressent pour vérifier l’épaisseur des glaces dans les crevasses.

Le MTT trace sa route dans des sentiers de fatbike, de course, de ski ; il peut aller dans des crevasses, il ouvre des sentiers partout. Il ne pèse que 500 livres [226 kilogrammes] avec une pile. Il flotte littéralement sur la neige, en silence, sans empester l’air.

Yvon Martel

Visuellement, le MTT a quelque chose qui rappelle les luges inuites. Il y a deux modèles, dont un muni d’une manette, pouvant être guidé à distance. Récemment, la chenillette a été mise à l’essai dans un parc-jardin de la Californie, où de petites chèvres peuvent surgir la nuit, raconte fièrement M. Martel. Il assure qu’aucun animal n’a été blessé.

Président et directeur général de Mobilité électrique Canada, Daniel Breton, ancien député et ministre de l’Environnement, raconte qu’il a eu l’occasion de rencontrer le concepteur et son équipe, il y a cinq ou six ans. La chenillette était déjà fonctionnelle à l’époque, précise-t-il. Selon lui, il y a des travaux à l’étude au gouvernement provincial et fédéral pour instaurer un crédit à l’achat de ce type de véhicule.

  • Yvon Martel et sa chenillette électrique

    PHOTO ROCKET LAVOIE, LE QUOTIDIEN

    Yvon Martel et sa chenillette électrique

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« Je trouve la chenillette extrêmement originale et pratique, une idée brillante. On parle d’un outil de travail hors route qui a un avenir certain. Pas juste pour les sentiers. La chenillette a certainement son utilité dans des zones difficiles d’accès, que ce soit pour l’armée, la garde côtière ou pour des sauvetages. »

Au fil des années, M. Martel et son équipe ont réussi à conférer une autonomie de 75 kilomètres à la chenillette, grâce à trois piles interchangeables rapidement. Les piles ont ceci de particulier qu’elles n’ont pas besoin d’une borne, elles peuvent se recharger sur une prise résidentielle de 240 volts. La vitesse maximale de la chenillette est de 18 km/h.

Motoneige électrique

Avec ses 24 parcs nationaux, la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) a adopté une politique visant à prioriser l’achat électrique ou hybride pour entretenir ses milliers de kilomètres carrés. Il y a trois ans, la SEPAQ a sérieusement envisagé l’acquisition du MTT, avant d’arrêter son choix sur l’achat de sept motoneiges électriques (Taiga) pour ses patrouilles, le transport des bagages et les différentes interventions.

Simon Boivin, de la direction des communications à la SEPAQ, explique que la « rapidité » nécessaire à l’entretien des sentiers de ski de fond a pesé lourd dans la balance. La SEPAQ demeure cependant à l’affût des innovations, explique-t-on.

« Par grands froids, les sentiers de ski de fond classique et de patin ont tendance à durcir, je pense entre autres à ceux de la station Duchesnay et du Camp Mercier, dans la Réserve faunique des Laurentides. On a besoin d’une dameuse avec une grande puissance hydraulique, et d’un véhicule muni d’une cabine pour parcourir les grandes distances. »

Sentiers urbains

M. Martel a récemment présenté sa chenillette à l’armée norvégienne, pour mener à bien des interventions et opérations de sauvetage. Des pourparlers sont en cours avec un arrondissement de Montréal, indique-t-il. Avec le secteur hydroélectrique, également. Selon lui, sa chenillette est le « smartphone du transport et de l’énergie ».

« Le milieu agricole devient drôlement important pour nous, entre autres pour le transport des balles de foin, pour étendre les toiles de protection sur les semis. Le MTT a trouvé preneur dans des érablières, dont une de 115 000 entailles ; la chenillette est juste à la bonne hauteur pour vérifier les tubulures. On l’a testée dans une pente à 35 degrés, elle a supporté une charge de 1000 livres [454 kilogrammes] en descente. Sa polyvalence est inégalée. »

L’usine de fabrication MTT Technologie du Saguenay–Lac-Saint-Jean compte une vingtaine d’employés. Sa capacité annuelle de production est de 5000 chenillettes, avec des matériaux provenant majoritairement de la région, dont l’aluminium.

Féroce compétition

La compétition est féroce pour décarboner le transport hors route. Dans la région de Savoie, en France, le centre de ski Val Cenis a mis en service en décembre une première dameuse 100 % électrique, conçue par l’entreprise Prinoth. Le géant John Deere a présenté l’été dernier un tracteur électrique ne possédant pas de cabine, avec une autonomie de 10 heures. Les véhicules électriques industriels de la société Motrec sont également de plus en plus nombreux dans les usines, pour le transport de passagers, notamment dans les aéroports.