L’année 2020 a crevé bien des plafonds dans le secteur de l’immobilier, avec des ventes et des prix records. Si tous les segments de marché ont été concernés, à des degrés variables, l’un d’eux retient particulièrement l’attention : celui du haut de gamme, qui a atteint des sommets à en donner le tournis. Alors que l’incertitude plane au-dessus de l’économie, les acheteurs les mieux nantis n’ont pas hésité à mettre la main à la poche pour s’offrir de prestigieuses propriétés.

La plus importante transaction résidentielle jamais réalisée au Québec ? Elle a eu lieu en 2020, à Montréal, au coût de 20 millions de dollars. La banlieue n’est pas en reste : à Boucherville, Hudson ou Rosemère, de luxueuses demeures qui amassaient la poussière depuis plusieurs années se sont envolées à coups de millions.

Les courtiers spécialisés dans ce segment de marché sont unanimes : ça va bien, leurs affaires. Plus que jamais, même. « Les ventes de propriétés haut de gamme ont connu une forte hausse de leur activité en 2020, alors que 2019 enregistrait déjà un record de ventes dans ce segment dans la région de Montréal », souligne Charles Brant, directeur du Service de l’analyse de marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ). Les chiffres ne mentent pas : les transactions concernant les propriétés valant 1,5 million et plus ont presque doublé par rapport à l’an passé.

L’antenne québécoise d’Engel & Völkers, agence spécialisée dans le luxe, a quant à elle enregistré des résultats en progression de 30 %, matant ceux de 2019, déjà mirobolants.

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Patrice Groleau et Debby Doktorczyk, propriétaires de l’agence immobilière Engel & Völkers au Québec

Qu’est-ce qui explique cette ruée vers les maisons dorées ? Globalement, on retrouve les mêmes mécanismes qui ont fait surchauffer l’ensemble du marché en 2020. « C’est une combinaison de facteurs qui a créé une tempête positive et un effet d’accélération d’un mouvement déjà entamé avant la COVID », indique Patrice Groleau, propriétaire d’Engels & Völkers à Montréal et de McGill Immobilier.

La stabilité et la solidité du marché par rapport aux autres secteurs d’investissement, l’explosion de la demande hors métropole provoquant la fonte des stocks, les bas taux d’intérêt, les atouts du Québec auprès de la clientèle internationale, les économies réalisées sur divers plans pendant la pandémie (vacances annulées, restaurants fermés, etc.) ont provoqué un engouement pour le bâti, notamment de prestige.

Une des façons de se protéger de l’inflation, c’est l’immobilier. Entre un bien immobilier qui se maintient, répondant à un besoin primaire, et une grosse voiture sport qui perdra rapidement de la valeur, on voit dans le premier un placement et un plaisir.

Patrice Groleau

« En cas de crise, il y a deux valeurs sûres : l’or et la pierre. L’argent ne rapporte rien placé en banque, alors que si on investit dans la pierre, c’est une valeur concrète et vous avez un toit », renchérit Marie-Yvonne Paint, courtière Royal LePage spécialisée dans le haut de gamme qui a réalisé plusieurs ventes records sur la Rive-Sud en 2020.

Banlieues de plus en plus cossues

Quand la métropole a perdu des plumes en matière de résidants au profit des banlieues et régions, les propriétaires les plus riches faisaient partie de l’exode.

L’an passé, la proportion des ventes d’unifamiliales de plus de 1 million a plus que doublé dans la plupart des marchés périphériques de l’île de Montréal par rapport à 2019, confirme Charles Brant, de l’APCIQ.

Cette quête d’espace et d’air frais a dopé le marché dans le segment du luxe comme jamais. Résultat : la demande a largement surpassé l’offre, faisant exploser les prix en banlieue.

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Marie-Yvonne Paint a constaté un emballement du marché de luxe dans les banlieues montréalaises, où elle a vendu avec aisance en 2020 des propriétés valant plusieurs millions, alors que certaines patientaient sur le marché depuis trois ans.

« Avant la COVID-19, ces banlieues étaient un marché extrêmement lent, mais il y a clairement eu un engouement », constate Mme Paint. « À Rosemère, nous avions une maison sur le marché depuis trois ans. Soudainement, on a eu une avalanche de visites, trois offres, et on a vendu au prix demandé. Même chose à Boucherville. On parle de maisons de 2 millions et plus », indique celle qui a battu des records en 2020 pour la Rive-Sud, avec une maison vendue à 4,55 millions, et un palace à Hudson, 5,65 millions.

Le goût du luxe a également contaminé diverses régions, notamment pour la villégiature de haute volée : dans les Cantons-de-l’Est, Charlevoix et les Laurentides (particulièrement Mont-Tremblant), les ventes de grosses cabanes sont allées bon train.

Des gros sous bien de chez nous

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Le marché du haut de gamme a été particulièrement vigoureux pour les maisons unifamiliales, moins prisées par la clientèle internationale, davantage intéressée par les condos.

Beaucoup s’imaginent que le marché du manoir à dorures est dominé par les acheteurs étrangers, cigare au bec et ne connaissant pas un traître mot de français. La réalité est tout autre, selon Patrice Groleau, dont la clientèle est locale à 60 % en temps normal. En 2020, cette proportion est montée, grosso modo, à 90 %. « Les gens sous-estiment beaucoup l’argent qu’il y a à Montréal », évoque-t-il.

D’autant plus que le marché du haut de gamme a été particulièrement vigoureux pour les maisons unifamiliales, moins prisées par la clientèle internationale, davantage intéressée par les condos. « Dans les maisons haut de gamme, il est rare d’avoir des clients de l’extérieur du Canada qui achètent une maison qu’ils n’habitent pas », dit Mme Paint.

Quant aux profils, ils sont extrêmement variés : jeunes millionnaires des start-up, entrepreneurs, cadres, héritiers, médecins, etc., énumère M. Groleau.

Rouler sur l’or

Cette tendance se maintiendra-t-elle en 2021 ? Oui, d’après les courtiers spécialisés ; même si elle ne gardera probablement pas une cadence aussi effrénée, qui rendrait les prix prohibitifs même pour les portefeuilles les mieux garnis. Les analystes d’Engels & Völkers prévoient une hausse nationale des prix de 7 % pour les propriétés de 1 million et plus en 2021. À Montréal, où l’on a enregistré une hausse de 21 % toutes catégories confondues, l’enseigne table sur une augmentation réduite de moitié cette année.

« Je pense que ça va se maintenir, les taux d’intérêt sont encore très bas », évalue Marie-Yvonne Paint. « On est au vert partout. C’est aujourd’hui le temps du “Quebec Dream” pour le luxe en immobilier ! », lance Patrice Groleau.

Un tourbillon de chiffres

Propriétés vendues à plus de 1,5 million au Québec

• 2019 : 485 (soit 412 unifamiliales et 73 copropriétés)

• 2020 : 832 (soit 745 unifamiliales et 87 copropriétés)

Propriétés vendues à plus de 1 million en banlieue montréalaise

Banlieue Nord

• 2019 : 27

• 2020 : 82

Rive-Sud

• 2019 : 122

• 2020 : 269

Sources : Centris/MLS, APCIQ, Royal LePage