Quitter la ville, atteindre l'autosuffisance alimentaire, avoir son jardin, choisir sa viande, manger bio, ce sont des rêves que de plus en plusde citadins partagent. Pour des jeunes, et des moins jeunes, cet appel de la nature se traduit par l'achat d'une terre. Grand saut vers une nouvelle vie.

POSSÉDER SON COIN DE PAYS

Ils ont à peine 40 ans. Pour la plupart, ils ont vécu à plein l'effervescence de la ville sans jamais avoir connu la vie sur une terre. Pourtant, ils ont choisi d'investir leur argent à la campagne, loin de la brique et du mortier. Portraits

Un modèle qui évolue

- Hans Drouin, 40 ans, recherche et développement en génie chimique et artisan

- Amélie Roberge, 37 ans, enseignante suppléante et artisane

Après un séjour d'études à Vancouver et un passage à Montréal, le couple a décidé de retourner en région, à Tingwick, près de Victoriaville. Même s'il cherchait au départ une terre à bois, Hans Drouin a déniché une ferme avec une maison, des bâtiments et 92 acres de terre. Le couple est tombé sous le charme de l'endroit et a décidé de plonger. «On pensait louer la partie agricole. On avait une vision un peu romancée de la chose, on s'imaginait que ça allait se payer tout seul en location. Mais en faisant les calculs, ce n'était pas du tout le cas. Alors, on était obligés de l'exploiter nous-mêmes», se souvient le propriétaire.

Et c'est sans aucune expérience en agriculture et en élevage qu'Hans Drouin, aidé d'un voisin généreux de son temps et de son savoir, s'est rendu à l'encan pour acheter ses deux premières vaches. Au bout de plusieurs longs mois, jonglant avec ses horaires de travail pour faire le train, le couple en est arrivé à un troupeau de 21 bêtes.

Pendant quelques années, il s'occupe de la ferme à temps partiel. «On ne faisait pas d'argent avec les vaches, admet Amélie Roberge. On avait de la bonne viande de qualité bio, ça nous permettait d'en vendre à notre entourage, mais on arrivait kif-kif. C'était beaucoup plus de travail qu'on pouvait l'imaginer.»

À l'aube de la quarantaine, Hans Drouin fait une remise en question sur sa qualité de vie: «La réalité, c'était que je n'étais pas là une partie de la semaine pour le travail et quand j'arrivais à la maison, je devais m'occuper des vaches. Alors, on a pris la décision de changer le modèle, vendre le troupeau et plutôt exploiter le bois.»

Avec plus de temps pour eux, Amélie Roberge et Hans Drouin ont pu se consacrer à de nouveaux projets. Elle a créé la Fabrique Paparmane et il a fondé Appalaches Design, un atelier de fabrication de meubles qui utilise le bois de la terre comme matière première.

«On se considère comme vraiment privilégiés d'avoir ce petit coin de paradis là. On a travaillé fort, on ne l'a pas eu gratuit, on a encore plusieurs défis devant nous, mais chaque matin, on se répète qu'on est chanceux», confie Hans Drouin.

Le bio, un projet de famille

- Charles Landry, 33 ans, restaurateur

- Andréanne Mercier, 27 ans, représentante pharmaceutique

Depuis un an, Charles Landry et Andréanne Mercier travaillent avec un courtier dans le but de dénicher une fermette dans le secteur de la Montérégie. «On veut pouvoir élever notre famille sur une terre et faire des légumes bios. On a déjà quitté la métropole pour la banlieue pour se rapprocher de la famille, la prochaine étape, c'est la campagne», explique Charles Landry.

Ils n'ont pas grandi sur une terre, mais leur intérêt vient du style de vie associé à la ferme: avoir dans l'assiette le résultat de son travail. «Il y a quelque chose de très sain dans ça, croit le restaurateur. Sans compter l'impact que l'on peut avoir sur les autres et sur l'environnement. Ça pèse pour beaucoup dans la balance. On achète nos paniers bios depuis un bon moment déjà. On voudrait en produire pour nos proches et, peut-être, à un moment donné, faire de la distribution.»

En préparation à une éventuelle production maraîchère, le couple lit beaucoup sur le sujet et échange avec des producteurs locaux. Ensemble, Charles et Andréanne ont visité à quelques reprises la Ferme des Quatre-Temps, une source d'inspiration pour eux. «En attendant d'avoir notre ferme, on en profite pour faire de l'enseignement à nos proches, leur expliquer notre choix et l'importance du bio, de l'achat local. On vit un malaise avec la consommation populaire et c'est un peu d'essayer de transformer ça à notre manière», explique Andréanne Mercier.

Comme ils peuvent tous deux compter sur deux emplois stables, la production maraîchère n'est pas destinée à devenir la source de revenus principale au départ. «Plus ça ira, plus on adaptera notre style de vie pour investir plus de temps et d'argent dans le projet. On a de la latitude sur la possibilité de faire des essais et des erreurs», assure Charles Landry.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Depuis un an, Charles Landry travaille avec un courtier dans le but de dénicher une fermette dans le secteur de la Montérégie.

La terre, sans plan précis

- Yannick Cimon-Mattar, 38 ans, directeur général chez LePointdeVente.com

Il y a deux ans, l'entrepreneur de Québec a acheté 125 acres de terres boisées dans Charlevoix, à un prix largement sous l'évaluation municipale. «J'avais de l'argent de côté et ça faisait longtemps que je voulais un petit coin à moi pour y passer du temps. Je n'avais pas de but précis autre que celui de décrocher du quotidien. Je suis un gars de la ville, alors pour moi, c'était l'attrait de la campagne», explique Yannick Cimon-Mattar.

Sa terre agroforestière en zone verte, il la voit comme une source d'indépendance: «Si je veux faire un retour à la terre et m'intéresser à l'agroforesterie, il y a des ressources sur le terrain. Pour le moment, j'ai une tente prospecteur que j'ai isolée pour l'hiver, j'ai commencé à faire des sentiers et j'ai trouvé l'emplacement où je souhaite bâtir un camp forestier. Je ne pense plus à rien quand je suis là. J'ai vu des orignaux, des traces d'ours, des loups, un barrage de castor...»

Le propriétaire fait actuellement des démarches pour obtenir un plan d'aménagement forestier pour saisir le plein potentiel de sa terre et estimer la valeur du bois qui s'y trouve. «Même si on n'a pas de plan au départ, on en découvre un en cours de route», réalise l'entrepreneur. S'il décidait d'exploiter les ressources qui s'y trouvent, il songerait à replanter de l'érable pour avoir un jour une petite érablière.

«Mettre cet argent à la banque ou dans un terrain que je peux utiliser pour des projets et pour décrocher et que je pourrais revendre à tout le moins au même prix, je n'y voyais pas de différence. Jusqu'à ce qu'on tombe dans un cycle de décroissance, le terrain prendra toujours de la valeur», estime Yannick Cimon-Mattar.

PHOTO JEAN MARIE VILLENEUVE, LE SOLEIL

Yannick Cimon-Mattar fait actuellement des démarches pour obtenir un plan d'aménagement forestier pour saisir le plein potentiel de sa terre et estimer la valeur du bois qui s'y trouve.

PAR OÙ COMMENCER?

Intéressé par l'immobilier agricole? L'aide d'un courtier pour ce type de transaction est fortement encouragée, surtout s'il s'agit d'un premier achat du genre. Question de zonage, financement ou viabilité du projet envisagé: il faut tenir compte de nombreux éléments avant de conclure une transaction.

Trois types de propriétés

En immobilier agricole, il faut différencier les catégories. Parmi celles-ci, on retrouve les fermes de grande culture, les terres à bois et les fermettes. «Les fermes de grande culture sont des entreprises destinées aux gens qui font de l'agriculture un emploi à temps plein. On parle d'en moyenne 1000 hectares. S'ajoutent aussi les terres de cultures qui n'ont pas de bâtiment et qui sont destinées aux fermes de grande culture», précise David Couture, courtier immobilier et ingénieur agricole.

La terre à bois intéresse surtout les chasseurs ou les investisseurs. Elle ne génère pas de grands revenus annuels, mais demeure un placement tangible bien souvent à l'abri des fluctuations du marché. «Ce n'est pas une question d'argent, c'est surtout un placement ou une vocation, l'idée de laisser un legs à la famille et aux héritiers futurs, remarque M. Couture. Souvent, ce sont des professionnels de la ville qui, une fois à leur retraite, veulent un retour aux sources et une tranquillité absolue.»

Pour sa part, la fermette combine habituellement une résidence et une portion agricole. «La principale différence entre la ferme et la fermette, c'est que la fermette est une propriété agricole qui ne génère pas assez de revenus pour pouvoir en vivre. Et c'est très différent en ce qui a trait au financement, à la mise en marché et à la rédaction des offres d'achat», ajoute Sara de Grady, courtière immobilière.

Des marchés en augmentation

Si le segment des fermettes était très actif au début des années 2010, il stagne aujourd'hui, explique Mme de Grady: «Le financement est plus difficile à obtenir que ce que l'on a déjà connu et, auprès des institutions financières conventionnelles, on demandera 25 % de mise de fonds. Il y a moins de ventes, mais même si le marché est au ralenti, on note tout de même une augmentation des valeurs, année après année. C'est un marché qui est plus dépendant des coups de coeur.»

Toujours à propos du financement, la courtière ajoute que pour les terres à bois, les acheteurs doivent s'assurer d'avoir une très bonne mise de fonds. «C'est un marché qui bouge de façon constante, indique-t-elle. Cependant, les institutions financières sont assez frileuses à l'idée de financer des propriétés agricoles qui n'ont pas de bâtiment, comme c'est le cas avec une terre à bois. La vaste majorité des acheteurs sont des retraités qui paient comptant ou, au minimum, arrivent avec 35-40 % de mise de fonds pour acheter.»

S'informer avant d'acheter

Eux-mêmes producteurs agricoles, les deux courtiers se spécialisent dans l'immobilier agricole depuis 2010 et comptent près de 500 transactions à leur actif. Ils insistent sur l'importance de bien préparer son achat et de documenter soigneusement son projet avant de se lancer. «Les acheteurs ne se rendent pas toujours compte de tout ce que ça implique. Il faut penser à la réglementation qui entoure le zonage agricole et faire les démarches auprès de la Commission de protection du territoire agricole (CTPAQ) si on a un projet spécifique. Idéalement, il faut aller chercher les informations avant même de se lancer dans la recherche d'une propriété», insiste Mme de Grady.

Photo Alain Roberge, Archives La Presse

En immobilier agricole, il faut différencier les catégories. Parmi celles-ci, on retrouve les fermes de grande culture, les terres à bois et les fermettes.