Le rêve de Conrad Hilton était de créer une chaîne d’hôtels offrant tous le même sentiment d’hospitalité. Des décennies plus tard, son empire a ouvert la voie à une génération d’hôtels standardisés dont le décor est impeccablement prévisible et garantit au voyageur de retrouver un environnement familier où qu’il soit sur la planète. Mais ce qu’on souhaite aujourd’hui, c’est d’être dépaysé, surpris, séduit pour que chaque séjour à l’hôtel soit une expérience en soi : unique.

Certains éléments passent ou cassent dans l’impression laissée au visiteur lors de son séjour à l’hôtel : un manque de propreté ou de confort, une ergonomie déficiente ou un manque de commodités ne pardonnent pas. Pour ces raisons, avant de reproduire des chambres en dizaines ou en centaines d’exemplaires, les projets hôteliers d’envergure recréent d’abord le décor dans une chambre témoin qui sera analysée en détail.

Une chambre d’hôtel réussie doit répondre aux besoins de la clientèle et n’avoir aucune source d’irritation : le roulement des chaises, l’insonorisation, le rangement sont-ils adéquats ? Autant de questions auxquelles les concepteurs devront répondre par l’affirmative, tout en respectant un cahier de charges détaillé fourni par les enseignes. S’y greffent des considérations pratiques incontournables comme la facilité d’entretien et le respect du budget.

« L’hôtellerie, c’est l’attention aux détails. Tout doit être contrôlé », résume la designer Louise Dupont, qui travaille avec le Groupe Germain depuis 25 ans. Mais une fois les critères de base cochés, ce qui fait en sorte que le séjour séduit les clients ou non s’exprime ailleurs.

Sortir du lot

PHOTO STEPHANE BRUGGER, FOURNIE PAR SID LEE

Les configurations attendues doivent être revisitées pour créer la surprise, estime Martin Leblanc, qui a travaillé sur le décor des chambres du W de Montréal.

« Ce qui m’insulte comme client, c’est le manque d’imagination et de surprises », relève Martin Leblanc, architecte et associé principal chez Sid Lee Architecture, qui a notamment travaillé à l’aménagement des hôtels W de Montréal et de Toronto et à la rénovation du nouveau Fairmont Le Reine Elizabeth. « On travaille souvent dans des configurations attendues, mais on travaille très fort pour briser le moule. »

Les artisans de l’hôtellerie sont des clients impitoyables, convient Louise Dupont, qui déteste quant à elle les aménagements conçus « juste pour faire beau ». « J’aime qu’on me raconte une histoire à travers le décor », souligne l’associée principale du bureau montréalais de Lemay Michaud. « Et pour y arriver, il n’y a pas de limites. Si ça prend du papier d’aluminium sur les murs pour donner une ambiance lunaire, pourquoi pas ! »

Lors de la création du Germain de Montréal, sa firme a étudié le passé du bâtiment qui fut jadis le siège de l’Ordre des ingénieurs du Québec. L’année de sa construction — 1967 — fut déterminante pour Montréal, mais aussi pour le monde du design qui a vu accroître son champ de possibilités avec l’industrialisation du plastique. La trame narrative était ciblée : le décor fait de multiples clins d’œil à l’époque. « C’est ce genre de trame qui donne un sens à l’aménagement et fait en sorte qu’un établissement se distingue et que les gens ont le goût d’y aller. »

PHOTO FOURNIE PAR LEMAY MICHAUD

Un lit rond installé dans certaines chambres du Germain Montréal fait un clin d’œil au passé de l’édifice érigé en 1967. C’est le cas aussi de la chaise bulle, objet iconique et « instagramable » qui fait jaser.

« Il est important que ce ne soit pas juste un design commercial, mais qu’il soit narratif, corrobore Martin Leblanc. Pour avoir une valeur et une pertinence, un décor doit être en lien avec son environnement. » C’est dans l’histoire qu’elle raconte que la chambre connecte avec l’identité globale de l’hôtel, lui-même campé dans un contexte. « La plupart des marques veulent proposer une connexion locale, mais parfois, on cherche aussi à faire voyager les locaux. »

Un confort dépaysant

PHOTO FOURNIE PAR LEMAY MICHAUD

Dans les chambres du Germain, une œuvre murale reprend certains artefacts du Montréal de 1967.

« Raconter une histoire, vendre des idées : c’est le rôle du designer dans un contexte hôtelier », remarque également le directeur artistique Andrès Escobar, qui a notamment signé l’aménagement d’Humaniti, à Montréal, et de plusieurs hôtels new-yorkais avec sa firme Lemay Escobar. « Ce qui plaît pour un rendez-vous d’un soir, comme un canapé jaune, ne plaît pas toujours chez soi, mais c’est une façon de se transporter de manière éphémère. »

PHOTO FOURNIE PAR LEMAY ESCOBAR

Aux essences de bois naturels et à une palette de couleurs équilibrée et réconfortante s’ajoutent quelques touches énergiques de jaune.

Tous les sens doivent être sollicités, renchérit le designer, et ce plaisir doit être cohérent et omniprésent dans l’ensemble de l’expérience. L’architecte Philip Hazan, qui a élaboré les chambres du Four Seasons de Montréal en collaboration avec l’agence Gilles et Boisier, est aussi de cet avis. « Les sens doivent être interpellés, depuis la réflexion des miroirs à la douceur du velours, le confort du lit, l’attrait du bar et le goût des cocktails offerts aux chambres. Jusqu’à l’odeur qui vient subtilement nous rejoindre et nous mettre immédiatement à l’aise. »

PHOTO FOURNIE PAR LE FOUR SEASONS MONTRÉAL

Baignée de lumière, la salle de bains de cette chambre du Four Seasons de Montréal évoque automatiquement le luxe.

Le succès d’un concept est de créer un espace que l’invité ressent immédiatement comme étant luxueux. Et ce luxe n’est pas associé aux objets, mais plutôt aux émotions que l’on ressent en présence de ces objets.

Philip Hazan, concepteur du Four Seasons de Montréal

PHOTO FOURNIE PAR LE FOUR SEASONS MONTRÉAL

La douceur d’un velours, comme les odeurs, sollicite les sens dans cette chambre du Four Seasons de Montréal.

On cherche à faire vivre une émotion et un confort qui sortent du quotidien. En revanche, l’ambiance doit être enveloppante comme à la maison, souligne Pierre Brousseau, directeur de Camdi design, qui a créé plusieurs décors d’hôtellerie, dont ceux du Capitol, à Québec, et du Place d’Armes, à Montréal. « La tendance est à un design très “homy”. D’ailleurs, on travaille maintenant beaucoup avec du mobilier déposé [plutôt qu’intégré], ce qui donne un décor plus chaleureux. »

« Une chambre d’hôtel, ça doit faire trois choses : être ergonomique, rassurer et surprendre », synthétise Martin Leblanc. Et c’est pourquoi le décor y aura toujours une longueur d’avance sur les tendances résidentielles : il doit nous faire voyager hors du quotidien.