La quenouille fait tellement partie de notre environnement qu'on ne la remarque même plus.

Omniprésente dans les milieux humides peu profonds, elle monte la garde sur le bord des étangs ou le long des fossés où il lui faut souvent jouer du coude avec le phragmite et ses grands plumeaux. Sa personnalité est multiple, étonnante à bien des égards, mais elle reste méconnue comme c'est souvent le cas de nos plantes les plus familières.

En plus d'assumer un rôle écologique essentiel en fixant les rivages ou en filtrant les débris organiques, elle apporte une touche naturelle à nos jardins d'eau. À l'occasion, la quenouille figure même au menu du cuisinier audacieux. On mange son coeur comme succédané des coeurs de palmiers, le rhizome séché et réduit en poudre servait jadis aux Amérindiens à faire du pain et des poudings (l'amidon contenu dans les racines serait très semblable à celui des céréales). Et vers la fin de juin ou au début de juillet, selon la région du Québec, les épis de pollen peuvent se transformer en délicieux petits «Pogo».

 

On compte une douzaine d'espèces de quenouilles dans le monde, dont la quenouille à feuilles étroites (Typha angustifolia) et celle à feuilles larges (Typha latifolia) qu'on retrouve non seulement un peu partout au Québec, mais aussi sur la planète, dans les pays tempérés ou chauds, aussi bien en Afrique du Nord qu'en Asie, en Europe, en Amérique du Sud et même en Nouvelle-Zélande. Les deux espèces demeurent extrêmement difficiles à distinguer l'une de l'autre, du moins pour les amateurs que nous sommes, parce qu'elles poussent souvent ensemble et que leurs caractéristiques sont semblables, souvent identiques.

Les quenouilles forment un réseau de racines extrêmement dense qui prendra tout l'espace disponible. Seul un sol sec ou encore l'eau trop profonde limiteront ses ambitions territoriales, une situation qu'il faut absolument avoir à l'esprit quand on veut l'introduire dans un bassin d'eau. Chez moi, par exemple, les quenouilles sont installées dans une dépression créée lors de l'aménagement du bassin d'eau de façon à contrer toute tentative d'évasion. Si elles veulent sortir du territoire qui leur a été assigné, le substrat environnant ne convient pas à leur expansion, parce qu'il est sec ou insuffisant pour permettre l'implantation des rhizomes.

Le système fonctionne à merveille au point que je me suis permis d'y ajouter deux autres types de quenouilles, une forme panachée, Typha latifolia «Variegata», très originale avec ses grande feuilles vertes et jaunâtres, et Typha minima, ou quenouille naine, aux feuilles extrêmement étroites et délicates qui ne dépassent guère les 70 cm de hauteur. Sa massette brune (les têtes de quenouilles sont des massettes) a la forme et la taille d'une balle de ping-pong. Offerte chez les pépiniéristes qui vendent des plantes aquatiques, la quenouille naine est la plus jolie de toutes. Malheureusement, sa massette est très éphémère et, selon mon expérience, la plante semble avoir de la difficulté à survivre au gel hivernal même si elle est considérée comme rustique en zone 3.

Une tige bicéphale

Personnalité étonnante, vous disais-je.

Justement, la période actuelle est propice pour découvrir l'aspect le plus original de son caractère. Deux têtes valent mieux qu'une, nous dit l'adage. Chez la quenouille, c'est le contraire. Typha possède deux têtes qui n'en formeront finalement plus qu'une seule. Cet aspect bicéphale est particulièrement évident à ce temps-ci. La partie supérieure est la fleur mâle, un amas de pollen se détachant progressivement de son axe pour féconder la partie inférieure, la fleur femelle, qui deviendra rapidement cette fameuse massette qui nous est si familière. Plus la massette mûrit, plus le pollen disparaît pour laisser finalement un axe rigide et nu qui persistera durant des mois sur la tête de madame. Quant à la fleur femelle, elle est formée d'une multitude de graines. À sa maturité, la massette brune commencera à s'effilocher au gré du vent, comme les graines du pissenlit, un pissenlit très dense qui fait parfois le grand plaisir des enfants... mais pas celui de leurs parents.

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«Pogo» de quenouille



Voilà des années que je voulais vous présenter mes «Pogo» au pollen de quenouille, mais chaque fois des problèmes de logistique sont venus à bout de mes bonnes intentions. En fin de semaine dernière, avec mon petit-fils Antoine, j'ai pu enfin préparer mes «Pogo» sous l'oeil du photographe Bernard Brault.

Une recette originale et simple qui demande plus un sens d'observation et un certain doigté qu'un grand talent culinaire.

Rappelons que la tige supérieure de la quenouille est composée d'une fleur mâle située à l'extrémité et d'une fleur femelle, placée juste en dessous. C'est l'épi de pollen vert, la fleur mâle, qui nous intéresse. Le hic, c'est qu'il faut le cueillir au moment propice, quand il est encore enveloppé d'un mince tissu végétal blanc. Il faut donc avoir l'oeil. Car lorsque la fleur mâle devient bien visible, il est trop tard pour la cuisiner, même si elle est toujours verte. Sa texture sera alors farineuse, désagréable.

Voici les étapes à suivre: une fois la fleur mâle dégagée de sa gaine, coupez chaque extrémité pour ne conserver que le bâton de pollen et faites blanchir (1 à 2 minutes). Laissez refroidir. Trempez ensuite les bâtonnets dans une sauce à tempura ou un mélange à crêpes très léger et faites frire dans l'huile. Retirez quand ils ont une belle couleur dorée. Salez au goût et mangez tels quels, un peu comme un «Pogo», justement, l'axe central étant plus ou moins rigide.

Il faut éviter de cueillir les quenouilles qui poussent dans des endroits pollués (c'est souvent le cas le long des routes), mais on peut récolter plusieurs plants, la régénération de la plante étant phénoménale. Signalons par ailleurs que les fleurs de quenouilles mâles sont offertes dans certaines épiceries fines.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Les fleurs de quenouilles mâles sont faciles à cuisiner. Les tiges vertes ont été seulement blanchies.