Avec l'entrée en vigueur, en 2003, du Code québécois de gestion des pesticides qui encadre de façon stricte leur usage pour l'entretien de la pelouse, le rêve du magnifique tapis vert en devanture de propriété a commencé à s'effondrer.

Avec l'entrée en vigueur, en 2003, du Code québécois de gestion des pesticides qui encadre de façon stricte leur usage pour l'entretien de la pelouse, le rêve du magnifique tapis vert en devanture de propriété a commencé à s'effondrer.

 Les pissenlits, de plus en plus nombreux, font la belle vie sur nos parterres. Les petites violettes n'ont jamais été aussi nombreuses à travers les brins d'herbe. Le plantain se réinstalle tout comme le trèfle, compagnon inséparable de la pelouse de nos grands-mères. Assiste-t-on aux derniers balbutiements de la pelouse parfaite devant nos maisons?

 Il fut un temps pas si lointain où tout propriétaire qui laissait émerger quelques pissenlits était montré du doigt. Les pissenlits, c'était comme les minous de poussière sur le plancher, un signe tangible de négligence impardonnable qui risquait, de plus, d'infester les voisins. À l'inverse, ce sont maintenant ceux qui affichent un gazon complètement vert qui, pour des voisins de plus en plus nombreux, deviennent suspects.

 Dans notre nouveau monde où les pesticides n'ont à peu près plus droit de cité, un gazon uniforme composé exclusivement de graminées, c'est un signe de tricherie ou pire, de délinquance environnementale. Un danger public, disent même les écologistes qui y voient un gaspillage d'eau éhonté (une pelouse de 100 m carrés boit jusqu'à 45 000 litres d'eau potable par été) et une source de pollution inutile causée par les tondeuses et les pesticides sans compter les risques pour la santé qui en découlent. Pour les propriétaires, la pelouse représente souvent un gouffre sans fond qui gobe de plus en plus de temps, d'énergie et d'argent si on veut vraiment lui garder son aspect idéal.

 Faudrait-il faire une croix sur l'idée même de la pelouse? Pas du tout si l'on se fie à deux auteures, spécialistes du sujet et qui viennent de publier, presque en même temps, deux livres sur les pelouses écologiques. En fait, estiment-elles, il suffit tout simplement d'être moins perfectionniste et surtout plus réaliste, de rétablir la biodiversité dans la pelouse et ce faisant, de se libérer des problèmes qu'elle nous cause pour en jouir véritablement.

Biologiste, Édith Smeesters vient de rééditer Pelouses écologiques et autres couvre-sols aux Éditions Broquet. En 2000, lors de la première publication, le mot «écologique» n'apparaissait pas. «Trop granola. Pas assez vendeur», avait décrété l'éditeur. «Maintenant, c'est différent, estime Mme Smeesters, on croit que le public est prêt, enfin, de plus en plus.»

 Chez Bertrand Dumont éditeur, l'agronome Micheline Lévesque nous offre L'écopelouse - Pour une pelouse vraiment écologique, estime aussi que le fruit est mûr, surtout depuis que le Code de gestion a placé les Québécois face à leur réalité: comme toute autre monoculture, le gazon parfait composé presque exclusivement de pâturin du Kentucky (pas des mieux adaptés pour notre climat) ne peut subsister sans apport chimique massif et le cercle vicieux qui s'ensuit.

 Pour qui tente de trouver une solution, la pelouse sans pesticides constitue une avenue mitoyenne, estime Mme Lévesque. Mais seulement pour ceux qui adorent s'occuper de leur gazon car maintenir, sans pesticides, les conditions idéales requiert un sol parfait d'une bonne épaisseur, un pH idéal (entre six et sept pour des graminées à gazon), un bon choix de graminées (pas de gazon en plaques à moins d'accepter de sursemer pour créer de la biodiversité) et des travaux réguliers (arrosages réguliers, herbicyclage, aération, terreautage). Pas vraiment reposant!

 Reste l'écopelouse ou pelouse écologique, la plus naturelle pour notre climat et nos conditions de sol, expliquent les deux auteures. Oui, il y aura du trèfle, compagnon indispensable de la pelouse en santé et autonome, quelques pissenlits aussi et d'autres soi-disant mauvaises herbes. Votre gazon débarrassé d'apport chimique poussera un peu moins vite et nécessitera donc moins de tontes. Les plantes qui vous plaisent moins se feront moins visibles sous le couperet de la tondeuse idéalement électrique ou manuelle. Cette pelouse-là, c'est celle de nos grands-mères, sur laquelle il faisait bon jouer au badminton, pique-niquer, marcher pieds nus ou chercher des trèfles à quatre feuilles. Elle n'attirait ni les maladies ni les insectes ravageurs.

 Fortement soutenues par les limites rigides imposées par le Cadre de gestion et la réglementation supplémentaire dans des dizaines de municipalités québécoises, les deux auteures vous invitent: si vous en avez assez de vous battre contre la nature et voulez profiter de votre gazon tout en profitant de la vie, explorez au moins l'idée de la pelouse écologique!

La pelouse sans casse-tête

 La pelouse écologique ou écopelouse, c'est la pelouse adaptée pour notre réalité, celle qui n'aura pas besoin d'arrosage, pas besoin de produits chimiques ni de tontes excessives et qui ne dépérirera pas, victime de maladies ou de l'attaque de ravageurs. Comment prendre le virage écologique si l'on se bat vaillamment avec la nature depuis des années pour obtenir une pelouse parfaite?

 D'abord et avant tout, adopter des attentes réalistes et réhabiliter les plantes indigènes qui pourraient pousser dans notre gazon comme le pissenlit. Si vraiment la vision de ces petits soleils nous déplaît, on n'a qu'à tondre.

 Évaluer les conditions (ensoleillement, qualité du sol, pH, etc.) et la vocation pour chaque coin de pelouse. Vous choisirez ensuite des graminées ou d'autres plantes tout à fait adaptées. Ainsi certaines graminées supportent moins bien le piétinement ou sont raides sous les pieds mais conviennent pour couvrir un grand espace moins fréquenté.

 Rétablir la biodiversité en sursemant du trèfle et du lotier par exemple. Ensemencer les espaces dégarnis avec un mélange graminées-légumineuses. Si on opte pour du gazon en plaques, ne pas oublier qu'il s'agit de pâturin du Kentucky et qu'il faudra sursemer si on vise à obtenir une écopelouse.

 Tondre à 7,5 cm (3 po) ou même un peu plus haut et laisser les résidus en place. C'est de la nourriture pour la pelouse. Ne jamais tondre en période de canicule. À noter: les tontes trop rases stressent les graminées et constituent de véritables invitations pour les plantes opportunistes et les vers blancs.

 Dans les endroits peu propices à la pelouse (à l'ombre, sur les talus), variez votre aménagement avec des couvre-sols appropriés (hostas, muguet, herbe aux écus, etc.). Le choix est quasi illimité. Dans le cas du muguet, on peut limiter son expansion à la tondeuse ou le réserver pour les grandes surfaces ou les coins bien délimités. Sur un sol très sec et ensoleillé, le thym peut faire des miracles d'autant plus qu'avec le gazon, il est une des rares plantes à supporter le piétinement. Enfin, certains écomélanges à pelouse conviennent aux endroits plus ombragés.

 À l'automne, laissez les feuilles broyées au sol. S'il y en a vraiment trop, mettez les surplus au compost.

 Maladies et insectes ravageurs sont signes d'un déséquilibre et de mauvaises conditions. Analysez la situation avant de vous précipiter sur des pesticides et des remèdes de toutes sortes.

 Reposez-vous et jouissez de votre pelouse sans en être esclave.

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Conseils tirés de Pelouses écologiques et autres couvre-sols, d'Édith Smeesters, publié aux Éditions Broquet, et de L'écopelouse - Pour une pelouse vraiment écologique, de Micheline Lévesque, publié chez Bertrand Dumont éditeur.

 

Photo fournie par Édith Smeesters

Depuis l'avènement du Code de gestion des pesticides, les pissenlits ont repris droit de cité et constellent souvent les pelouses.