Comme l’avaient anticipé les semenciers, l’engouement pour le jardinage qui s’est amorcé ce printemps continue de se faire sentir. Et les consommateurs s’y prennent à l’avance pour s’approvisionner localement, cette fois.

Plusieurs se rappelleront probablement de Jean-Philippe Zukowski, ce maraîcher en démarrage de Cookshire-Eaton qui, à l’approche d’un gel hâtif, avait fait don de près de 500 lb de tomates à la communauté via Facebook, en septembre dernier.

En fait, M. Zukowski et sa conjointe Karine D’amours avaient un second projet qui se dessinait secrètement à l’époque : depuis le début du mois de décembre, ceux-ci se spécialisent dans la vente de semences potagères ancestrales, et les affaires ne pourraient aller plus rondement.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE JEAN-PHILIPPE ZUKOWSKI

Jean-Philippe Zukowski, maraîcher de Cookshire-Eaton

« Les ventes n’arrêtent pas ! On ne fait même pas de publicités, question d’essayer de réussir à livrer avec des délais raisonnables. On ne pensait pas, mais on va probablement manquer de semences de tomates cette année », confie M. Zukowski.

Même pas besoin de site internet pour le moment. Tout se fait directement par la page Facebook de la Micro Serre Rustique : une demande écrite, une facturation à distance puis un envoi par la poste. L’entreprise offre 19 variétés de semences ancestrales différentes, et prévoit même vendre des plants, ce printemps. « On a 15 variétés de tomates, 3 variétés de poivrons et une de cerises de terre. Ce qui fait notre succès, c’est vraiment les tomates. On tient des variétés qu’on n’a pas l’habitude de voir, comme des tomates jaunes, mauves ou multicolores. Aussi, il y vraiment une tendance pour les variétés rapides et résistantes au froid. J’ai beaucoup de demandes de gens qui habitent plus au nord, comme au Lac-Saint-Jean, l’Abitibi, même la Gaspésie, qui ont des étés plus courts et plus froids. »

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Plus tôt qu’à l’habitude

Le constat est le même pour Mélanie Chapleau, copropriétaire des Jardins de la Gaillarde, une production de semences qui prend racine dans un jardin urbain de trois acres en pleine ville de Sherbrooke. Voyant la vague d’achats qui arrivait, celle-ci a décidé d’ouvrir sa boutique en ligne au début décembre plutôt qu’en janvier.

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« Les gens veulent être certains de ne pas en manquer cette année. Ils font bien, parce que chaque année, j’écoule tous mes stocks », dit celle dont l’entreprise produit environ 30 000 sachets de semences par année, et qui garnira également les étalages de certains détaillants dès la mi-janvier.

Les tomates et les poivrons, qui sont des légumes faciles à démarrer en semis dès la fin mars, ont particulièrement la cote parmi ses 116 variétés. Un inventaire assez petit en comparaison aux grandes maisons de semences étrangères, mais qui a de grandes forces, avance Mme Chapleau. « Ce sont toutes des variétés qui ont été testées ici, pour le climat d’ici », note la productrice, qui remarque certainement une migration d’une partie des jardiniers amateurs vers les semenciers locaux. « On est même dans le microlocal, j’ai beaucoup d’acheteurs estriens. »

La semencière de Frontenac Kélanie Chapdelaine-Lavoie, propriétaire des Jardins féconds de Kélanie, a elle aussi vécu un boom de ventes au cours du dernier mois. Même que certains jardiniers pressés commandaient dès le mois d’août, une pratique qu’elle ne conseille pas particulièrement, tout d’abord parce que les semences en ventes sont préparées pour être semées lors d’une année précise. « Et ça demande beaucoup de temps pour nettoyer et tester les semences, c’est pourquoi les sites sont habituellement prêts en janvier ou en février », note celle qui demande également aux gens de se montrer patients avec les délais postaux, un peu plus longs ces temps-ci.

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Devenir semenciers

Si le moment ne pouvait être mieux choisi pour lancer une telle entreprise, il ne s’agit en rien d’un pas précipité pour Jean-Philippe Zukowski et Karine D’Amours : le couple s’intéresse aux variétés ancestrales de légumes et à la conservation des semences depuis près de 10 ans, et a toujours eu l’habitude de tester près de 20 variétés de tomates par année pour sélectionner les plus intéressantes pour sa propre consommation.

« On parle beaucoup d’autonomie alimentaire, et c’est certain que ça commence par la production des semences, plaide M. Zukowski. Si on veut un Québec autonome, on a besoin de producteurs de semences d’ici qui vont être capables de fournir les plus gros producteurs. Les productions à grande échelle vont beaucoup plus utiliser des semences hybrides qui viennent probablement des États-Unis. Il faut encourager les producteurs d’ici, même quand on est producteur. »