Ça fait bien trois ans que je supplie mes amis chefs de m'emmener aux champignons pour m'initier à la fabuleuse cuisine des bois qu'on en tire après cueillette. Je propose à l'un une virée printanière aux morilles et aux gyromites qui pointent du capuchon dans les sentiers sablonneux dès la fonte des neiges. «La saison est mauvaise cette année», qu'il répond, plutôt gêné, comme s'il me cachait un gros secret.

Ça fait bien trois ans que je supplie mes amis chefs de m'emmener aux champignons pour m'initier à la fabuleuse cuisine des bois qu'on en tire après cueillette. Je propose à l'un une virée printanière aux morilles et aux gyromites qui pointent du capuchon dans les sentiers sablonneux dès la fonte des neiges. «La saison est mauvaise cette année», qu'il répond, plutôt gêné, comme s'il me cachait un gros secret.

Fin juillet, je tente de nouveau ma chance auprès de cet autre copain cuisinier, expert ès chanterelles: «je n'ai pas le temps de récolter cette année», qu'il m'annonce, tout aussi mal à l'aise que le premier. Le troisième, lui, m'assure qu'il est risqué de parler champignons sauvages dans ces pages. Il voit d'ici mes lecteurs se lancer sur une talle d'amanites tue-mouche par erreur et s'intoxiquer d'aplomb par sa faute. Au fond, je soupçonne mes amis cuisiniers mycologues de protéger jalousement leurs sources, comme des journalistes scrupuleux tenus au secret professionnel.

Dans l'arrière-pays charlevoisien

C'est finalement Régis Hervé, chef propriétaire du relais des Saveurs Oubliées, aux Éboulements, qui m'a offert ma première virée aux cham- pignons. «Le printemps et l'été ont été très mauvais pour les champignons, pas assez chauds, malgré beaucoup de pluie, m'explique Régis. Avec un peu de chance, nous aurons un automne idéal.» Lui-même originaire de Touraine, il est tombé dans sa première talle de morilles à l'âge de trois ans, puisqu'il accompagnait son père en forêt tous les dimanches.

«En Europe, la cueillette des champignons fait tellement partie de nos moeurs que ça a provoqué une rareté. Tandis qu'ici, c'est plutôt le développement résidentiel qui provoque la destruction des habitats naturels et complique la vie des cueilleurs. Mais l'avantage de l'Europe, c'est que les pharmaciens ont suivi une formation poussée en mycologie. Ça permet aux amateurs d'en référer à eux lorsqu'ils doutent de la comestibilité d'une espèce.» Car Régis Hervé est formel: on ne se lance pas à l'assaut du monde des cham-pignons sauvages muni de son seul guide illustré, aussi bien fait soit-il.

Mieux vaut accompagner un expert, qui nous enseignera les rudiments. «Il n'existe qu'une dizaine de cham- pignons plus ou moins vénéneux au Québec, dont un seul cause la mort, l'amanite vireuse. Mais il est très important de placer à part les champignons que l'on n'arrive pas à identifier correctement.»

Tendance nature

Même son de cloche de Guy Auclair, chef enseignant qui a conçu le programme de formation en cuisine actualisée pour les professionnels. «On ne s'improvise pas cueilleur, on le devient sous une supervision rigoureuse.» Lui-même mycologue amateur chevronné depuis une trentaine d'années, M. Auclair juge qu'il faut être initié adéquatement par un maître ou, mieux encore, devenir membre d'un cercle de mycologues amateurs. «Il y a différentes dimensions à cette activité de plein air qui gagne en popularité: l'aspect scientifique est important, tout comme le respect de cette ressource fragile qui se reproduit par spores et l'apprentissage des règles de sécurité lors de la cueillette.»

En cuisine, ce sont surtout les chefs européens qui ont contribué à la popularité des champignons sauvages en transmettant leurs connaissances et leur passion à leurs collègues québécois. «Cet engouement a suivi l'évolution de la restauration vers une production du terroir et la recherche d'aliments sauvages qui ajouteraient une note d'authenticité supplémentaire à notre cuisine régionale, ce qui est très positif», explique M. Auclair, au même titre que l'utilisation de têtes de violon, de salicorne ou de coeurs de quenouilles.

«À la fin des années 80, les jeunes chefs de la trempe de Daniel Vézina et de Normand Laprise ont construit un réseau solide de fournisseurs de ces produits sauvages, des gens comme 4 François Brouillard ou Gérald Le Gal, du Gourmet sauvage. Dans la foulée, plusieurs se sont essayé à développer la cueillette commerciale, faisant un peu n'importe quoi n'importe comment, plutôt menés par le désir de faire de l'argent. Mais comme la cueillette de champignons sauvages est une entreprise difficile, que les chefs cuisiniers encadrent de façon assez stricte, je crois qu'une sélection naturelle va se faire très rapidement et que seuls les vrais professionnels vont demeurer.»

La loterie mycologique

Passé Saint-Aimé-des-Lacs, Régis Hervé stationne sa camionnette à l'entrée d'un petit sentier où il pratique le ski de fond l'hiver. Il a préparé un grand panier d'osier. «L'automne, c'est la grosse saison des champignons sauvages et elle bat son plein jusqu'aux gelées d'octobre», précise Régis, qui admet que bien des cuisiniers préfèrent néanmoins aller cueillir les variétés de printemps (morilles) ou d'été (chanterelles, mousserons, pleurotes). Pendant que je m'extasie sur les plants de bleuets sauvages bien mûrs à perte de vue, lui s'est déjà mis en chasse. Son panier au bras, il marche devant en scrutant les alentours avec minutie. «Ah! Voici notre premier cèpe de Bordeaux. Le meilleur de sa famille. C'est une merveille avec des ris de veau ou un beau râble de lapin!» Régis s'accroupit, inspecte le pied, s'assure que cette beauté charnue n'est pas mangée par les insectes, puis il pratique une incision bien nette à sa base avec un petit couteau aiguisé. On n'arrache pas les champignons, on les coupe à leur base si l'on veut préserver la ressource.

Régis s'enfonce de plus en plus loin dans le bois, piqué par cette passion très ancienne qui l'a repris. «C'est comme une chasse au trésor et ça évoque aussi un peu la fièvre du jeu. Quand tu commences, tu ne sais pas ce que tu vas trouver ni en quelle quantité et tu en veux toujours plus», m'explique-t-il en humant une russule blanche qui a un parfum de noisette. Ensuite, il me montre une grosse russule, ce champignon d'un beau orange vibrant qui pousse en deux temps. «Tu vois, pour un mycologue, le défi, c'est d'être au bon moment au bon endroit parce que les champignons étant constitués de 95 % d'eau, leur durée de vie ne dépasse pas 48 heures. Mais cette russule est à point et elle sera la vedette de notre fricassée de champignons de ce soir.» Après avoir découvert plusieurs beaux lactaires délicieux et rempli notre panier, nous mettons le cap sur la cuisine de Régis. Nous en serons quittes pour revenir une autre fois débusquer les longs coprins chevelus, les psalliotes, les girolles et les exquis bolets. Après tout, la saison de la chasse ne fait que commencer!