Son vol est saccadé, un peu à la manière d'une chauve-souris, nous disent les guides d'identification. Voilà le martinet ramoneur.

Son vol est saccadé, un peu à la manière d'une chauve-souris, nous disent les guides d'identification. Voilà le martinet ramoneur.

Si vous habitez dans l'île de Montréal, ouvrez l'oeil. Il est encore présent. Dans mon patelin sur la Rive-Sud, à une dizaine de kilomètres à peine du centre-ville, on ne l'entend pour ainsi dire plus. Peut-être une ou deux fois par été, juste assez pour m'exciter. Assez pour croire qu'il viendra inspecter la fausse cheminée que j'ai fait construire à son intention. Une autre folie, direz-vous.

Étrange destin

Méconnu, même des ornithologues amateurs, très rarement observé de près, presque jamais photographié, le martinet ramoneur commence heureusement à attirer l'attention des chercheurs. Et pour cause: au Canada, au cours des trois ou quatre dernières décennies, sa population a chuté de 95 %, indiquent les biologistes du Service canadien de la faune dans un document publié en mars dernier sur la situation de l'oiseau. Et le déclin s'est aggravé au cours des dernières années.

Dans l'ensemble du territoire canadien, le nombre de couples nicheurs ne dépasserait guère les 7000, dont 2450 au Québec. Mais selon le pire scénario, la population nicheuse serait deux fois moins grande. Et l'avenir s'annonce plutôt sombre un peu partout dans son aire de distribution, qui occupe tout l'est du continent, jusqu'au centre du Québec, pour la partie nordique.

Souvent confondu avec une hirondelle, le martinet ramoneur, qui nous semble souvent noir, est plutôt brun foncé. Fusiforme, on dirait même qu'il n'a pas de queue. Il ne dépasse guère 14 centimètres. Ses ailes sont longues mais très étroites. Espèce insectivore, il est considéré comme un oiseau strictement aérien: il regagne la terre ferme seulement pour dormir dans des dortoirs ou encore construire son nid et élever sa progéniture.

Avant la colonisation de l'Amérique du Nord par les Européens, le martinet nichait dans le tronc des arbres creux, parfois dans les crevasses ou les grottes. Puis avec le défrichement, il s'est mis progressivement à dormir et à nicher dans les cheminées, un phénomène qui a été signalé dès les années 1700. Si bien qu'aujourd'hui, la presque totalité de la population niche dans nos cheminées- dans celles qui restent, devrais-je dire. Un bel exemple d'adaptation.

Le martinet hiverne surtout dans le bassin amazonien, au Pérou, où il utilise encore des arbres creux pour dormir. Il nous arrive au printemps, vers la fin mai, à une période où les cheminées sont généralement au repos. L'oiseau est si bien adapté à son environnement artificiel qu'il fabrique son nid en forme de demi-coupe en collant des brindilles sur la paroi de la cheminée avec sa salive gluante. Les petits, au nombre de trois par année à l'envol, peuvent aussi passer des jours agrippés au ciment ou à la brique de leur abri. Une cheminée loge habituellement un seul couple nicheur mais certaines, les plus imposantes, habituellement situées sur des édifices institutionnels, servent parfois de dortoir à des centaines d'oiseaux à la fois.

Deux fois victime

Victime une première fois de l'exploitation de la forêt, le martinet ramoneur est maintenant victime de la disparition progressive des nombreuses cheminées qui dominaient nos villes et nos villages. L'électricité a remplacé le chauffage au bois dans la majorité des maisons. Les silos et granges, qui jadis abritaient certains d'entre eux, sont aussi disparus du paysage depuis longtemps.

Les cheminées ont été démolies, bouchées ou couvertes de grillage pour répondre aux normes municipales. Si bien que faute de lieux de nidification adéquats, les scientifiques estiment qu'actuellement 40 % des oiseaux ne peuvent plus se reproduire, du moins en territoire canadien.

D'autres phénomènes ont aussi accentué la régression de notre ramoneur volant, le seul martinet dans l'est de l'Amérique du Nord. Par exemple, les cheminées en métal, utilisées lors de l'installation de milliers de foyers au cours des 20 ou 30 dernières années, sont autant de pièges mortels si elles ne sont pas recouvertes de grillage, ce qui est plus fréquent qu'on ne le croit, indiquent les chercheurs. Le problème est que le diamètre de l'orifice est trop petit pour que l'oiseau puisse quitter les lieux après une visite.

L'utilisation d'insecticides en milieu urbain, la coupe forestière et la culture sur brûlis dans les habitats d'hivernage figurent aussi parmi les facteurs aux répercussions négatives. Par ailleurs, de longues périodes de froid au printemps, comme cela s'est produit cette année, peuvent aussi causer des hécatombes chez ces insectivores qui ne trouvent alors plus rien à se mettre dans le bec.

Bref, l'avenir du martinet au Canada s'annonce très sombre. D'autant plus que les connaissances sur cette espèce sont limitées, que les aires de nidification ou de repos ne sont pas protégées et que l'espèce est méconnue des amateurs d'oiseaux et du public en général.

Un espoir: les cheminées artificielles et l'inventaire des dortoirs. Je vous en reparle la semaine prochaine.

Le grand dortoir de Mont-Laurier

Membre du Club des ornithologues de l'Outaouais, Robert Lebrun, de Mont-Laurier, s'intéresse particulièrement au martinet ramoneur.

Il participe notamment à l'inventaire des dortoirs et des lieux de nidification dans sa municipalité, l'endroit où se trouvait le plus important dortoir au Québec.

Le lieu de ralliement est la grande cheminée de la polyvalente Saint-Joseph, l'ancien petit séminaire, un édifice construit il y a plus de 50 ans et situé sur un promontoire. En août 2003, raconte M. Lebrun, avant leur départ pour le Sud, 1600 martinets s'engouffraient dans la cheminée à la brunante pour y passer la nuit, un phénomène spectaculaire qui dure cinq à 10 minutes.

L'an dernier, à la même période, il en comptait à peine 300. Et il y a une dizaine de jours, son carnet d'observation indiquait... 38. S'il est normal que les martinets soient moins nombreux dans les dortoirs en période de nidification, cette diminution radicale est troublante, fait-il valoir. Il n'est pas impossible qu'une famine printanière soit en cause.

Les martinets de Mont-Laurier semblent toutefois nicher en forêt et non dans les cheminées de la ville, fait remarquer l'ornithologue amateur.

Le plus important dortoir au Québec est la cheminée de l'usine Beautex, à Saint-Georges-de-Beauce. On y compte actuellement 200 pensionnaires, mais leur nombre s'élevait à 800 en août dernier.

Les martinets de la famille Brisson

Chercheur à l'Institut de recherche en biologie végétale de l'Université de Montréal, Jacques Brisson est aussi un passionné d'oiseaux.

Aussi ne fut-il pas trop surpris lorsque son fils, de retour d'un camp de vacances, ramena à la maison deux oisillons les yeux encore fermés, des oiseaux tombés au fond d'un foyer qu'on s'apprêtait à allumer.

«Ils étaient couverts de duvet et avaient le bec crochu, ranconte-t-il. J'ai cru un instant qu'il pouvait s'agir de petits rapaces. Mais les circonstances de la découverte m'ont plutôt fait opter pour des martinets, des oiseaux que je n'avais jamais vus de près.»

Toute la famille s'est donc mise à la tâche pour les nourrir. Les petits avalaient goulûment des vers de farine vivants achetés à l'animalerie. Durant ces semaines de soins attentifs, les petits ont rapidement évolué.

Quand ils ont été en mesure de se déplacer, ils se sont élancés sur le mur de briques de la véranda.

«Ils y sont restés agrippés durant des jours sans vraiment se déplacer, ce qui nous a permis de prendre plusieurs photos. Et c'est toujours accrochés à la brique qu'ils se nourrissaient. C'était fascinant de voir à quel point ils s'étaient adaptés à cet environnement pour le moins inusité.»

Puis, après quelques séances d'initiation au monde extérieur, les deux martinets de la famille Brisson ont fini par prendre leur envol et disparaître dans le firmament.