Bien qu’un changement de culture soit en marche, les femmes demeurent largement sous-représentées dans l’industrie de la construction. Les femmes racisées, encore plus. Une réalité que souhaite changer Yvette Rambour, une charpentière-menuisière au parcours hors de l’ordinaire.

« Mon parcours, c’est celui d’une femme moderne qui écrit son histoire. Une histoire souvent difficile et exigeante, souvent brillante et heureuse. Mon histoire est aussi celle de millions de femmes autour du monde », nous a écrit Yvette Rambour dans un courriel avant notre rencontre, qui a eu lieu quelques jours après la Journée internationale des droits des femmes. Bien que son histoire soit aussi celle d’autres femmes qui ont fait leur chemin, le parcours de cette lauréate d’un prix Chapeau, les filles ! en 2022 n’a rien de typique.

PHOTO YAN TURCOTTE FOURNIE PAR CHAPEAU, LES FILLES !

Yvette Rambour a remporté le prix Chapeau, les filles ! 2021-2022 en marge de ses études en gestion-entreprise de la construction.

Née d’un père palestinien et d’une mère israélienne, elle a quitté Nazareth il y a 22 ans pour poursuivre des études en français à l’Université Western Ontario, dans le cadre desquelles elle s’est notamment intéressée à la Révolution tranquille. Un séjour linguistique à Trois-Pistoles a scellé son amour pour le Québec, où elle s’est établie, après avoir appris à tricoter des pantoufles en Phentex et les rouages du tissage.

Pendant 13 ans, Yvette Rambour a été consultante auprès d’organismes sans but lucratif, en lien avec le financement et la gouvernance. Après avoir constaté la vétusté des bâtiments dans lesquels plusieurs étaient installés, et lasse du travail devant un écran, elle a entamé des études professionnelles en charpenterie-menuiserie.

Je n’étais pas vraiment manuelle. À part remplacer des piles et changer des ampoules… Mais mon père était garagiste. Il m’a beaucoup inspirée.

Yvette Rambour, charpentière-menuisière et lauréate d’un prix Chapeau, les filles !

C’est d’ailleurs un mythe qu’elle souhaite déboulonner. Celui voulant qu’on doive savoir tenir une scie et un marteau pour devenir une travailleuse de la construction. Elle a appris. Et continue à apprendre. « Vous ne le savez pas, mais je vais devenir la meilleure charpentière-menuisière au Canada. Pour vrai ! Je travaille très fort pour y arriver. »

Yvette Rambour nous reçoit dans les locaux de la Coopérative Maître d’œuvre (MDO), un entrepreneur général qui fonctionne sur le modèle coopératif et dont plusieurs membres sont des femmes. « L’inclusivité est importante pour moi, de même que la souplesse en termes d’horaires », souligne cette mère de trois enfants qui travaille au sein de cette coop comme charpentière-menuisière depuis septembre.

Sur les chantiers, elle pose des questions. « Il faut être à l’écoute du client et se faire propulser par du cœur, pas juste par l’argent et le profit. Quand on touche à un bien de quelqu’un, à la maison, moi qui viens d’un pays de guerre, c’est quand même sérieux, c’est important, c’est personnel. »

Par son parcours et sa vision, elle souhaite inspirer d’autres femmes, particulièrement les femmes racisées, à envisager une carrière dans la construction. « Il faut vaincre ses peurs. La plus grosse montagne, c’est entre les deux oreilles. »

Des comportements à changer

Mais l’autre montagne, c’est le milieu lui-même qui, selon elle, doit évoluer. La formation également, remarque celle qui a obtenu en 2018 un diplôme d’études professionnelles en charpenterie-menuiserie, puis une attestation de spécialisation professionnelle en gestion-entreprise de la construction.

J’ai changé d’école [en cours de DEP] parce que c’était très difficile où j’étais. J’étais la seule fille. Souvent, je n’avais pas de partenaire. Les hommes, normalement, ne veulent pas travailler avec les femmes. Ils m’ont nommée “la plotte”, et moi qui ne suis pas québécoise de souche, je ne savais pas ce que ça voulait dire. […] On m’a dit : “C’est normal que la fille travaille seule.” Non, ce n’est pas normal !

Yvette Rambour

Yvette Rambour prône la création d’une formation mieux adaptée aux femmes. Elle participe d’ailleurs à la mise sur pied d’un projet-pilote, à l’initiative de MDO, pour le démarrage d’un programme de 12 semaines. Baptisé Bottines & Tournevis, celui-ci permettra de former des femmes de façon théorique et pratique, à travers la rénovation de trois salles de bains.

« Pour avoir plus de femmes dans l’industrie et répondre à la pénurie de main-d’œuvre, il va falloir qu’on modifie des choses », croit Yvette Rambour.

Rendre le milieu plus accueillant envers les personnes issues de la diversité en fait aussi partie. « Je n’ai pas l’accent québécois, donc on me repère tout de suite. Heureusement, mon prénom, c’est Yvette ! […] Il faut démystifier les préjugés. Souvent, on ne forme pas les autres sur la manière d’intégrer quelqu’un de minoritaire. Est-ce que c’est correct qu’on m’appelle “la petite noire” ou est-ce que c’est raciste ? Il y a un apprentissage et il faut créer un espace sécuritaire pour en parler ouvertement. »

« La réalité pour les femmes, c’est que ça s’améliore, mais on part de loin, observe Mathieu Riendeau, entrepreneur général et initiateur du projet de la Coopérative Maître d’œuvre. On voulait atteindre 3 % de femmes sur les chantiers et on l’a atteint en 2022 [3,64 %, selon la CCQ]. Mais il y en a beaucoup qui repartent. »

C’est un milieu traditionnellement masculin dans lequel il y a des comportements toxiques et où ces comportements peuvent encore être valorisés. Ce que ça veut dire pour une femme, c’est qu’il peut y avoir des comportements inadéquats, trop caring ou pas respectueux. Tu peux te faire petitemadamiser.

Mathieu Riendeau, entrepreneur général et initiateur du projet de la Coopérative Maître d’œuvre

Se disant consciente qu’il reste du travail à faire, la Commission de la construction du Québec (CCQ) indique qu’elle s’affaire, avec les partenaires de l’industrie, « à adopter de nouvelles mesures pour favoriser la rétention des femmes (elles sont plus nombreuses à partir après un an que les hommes), à augmenter leur diplomation (elles entrent principalement dans l’industrie par bassin, donc sans diplôme) et à offrir un climat de travail sain et inclusif », a déclaré par courriel à La Presse Marie-Noëlle Deblois, conseillère aux affaires publiques à la CCQ.

Et bien qu’elle ne possède pas de données sur les travailleurs racisés, la CCQ travaille aussi sur différents projets « pour faciliter leur intégration et augmenter leur présence sur les chantiers », ajoute cette dernière.

Yvette Rambour est optimiste : « Ça va changer. Je suis convaincue qu’ensemble, on va arriver à quelque chose de beau. »

« Yvette, c’est une battante, constate Mathieu Riendeau. Elle a connu un pays en guerre, elle a connu plein de choses qui font qu’elle a une énergie vitale qui lui permet de faire son chemin et de persévérer dans ce qu’elle entreprend. Quand elle dit : “Je vais devenir la meilleure menuisière au Canada”, elle le pense vraiment. Et elle va travailler pour ça. Ça veut dire quoi dans sa tête ? Ce n’est pas comme s’il y avait des Olympiques. Mais ça veut dire qu’elle va pouvoir se retrouver dans n’importe quelle situation et savoir comment agir. C’est un méga-empowerment. Menuisière, tu peux arriver n’importe où et te construire une maison. Ce n’est pas rien ! »

En savoir plus
  • 7202
    Nombre de femmes dans l’industrie de la construction au Québec en 2022, soit 3,64 % de la main-d’œuvre totale. Un sommet historique, selon la CCQ.
    Source : Commission de la construction du Québec (CCQ)
    2,5 %
    Proportion de femmes occupant le métier de charpentier-menuisier en 2022 au Québec. En comparaison, 24,7 % des peintres sont des femmes.
    Source : Commission de la construction du Québec (CCQ)