Ils ne sont plus omniprésents comme autrefois, mais il en reste dans pratiquement toutes les ruelles, à Montréal. Ceux qui ont survécu se dressent plus ou moins fièrement dans leurs haillons de tôle ou pavoisent dans de nouveaux atours. Oui, les hangars sont une relique du passé, mais ils ont un présent et peut-être même un avenir.

Quand est venu le temps de déménager, il y a deux ans, Alexis et Yaëlle ont décidé de prendre ce logement du deuxième étage dans Rosemont parce qu'il venait avec un hangar.

Il y avait de l'électricité, mais pas de chauffage ni de fenêtre dans ce hangar. Qu'importe, le précieux espace était là, pour qui avait l'oeil.

« C'était le gros bordel là-dedans, se souvient Alexis. On a fait le ménage. On se sert de la place pour réparer et retaper des meubles. »

En cette journée d'été éclatante de soleil, on a l'impression d'entrer dans cet antre comme dans une grotte. Il faut allumer pour y voir clair. Du coup, c'est presque Noël à la campagne, avec cette guirlande de lumières blanches et la rusticité des murs de bois.

Alexis, qui, comme son père, fabrique des couteaux de chasse et pêche dans ses temps libres, dispose d'un établi. Les outils sont sagement placés dans l'ordre qu'il leur a assigné. Sur un mur, un jeu de fléchettes attend les joueurs. Le hangar sert aussi de pièce de rangement et, justement, tout est bien rangé.

On peut y remiser la piscine de la petite Romy, née après le déménagement, ainsi que d'autres objets saisonniers ou à usage occasionnel.

« Avant, tout était dans une pièce de l'appartement, ce n'était pas commode. Ici, c'est un espace en plus qui libère la maison. »

- Alexis

Même constat du côté d'un couple qui a acheté une propriété dans Rosemont, en considérant le fait qu'il y avait un hangar. Celui-ci a fière allure de l'extérieur, d'autant qu'il est muni de fenêtres. Cette pièce supplémentaire sert d'atelier au maître des lieux. Ici, le hangar joue aussi un autre rôle : celui d'écran à partir de la ruelle, pour assurer l'intimité de la terrasse.

VIVRE DANS LE HANGAR

L'écrivaine Marie Larocque s'apprêtait à déménager lorsque nous l'avons rencontrée, fin juin. L'auteure de L'autre Jeanne, paru récemment, et de Jeanne chez les autres (2013), dormait justement « chez les autres » depuis l'automne dernier. Son hôte, un ami de longue date, l'hébergeait dans son appartement de Côte-des-Neiges. L'excentrique Marie a choisi d'établir ses quartiers dans le hangar du logement.

Elle s'est occupée de l'isoler avec des moyens de fortune, notamment du plâtre et des sacs au plafond, et l'a décoré à sa façon, avec une murale en affiches et pochettes de vieux microsillons, une tapisserie faite main avec des feuilles d'automne et des tentures. Ces dernières avaient toutefois disparu lors de notre passage, puisque Marie, tout comme son hôte, était sur le point de partir. Lui allait s'installer dans un autre logement à Montréal, et elle allait se poser dans une roulotte déglinguée dans Lanaudière, qu'elle avait d'ailleurs commencé à retaper à sa façon, avec son conjoint. Mais ce séjour sera passager, assure Marie. « Cette année, j'ai passé mon premier hiver complet au Québec depuis 15 ou 20 ans. Et je n'en passerai pas un autre », dit-elle en riant.

On se doute bien qu'il ne faisait pas chaud dans le hangar, pendant l'hiver. Quand le mercure flirtait avec les froids polaires, elle allait coucher dans le logement, dit-elle.

« Mais si on me donne le choix entre le hangar et la maison, je prends le hangar, c'est certain ! »

« J'aime l'atmosphère intime du hangar. C'était très chaleureux comme pièce. Ça me rappelait le temps où je voyageais avec mon autobus scolaire, avec ma fille. »

- Marie Larocque, écrivaine

« Ça va avec moi, ça ! Je n'ai rien. Je n'ai que le linge que j'ai sur le dos. Je n'ai pas besoin de meubles. J'aime bien mieux bouger que de payer un loyer », dit celle qui ne se considère ni comme une hippie, ni comme une adepte de la simplicité volontaire, ni comme une « écomaniaque ».

« Les gens essaient de me mettre des étiquettes, mais je ne suis rien de tout ça. Je ne suis pas une bonne citoyenne, je ne recycle pas. Je ne consomme tellement pas que dans le fond, il y a peu de vidanges », conclut-elle.

LE ROYAUME DE BUNNY

Sunny, une voisine, dispose elle aussi d'un hangar de même dimension. Avec ses murs de placoplâtre, son linoléum et son chauffage, l'endroit apparaît comme une annexe de la maison.

Sunny y remise quelques affaires, mais c'est un peu devenu le royaume de la chienne Bunny et du chat de la maison. Leur nourriture y est entreposée et est servie à cet endroit, ce qui libère l'intérieur.

UNE SAINTE VIERGE DANS LE HANGAR

Gabrielle a loué ce logement dans Villeray avec une colocataire, sans vraiment se rendre compte qu'il y avait un hangar.

« On l'a découvert après coup. La première fois qu'on a ouvert la porte, on a fait le saut. Il y avait une statue de la Vierge dans le coin. On l'a rentrée dans la maison. On a pensé à la peinturer, lui mettre des lunettes de soleil, finalement on ne l'a pas fait. On s'est dit que ç'aurait été comme un affront. Elle appartient à la maison. On va la remettre à sa place. »

En y repensant bien, Gabrielle réalise que le hangar constitue un bel espace et songe maintenant à l'aménager.

La voisine, Alexandra, dispose également d'un hangar, qu'elle envisage de transformer en atelier photo et pour vélos. Ils seront bientôt quatre à partager le logement, et cette pièce supplémentaire sera très utile, croit-elle.

Longtemps réduits au rôle de pièce à débarras, on le voit bien que les hangars trouvent aujourd'hui une nouvelle fonction. Mais il n'est pas facile de le savoir, car le hangar demeure un endroit privé, voire un peu secret. Selon la formule consacrée, on pourrait dire que ce qui se passe dans le hangar reste dans le hangar !