Qu'est-ce qu'un bon voisinage? Nous avons posé la question à Nadine Maltais, coordonnatrice du projet-pilote «Voisins solidaires: les bons côtés d'être à côté», et à Julie Rocheleau, directrice générale du Centre d'écologie urbaine de Montréal. Toutes les deux parviennent à la même conclusion: entretenir de bonnes relations de voisinage est une condition essentielle à une ville en santé. Réponse en deux temps.

Nadine Maltais a commencé à creuser la question du voisinage en 2006. Le déclic? Une entrevue radiophonique avec Atanase Périfian, dans laquelle le fondateur de la Fête des voisins en France était invité à raconter l'origine de sa démarche. Un élément a frappé Nadine Maltais: le récit de la découverte d'une dame âgée dans son appartement, morte depuis deux mois. Sans que personne ne se soit jamais inquiété de sa disparition.

«L'événement m'a semblé révélateur d'un vivre-ensemble où on s'est perdu de vue, où on ne se soucie pas suffisamment de ceux qui nous entourent, relate-t-elle. J'ai pris conscience que le voisinage est un espace d'inclusion, de bienveillance, d'entraide. Un espace considérable dans nos vies trop souvent négligé.» Hermétique à son prochain, le voisin québécois? «Si on reste dans les généralités, disons qu'on est dans un côtoiement respectueux, mais une ignorance mutuelle, dans bien des cas», poursuit-elle.

Une fête à longueur d'année

La même année, est lancée la première présentation québécoise de la Fête des voisins, chapeautée par le Réseau québécois de villes et villages en santé. Le mandat: «combattre l'isolement, soutient Mme Maltais, expliquer aux citoyens qu'il n'est pas obligatoire de se lier d'amitié avec tout un chacun, mais qu'on est tous un peu responsables de ceux qui nous entourent, sur la base d'un bout de rue, de quartier, de village.»

En sept ans, le taux de participation à la Fête des voisins a considérablement augmenté. Les dernières festivités de juin ont rassemblé quelque 305 municipalités, 3800 fêtes et 200 000 participants. Par comparaison, ces chiffres s'élevaient respectivement à 26, 250 et 10 000 en 2006! Le projet-pilote Voisins solidaires est né «en réaction» à cette forte mobilisation. En cours depuis six mois dans cinq municipalités de la province, ce dernier a pour objectif de mettre en oeuvre des stratégies, des réflexes incitatifs au bon voisinage. Comme une tentative de prolonger tout au long de l'année - et au quotidien, surtout - cette «solidarité de proximité».

Un regard historique

La littérature n'est pas loquace en ce qui a trait au voisinage au Québec. En filigrane de ses recherches, Nadine Maltais est toutefois parvenue à déterminer certaines causes, qui permettent de mieux interpréter cette forme de réserve (de la gêne à la méfiance) face aux autres, cette perte d'habileté sociale qui s'est installée avec le temps, et qui nous retient d'interagir simplement entre nous.

«Certaines hypothèses sont récurrentes, comme celle de l'État-providence. Nous avons fait le choix à partir des années 60 de développer beaucoup de services, de programmes sociaux. Cette formidable avancée a eu pour effet d'amener les gens à se retirer d'une implication directe envers les autres. Comme on a déployé une panoplie de mesures de soutien, ils en ont déduit qu'il n'est pas de leur compétence, que ce n'est pas leur rôle de se «mêler des affaires» des autres. Ils hésitent: est-ce qu'on agit ou pas? Est-ce qu'on est responsable ou pas?»

Nadine Maltais a l'intuition qu'il existe des «gisements d'entraide» en dormance, et que leur réveil ne peut qu'être porteur de changements positifs dans notre environnement immédiat. Surtout, le voisin solidaire revêt plus d'un visage. Libre à chacun de poser les gestes qui lui conviennent, selon son tempérament, sa disponibilité. Ses limites, aussi.

«Les gens ont peur d'être intrusifs et de voir les autres empiéter sur leur intimité. Il faut insister sur ce point, central: on peut entretenir des liens de bon voisinage sans que ces liens envahissent notre vie», ajoute Mme Maltais. La pédagogie du bon voisinage comporte plusieurs «étapes», et s'acquiert au bon rythme. Lever les yeux vers cet «inconnu si proche» en le croisant dans la rue, en signe de cordialité, est déjà un début.

Voisinage et vie de quartier

Selon Julie Rocheleau, directrice générale du Centre d'écologie urbaine de Montréal, le bon voisinage passe par une appropriation de l'espace public et une envie de participer à la vie de quartier. Au sein de son organisme, les interventions sont guidées par les principes d'aménagement de base de Gehl Architects, qui prône une approche des villes «à échelle humaine» dans leur composition*.

«La firme danoise prend le contrepied des villes construites avec le véhicule, par exemple, comme étalon de mesure, qui empêche le déploiement de la vie de quartier. Ce qui la favorise, ce sont les déplacements à pied ou en transports actifs (vélo, patins à roulettes, trottinettes). Sur les trottoirs, aux intersections, dans les commerces du coin, sur un banc de parc: c'est là qu'ont lieu les rencontres entre voisins», souligne-t-elle. Au demeurant, plus les gens sont présents dans la rue, mieux elle est habitée, aménagée, plus l'espace qu'elle occupe est sécuritaire: «Personne ne fréquente une ruelle déserte et abandonnée, personne ne laisse ses enfants y jouer sans surveillance.»

La terminologie de Gehl Architects intègre la notion de plaisir, celui de vivre dans une ville belle, attrayante et animée. Car l'appropriation d'un lieu passe aussi par une exploration sensorielle: «L'odeur du lilas en saison, la sensation de la terre entre ses doigts... Une ville se savoure aussi par les sens», poursuit Julie Rocheleau.

Une vie de quartier plus épanouie conduit-elle forcément à une plus grande ouverture à «l'autre», ce voisin? «Oui, sinon à une confrontation de nos points de vue, ce qui n'est pas plus mal. L'autre jour, une dame âgée de mon quartier râlait contre l'arbre qui salissait son petit carré de trottoir. Je lui ai rappelé qu'elle oubliait que cet arbre lui procurait aussi l'ombre qui lui permettait de s'asseoir sur son balcon des heures durant.»

* Voir Jan Gehl, Pour des villes à échelle humaine, préface de Jean-Paul L'Allier, traduction de Nicolas Calvé, Écosociété, 2012, 212 p., 42$