Région sécessionniste autoproclamée de la Moldavie, la Transnistrie a récemment demandé l’aide de la Russie, sous prétexte que l’État moldave l’étouffe avec de nouvelles sanctions économiques. Faut-il s’inquiéter d’une surchauffe aux portes de l’Ukraine ?

Que se passe-t-il au juste ?

En 1991, la Moldavie, ancienne république soviétique, devient indépendante. Une de ses régions, la Transnistrie, fait sécession et s’aligne sur la Russie. Depuis, les tentatives de réunification ont échoué. Au début de l’année, la Moldavie impose de nouveaux tarifs aux entreprises transnistriennes. Le 28 février, les élus de Transnistrie demandent à Moscou de « défendre » leur territoire contre cette « pression ». « Il faut cependant noter, on le mentionne rarement, que la Transnistrie a aussi demandé la protection de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et des Nations unies », précise Magdalena Dembinska, professeure titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal.

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Les armoiries de la Transnistrie, avec leurs lettres cyrilliques et la faucille et le marteau au premier plan, témoignent du passé soviétique de la région et de son attachement à la Russie.

Quels sont les changements ?

« Les entreprises de Transnistrie qui veulent faire des exportations sur le marché européen devaient auparavant s’enregistrer à Chișinău (la capitale moldave). Maintenant, elles doivent aussi payer des tarifs douaniers, poursuit Mme Dembinska. Ça leur met un fardeau budgétaire supplémentaire et cela a des impacts négatifs sur le budget de la Transnistrie. Donc, on s’insurge et on évoque l’étouffement économique de la Transnistrie afin qu’elle n’ait plus le choix de réintégrer la Moldavie. »

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Magdalena Dembinska, professeure de l’UdeM en science politique.

Pourquoi ce changement d’attitude de la Moldavie ?

La réponse tient en un mot : gaz. Depuis l’entrée en fonction de Maia Sandu, le 24 décembre 2020, à la présidence de la Moldavie, le pays tente de se joindre à l’Union européenne (UE) qui lui a accordé le statut de candidat le 23 juin 2022. Dans la foulée, la Moldavie, qui avait une dépendance énergétique totale envers le gaz russe, a renversé la vapeur et s’approvisionne maintenant en Europe. « Avant, la Moldavie ne pouvait pas exercer des pressions économiques sur la Transnistrie sans être menacée de se faire couper le gaz par la Russie. Mais ce n’est plus le cas », résume Mme Dembinska. Par ailleurs, les industries de la Transnistrie vendent leurs produits sur le marché européen tout en étant approvisionnées… gratuitement en gaz par la Russie. Ce gaz passe par un pipeline traversant l’Ukraine.

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Un policier moldave contrôle l’identité des gens
voulant entrer en Transnistrie.

Faut-il s’inquiéter de cette tension soudaine ?

Depuis la sécession de la Transnistrie en 1991, la Russie y a installé un contingent de 1000 à 2000 soldats et un gigantesque dépôt d’armes et munitions à Cobasna. « L’armée de Transnistrie compte quant à elle environ 8000 soldats peu entraînés et surtout peu enthousiastes à se battre, poursuit Mme Dembinska. S’il y a une chose que la Transnistrie ne veut pas, c’est la guerre. » Pour Maria Popova, professeure associée à la chaire Jean-Monnet de l’Université McGill, la Transnistrie n’en est pas à son premier appel du pied à la Russie. « C’est un modèle utilisé plusieurs fois par le passé, dit-elle. Personne n’y porterait attention si ce n’était du contexte de la guerre Russie-Ukraine. » La Moldavie et la Transnistrie partagent une frontière avec l’Ukraine.

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La présidente moldave, Maia Sandu, accueille son homologue Volodymyr Zelensky à Bulboaca, en Moldavie, le 1er juin 2023.

Quelle a été la réaction de Moscou à l’appel transnistrien ?

Pour d’aucuns chez les spécialistes, la Russie a intérêt à instrumentaliser la Transnistrie pour exercer une pression sur la Moldavie pour l’empêcher de s’aligner sur l’UE. « L’enjeu de la Transnistrie a pour effet de paralyser le processus d’intégration de la Moldavie à l’UE, résume Maria Popova. Mais je ne crois pas que la Russie est assez forte pour intervenir. » Réflexion que partage Péter Tálas, ancien directeur de l’Institute for Strategic and Defense Studies de Budapest. « Hormis quelques déclarations exprimant leur outrage, les dirigeants de Moscou n’ont pas vraiment réagi à l’appel de Tiraspol (capitale de la Transnistrie), nous écrit-il. Le président Poutine n’en a pas fait mention dans son discours sur l’état de l’Union du 29 février. Pour le moment, la Russie ne peut d’aucune façon envoyer des troupes en Transnistrie. Il lui faudrait occuper toute la région ukrainienne d’Odessa. »

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Les députés transnistriens en assemblée à Tiraspol

La Moldavie tient-elle tant à réintégrer la Transnistrie ?

Pas nécessairement, car la population de la Transnistrie est majoritairement prorusse. Un journaliste du média russe Kommersant a écrit que la Transnistrie pourrait être un « cheval de Troie russe » en Moldavie, ce que confirme Mme Dembinska. « Réintégrer la Transnistrie tout de suite signifie réintégrer quelque 400 000 personnes russophiles, pour ne pas dire prorusses », explique-t-elle. Pour Maria Popova, l’allusion au cheval de Troie a du sens ; la Russie a essayé de le faire dans le Donbass. « Mais il est aussi possible que les habitants de la Transnistrie soient séduits à l’idée d’intégrer l’Europe, dit-elle. Dans les États baltes, les minorités russes savent qu’il est préférable d’être aligné sur l’UE que sur la Russie. »

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Tiraspol, la capitale de la Transnistrie

Donc, la population de Moldavie est assez divisée entre pro-Russie et pro-UE ?

Exactement. D’ailleurs, le prédécesseur de Maia Sandu, Igor Dodon, était prorusse et il pourrait se représenter à l’élection de novembre 2024. De plus, acheter du gaz en Europe coûte beaucoup plus cher aux habitants moldaves qui ont vu leur coût de la vie augmenter. C’est donc un dossier à suivre.

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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et la présidente de la Moldavie, Maia Sandu

Moldavie

Capitale : Chișinău

Superficie : 33 851 km2

Territoire comparable : la Mauricie (35 475 km2)

Population : 3 250 532 habitants

Frontières : 683 km avec la Roumanie et 1202 km avec l’Ukraine

Transnistrie

Capitale : Tiraspol

Superficie : 4 163 km2

Territoire comparable : 8,6 fois la superficie de l’île de Montréal

Population : 465 000 habitants

Frontières : 411 kilomètres avec la Moldavie et 453 kilomètres avec l’Ukraine

Sources : CIA World Factbook, Union européenne, BBC, Ville de Montréal et Institut de la statistique du Québec