(Paris) Les munitions nord-coréennes que Washington soupçonne Pyongyang de vouloir fournir à Moscou contribueraient à aider l’armée russe dans son effort de guerre en Ukraine, sans que pour autant se dessine encore un lien stratégique très clair entre les deux pays.

Isolé diplomatiquement, le président russe Vladimir Poutine a reçu en grande pompe mardi et mercredi son homologue nord-coréen Kim Jong-un, une rencontre susceptible selon les États-Unis de déboucher sur un accord de vente d’armes.

Engagée dans les combats depuis février 2022, la Russie prévoit de produire cette année 2,5 millions d’obus d’artillerie, contre 1,7 million l’an dernier.  

Mais « il est possible que l’augmentation des capacités de production de la Russie soit en deçà des besoins réels sur le champ de bataille », où l’armée russe consommerait selon Kyiv entre 40 000 et 60 000 obus d’artillerie par jour, souligne à l’AFP Yohann Michel, analyste à l’International Institute for Strategic Studies (IISS).

« Moscou a besoin d’importations pour maintenir sur le long terme le niveau actuel d’intensité opérationnelle de son effort de guerre », renchérit le German Council on Foreign Relations dans une étude publiée vendredi.

De fait, après s’être tournée vers l’Iran pour lui fournir des centaines de drones explosifs (ou drones suicide), la Russie pourrait trouver des ressources utiles auprès de Pyongyang, qui détient d’importants stocks de matériel soviétique – de qualité toutefois très incertaine – et produit en masse des armes conventionnelles.

Début 2023, Washington avait déjà accusé Pyongyang d’avoir cédé des obus d’artillerie à Moscou en vue d’en armer le groupe paramilitaire Wagner, alors déployé à Bakhmout (est de l’Ukraine).

« Les Nord-Coréens disposent de nombreux éléments d’artillerie. C’est l’épine dorsale de la stratégie contre la Corée du Sud et contre l’armée américaine », explique à l’AFP Maciej Szopa, analyste militaire pour le média polonais Defence 24.

« Pondération des intérêts »

Parmi les munitions de l’arsenal nord-coréen susceptibles d’intéresser la Russie, figurent les roquettes de calibre 122 mm destinées aux lance-roquettes multiples (MLRS) BM-21 « Grad » de l’époque soviétique, qui équipent les forces russes en Ukraine.

Pyongyang dispose également de pièces d’artillerie tractée manuelle D-20 de 152 mm, fabriquées elles aussi en Union soviétique dans les années 1950, ou encore d’obusiers D-30 de 122 mm datant des années 1960.

En échange, Pyongyang pourrait se voir fournir pétrole et nourriture russes, voire un accès à des technologies spatiales.

Mercredi, Vladimir Poutine a ainsi évoqué la possibilité d’aider Kim à construire des satellites, alors que Pyongyang a récemment échoué à deux reprises à mettre en orbite un satellite militaire espion.

Mais pour l’heure, Vladimir Poutine est resté évasif sur un accord en bonne et due forme avec Pyongyang, déclarant seulement voir « des perspectives » de coopération militaire bilatérale.  

La Corée du Nord, très isolée à cause de ses programmes nucléaires et balistiques, pourrait en tirer grand profit.

Mais « il faut rester prudent », tempère Yohann Michel. « Je pense qu’il peut y avoir un intérêt pour la Russie. Reste à voir s’il y a un intérêt pour la Corée du Nord, et si ce qu’elle demande en échange est acceptable pour les Russes », ajoute-t-il, soulignant des questions en suspens sur la « pondération des intérêts des deux » pays.  

De l’avis unanime des experts, l’armement nord-coréen, s’il permettrait à la Russie de compléter ses stocks, ne lui fournirait pas d’avantage décisif sur le théâtre ukrainien. Et une coopération militaire avec ce pays sous sanctions de l’ONU risquerait de coûter cher à Vladimir Poutine sur la scène diplomatique internationale.  

L’affichage avec Kim Jong-un pourrait plutôt relever d’un signalement stratégique à l’attention du camp occidental, notent des analystes.

« Moscou a intérêt à mettre en scène un rapprochement avec Pyongyang, pas forcément à acheter des armes », prévient sur le réseau social X – anciennement Twitter – Antoine Bondaz, expert à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

« Du côté russe, cette stratégie de communication vise à faire pression sur Séoul », qui « fournit des armes à l’Ukraine indirectement, via la Pologne » et est le troisième fournisseur d’armes de l’OTAN, argumente-t-il dans le quotidien français Le Monde.