À peine confirmée, la réélection du président turc Recep Tayyip Erdoğan, sa troisième à ce titre, illustre déjà pour plusieurs observateurs que les oppositions ont été « divisées » dans un contexte hautement « polarisé ». Entretien avec l’expert des questions du Proche-Orient Rachad Antonius.

Qu’est-ce qui a fait la différence dans cette élection ?

Je pense que réellement, une bonne partie de la population voulait un changement, mais les opposants à Erdoǧan n’ont pas voulu prendre des positions plus courageuses ou audacieuses qui auraient permis d’avoir une solution de rechange vraiment sérieuse. Ils se sont donc fragmentés, la population turque étant très polarisée en ce moment. M. Erdoǧan était dans les 40 %, donc il ne faisait pas l’unanimité. En fait, c’est faux de dire que la majorité des gens le veulent à la tête du pays, c’est plutôt une très forte minorité. Mais une fois divisés, après le premier tour, les gens ont tendance à dire : ce qu’on connaît est moins pire que ce qu’on ne connaît pas.

Pour la suite, qu’est-ce qu’il faut retenir de cette campagne ?

Ce qui ressort de la campagne, à mon sens, c’est surtout que les gens sont mécontents sur deux plans : l’économie, d’abord, et l’orientation politique générale qui continue à pousser pour une islamisation de la société. Il y a une grande vague d’islamisation dans tout le Proche-Orient qui est en train d’être remise en question – partout, pas juste en Turquie. Mais il n’y a pas eu de force d’opposition qui a pu incarner ce changement qu’on voit dans la rue. En Turquie, il y a tout un pan de la classe d’affaires, cela dit, qui soutient aussi le président Erdoǧan pour sa volonté d’islamisation.

Est-ce qu’on peut s’attendre à une mobilisation plus forte contre le président ?

Les gens qui sont plutôt anti-Erdoǧan vont s’activer beaucoup, ça, je pense que c’est certain. De plus en plus, les gros changements sociaux, ça se passe soit en haut, soit en bas. En bas, ça veut dire au niveau de la société civile, c’est de là que tout part. Et en haut, ce sont plus les multinationales et l’économie mondiale, bref les grands acteurs économiques et les questions stratégiques. C’est tout ça qui dicte aussi les choix des gouvernements, et ça inclut bien évidemment la Turquie. Les États sont tout à fait dépendants des choix que font les grands acteurs économiques. Il faudra donc d’abord voir comment tout ça se place pendant le troisième mandat d’Erdoǧan.

Faut-il prévoir des impacts sur la scène internationale ?

Honnêtement, je m’attends à une certaine continuité, même si on ne peut pas encore prévoir tous les impacts. S’il avait été défait, là, on se serait attendus à de gros changements. Maintenant, les gens savent qu’il est là pour quelques années encore. Ce n’est pas ça qui fait bouger les choses. Et dans nos relations avec eux, il faut comprendre que le Canada est aussi dans le statu quo et la continuité sur le plan politique.