Droit dans ses bottes, le président de la République française assume pleinement sa réforme des retraites. Le pays, lui, ne décolère pas…

Il s’était fait très discret jusqu’ici – trop pour certains. Mais Emmanuel Macron est finalement sorti de son mutisme mercredi, après des semaines de tensions sociales en France.

Interviewé au journal télévisé de 13 h, le président de la République tentait d’éteindre le feu, une semaine après l’adoption contestée de sa réforme des retraites. Mais son intervention s’est surtout démarquée par un discours de fermeté qui ne risque pas d’apaiser la grogne, alors que de nouvelles mobilisations s’annoncent pour les jours à venir.

« Cette réforme, ce n’est pas un plaisir, ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité », a commenté Macron, invoquant la défense de « l’intérêt général » face à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.

Disant « endosser l’impopularité » de la réforme, le chef de l’État en a profité pour renouveler sa confiance envers la première ministre Élisabeth Borne, critiquée pour avoir fait passer la loi de force, en déclenchant le fameux « 49.3 », article de la Constitution permettant l’adoption de textes sans majorité parlementaire.

Droit dans ses bottes, il n’a concédé qu’un seul regret : celui « de ne pas avoir réussi à convaincre sur la nécessité de cette réforme ».

La France est l’un des pays occidentaux où l’âge légal du départ à la retraite est le plus bas. La réforme, que Macron affirme vouloir appliquer « avant la fin de l’année », « pour que les choses rentrent en place », prévoit que cet âge passera de 62 à 64 ans. Une décision fortement contestée par les syndicats et l’ensemble de la population française, qui se dit contre à 65 % ou 70 %, selon les sondages.

Depuis janvier, les Français sont descendus huit fois dans la rue pour protester, et une neuvième journée de manifestation est prévue ce jeudi.

« Pas terrible »

Pour Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), ce n’est pas l’entrevue de mercredi qui permettra de calmer le jeu. Le politologue estime que le président est passé à côté d’une belle occasion de s’amender et juge que son intervention n’était « pas terrible ».

Je trouve que le chef de l’État n’a pas montré de capacité à répondre aux attentes et à montrer qu’il est à l’unisson de son pays, qui est dans un état de tension sociale très importante. À mon sens, il a raté son opération de déminage.

Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CEVIPOF

Reste à voir si le mouvement de contestation connaîtra un sursaut, dans la foulée de cette apparition télévisée, qui ne semble pas avoir convaincu.

Certains brandissent déjà le spectre des gilets jaunes, tandis que les syndicats appellent à augmenter la pression contre le projet de loi, actuellement à l’étude au Conseil constitutionnel (qui devrait – ou non – lui donner son aval).

PHOTO LAURENT CIPRIANI, ASSOCIATED PRESS

Des cheminots manifestent à Lyon, en France.

Des rassemblements sont prévus ce jeudi dans tout le pays, affectant les transports, les raffineries et dépôts pétroliers, le milieu de l’éducation et les éboueurs, qui veulent poursuivre leur grève jusqu’à lundi. On craint les dérapages, alors que les manifestations violentes se multiplient, débordements auxquels le président a promis de « réagir ».

« Le plus probable, c’est qu’il y ait des mouvements perlés, des grèves, un certain nombre de coups de force, voire d’usage de la violence. C’est une forme de sortie possible du conflit par la radicalisation et la marginalisation », explique Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble.

Crise politique ?

Réagissant à l’interview présidentielle, l’opposition n’a pas manqué de dénoncer « le mépris » (Marine Le Pen, Rassemblement national) et « l’arrogance » d’un président qui « vit en dehors de toute réalité » (Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise), le chef du Parti socialiste, Olivier Faure, l’accusant même d’avoir mis « plus d’explosifs sur un brasier déjà allumé ».

« C’est leur rôle de dramatiser. Ils jouent leur partition », tempère Olivier Ihl, qui préfère relativiser.

L’expert signale que le 49.3 a été utilisé à 100 reprises depuis l’instauration de la Ve république en 1958. « Ce n’est pas un instrument exceptionnel. » Il rappelle que les réformes des retraites reviennent régulièrement, que « toutes sont difficiles à passer », et que les mobilisations actuelles ne sont pas plus importantes en nombre que celles de 1995.

En ce sens, il hésite à parler d’une « crise politique » et n’écarte pas la possibilité que la rivière retourne dans son lit.

Car si une majorité de Français rejette la réforme, il y a dans le pays « une forme de résignation » qui pourrait déboucher à moyen terme sur une diminution progressive de la mobilisation. Ce qui n’exclut pas une séquence plus difficile pour le président « qui s’est un peu coupé de la population », et un contrecoup dans les urnes lors des prochaines élections européennes, prévues dans un an…

Avec l’Agence France-Presse