(Paris) Galvanisés par le succès de leur première mobilisation contre la réforme des retraites, les syndicats français appellent à de nouvelles manifestations massives mardi, mais la première ministre s’est montrée ferme dimanche sur le report de l’âge de départ qui n’est « plus négociable ».

« Ça n’est plus négociable, la retraite à 64 ans et l’accélération [de l’allongement de la durée de cotisation], de la réforme Touraine », a affirmé sur franceinfo Elisabeth Borne.

Alors que la réforme a été très critiquée sur son impact sur les femmes, elle se montre en revanche ouverte à une discussion sur une meilleure utilisation des trimestres « éducation » et « maternité » obtenus au cours de leurs carrières.

La fermeté affichée par Mme Borne sur les mesures d’âge, dont l’exécutif ne s’était jamais départi, a fait bondir les oppositions.

Depuis son fief d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), la patronne des députés du Rassemblement national, Marine Le Pen, a mis en garde la première ministre qui « ne devrait pas trop s’avancer, parce que, parti comme c’est parti, il n’est pas du tout impossible que sa réforme des retraites ne soit pas votée ».

Le dirigeant communiste Fabien Roussel a assimilé ses déclarations à une « provocation à 48 heures de la manifestation ».

Mardi, les huit principaux syndicats français espèrent un effet de masse pour venir à bout d’une « réforme injuste ».

Après leur tour de force du 19 janvier (1,12 million de manifestants selon Beauvau, plus de deux millions d’après les organisateurs), ils ont appelé « à se mobiliser encore plus massivement le 31 ». Un espoir conforté par des sondages attestant d’un rejet croissant dans l’opinion.

« Clause de revoyure »

En réponse à cette défiance grandissante, la majorité tente de prendre à témoin l’opinion. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fustigé la gauche qui veut « bordéliser » le pays, mais ménagé les syndicats.  

« Si on est un minimum responsable, je pense que la réforme est inéluctable », a mis en avant le leader du parti de centre MoDem, François Bayrou. Comme Elisabeth Borne, il a cependant ouvert la porte à une « clause de revoyure » de la réforme.

PHOTO BENOIT TESSIER, REUTERS

Des manifestants opposés à la réforme des retraites dans les rues de Paris, le 21 janvier.

Le travail de défense du gouvernement sur sa réforme continuera jeudi soir avec la première ministre, invitée sur France 2, deux jours après la 2e journée de mobilisation syndicale où plus de 200 rassemblements sont prévus.  

À Paris, le parcours doit s’achever aux Invalides, tout près de l’Assemblée nationale, où l’examen du projet de loi aura débuté lundi en commission.

Grèves à répétition

Plus de 7000 amendements ont été déposés, essentiellement par la gauche qui entend faire durer les débats, tandis que la droite cherche à faire monter les enchères, consciente que ses voix seront cruciales pour adopter la réforme. Le gouvernement doit en outre composer avec sa propre majorité, où beaucoup réclament des améliorations et certains renâclent à voter le texte.

Mardi, des perturbations sont attendues dans les transports. La Société nationale des chemins de fer français (SNCF) annonce un trafic « très fortement perturbé » avec deux TER sur 10 en région, de 25 % à 50 % des TGV selon les axes et un train sur trois à un train sur 10 selon les lignes en Île-de-France. Le trafic des intercités sera quasi nul.  

Dans les transports parisiens, c’est un mardi noir qui se profile avec les seules lignes 1 et 14 automatiques qui fonctionneront normalement. Les métros circuleront en pointillé sur les autres lignes et essentiellement aux heures de pointe.  

Dans les airs, la grève des contrôleurs aériens devrait provoquer l’annulation d’un vol sur cinq à l’aéroport d’Orly.  

Le ministre des Transports Clément Beaune a mis en garde contre une « journée difficile voire très difficile », en invitant celles et ceux qui le peuvent au télétravail.  

Des fermetures de classes, voire d’écoles, sont aussi à prévoir.

Mais la suite du mouvement reste incertaine. Du côté de la CGT, certaines fédérations poussent pour un durcissement. De nouvelles grèves sont déjà annoncées dans les ports, raffineries et centrales électriques à partir du 6 février.

Chez les cheminots, ce sera le 7 et le 8, prélude à un préavis reconductible « dès la mi-février », ont prévenu la CGT et SUD.  

Du côté de la CFDT, qui préfère « garder l’opinion » de son côté, son N.1 Laurent Berger estime qu’« une ou deux démonstrations de force » supplémentaires suffiront à faire entendre raison à l’exécutif. Reste à en convaincre les autres leaders syndicaux, qui se réuniront mardi soir au siège de FO.

Les dates clés du projet de réforme des retraites

PHOTO AURELIEN MORISSARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président français Emmanuel Macron

Le projet de réforme des retraites, contre lequel les syndicats appellent à se mobiliser le 31 janvier, naît d’un engagement du président Emmanuel Macron à mener à bien ce chantier en cas de réélection.

Rappel des principales dates d’un projet qui fait suite à une première tentative de réforme des retraites, plus ambitieuse, menée durant le premier quinquennat, mais stoppée net par la pandémie de COVID-19.

Le coup d’arrêt de la COVID-19

Le 16 mars 2020, Emmanuel Macron annonce la suspension de « toutes les réformes en cours », en raison de la pandémie de COVID-19, dont une réforme des retraites prévoyant un système universel par points, et qui avait suscité une forte opposition.

Le 2 juillet, le chef de l’État dit qu’il n’y aura pas d’abandon de la réforme, mais une « transformation » après concertation.

Le 13 juillet 2021, M. Macron assure que la réforme des retraites sera engagée « dès que les conditions sanitaires seront réunies ».

Âge légal à 65 ans

Fin 2021, Emmanuel Macron réitère sa volonté de réformer les retraites, mais évoque « un système simplifié avec trois grands régimes, un pour la fonction publique, un pour les salariés, un pour les indépendants ».

Réélu en 2022 après s’être engagé durant la campagne à « décaler l’âge de départ légal jusqu’à 65 ans » contre 62 jusqu’à présent, il appelle le 14 juillet à « des compromis responsables » en vue d’une entrée en vigueur à l’été 2023.

Concertations

Face à l’opposition virulente des syndicats, Emmanuel Macron demande le 22 septembre au gouvernement de « trouver la bonne manœuvre » pour une réforme « apaisée ».

Début octobre, la première ministre Elisabeth Borne engage la concertation avec les partenaires sociaux pour, espère-t-elle, une adoption « avant la fin de l’hiver ».

Macron « ouvert »

Le 26 octobre, Emmanuel Macron se dit « ouvert » à un âge légal de départ à 64 ans, au lieu de 65 ans.

Mais il insiste le 3 décembre : « travailler plus longtemps » est « le seul levier » pour faire face aux « besoins de financement massifs ».

La présentation de la réforme est repoussée à janvier pour laisser le temps aux partenaires sociaux et partis politiques « d’échanger » avec l’exécutif sur le projet.

Elisabeth Borne consulte tous azimuts en décembre et tente de se concilier la droite et la CFDT.

64 ans

Elisabeth Borne dévoile le 10 janvier la réforme dont la mesure phare est le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans à l’horizon 2030.

Autre mesure phare : le relèvement de la pension minimum pour les carrières complètes, à 85 % du salaire minimum, soit près de 1200 euros brut par mois (1743 dollars CAN). Une mesure étendue aux retraités actuels.

Mobilisation massive

Front uni des syndicats contre le projet : les huit principales organisations réussissent à mobiliser massivement le 19 janvier avec des manifestations dans toute la France, des grèves à l’école, dans l’énergie et les transports.

« Plus de deux millions » de personnes dans plus de 200 cortèges, dont environ 400 000 à Paris, selon la CGT. 1,12 million de manifestants, dont 80 000 dans la capitale, d’après le ministère de l’Intérieur.

Nouvelle mobilisation le 21 janvier, à l’appel d’organisations de la jeunesse et de la France insoumise : des milliers de personnes défilent à Paris entre Bastille et Nation.

Le gouvernement maintient

Le gouvernement adopte sa réforme le 23 janvier en Conseil des ministres, affichant sa « détermination » à aller jusqu’au bout sans « renoncer » au report de l’âge de départ à 64 ans.

Le 25 et le 26, des marches aux flambeaux de protestation sont organisées dans plusieurs villes tandis que des grèves sont observées dans des raffineries, des centrales électriques et des ports.

Les syndicats se mobilisent surtout autour d’une deuxième journée d’action unitaire, le 31 janvier, espérant faire reculer le gouvernement.

Olivier Thibault, Agence France-Presse

Les grandes mobilisations contre les réformes des retraites depuis 1995 en France

PHOTO THOMAS SAMSON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestants sur la Place de la Bastille à Paris, le 19 janvier dernier

Rappel des grandes mobilisations contre les réformes des retraites depuis 1995, alors que les syndicats appellent à une deuxième journée d’action unitaire, le 31 janvier, contre l’actuel projet porté par Emmanuel Macron.

1995 : plus de trois semaines de transports paralysés

Durant l’intense mouvement de protestation de l’hiver 1995 contre « le plan Juppé », trains et métro sont paralysés pendant plus de trois semaines.

À leur apogée, les manifestations rassemblent le 12 décembre, entre un million et deux millions de personnes, avec un soutien majoritaire de l’opinion, selon les sondages.

À l’origine de la colère, la présentation en novembre par le premier ministre Alain Juppé d’un plan de redressement de la Sécurité sociale comportant des prélèvements supplémentaires sur les assurés et un bouleversement de ses structures.

L’alignement prévu des régimes de retraites des fonctionnaires et des agents de services publics sur les salariés du privé concentre les mécontentements.

Alain Juppé retire les mesures touchant les retraites, mais maintient le reste du plan.

2003 : un à deux millions de manifestants

De février à juin 2003, une série de grèves mobilise la fonction publique. Des centaines de milliers de manifestants (un à deux millions, au plus fort, le 13 mai) protestent.

La réforme est malgré tout adoptée : le premier ministre Jean-Pierre Raffarin et son ministre du Travail, François Fillon, alignent en partie le régime de retraite des fonctionnaires sur celui du privé. La durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein est portée progressivement à 40 ans.

2007 : trains et métros à l’arrêt

À l’automne 2007, les transports en commun sont perturbés lors de deux mouvements totalisant une quinzaine de jours à la SNCF. Le 18 octobre, le trafic RATP est quasiment paralysé.

C’est la première réforme des retraites du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Elle concerne les régimes spécifiques des agents des services publics et les professions à statut particulier (clercs et employés de notaires), dont la durée de cotisation va progressivement passer à 40 ans.

2010 : manifestation massive, raffineries bloquées

En 2010, les manifestations rassemblent encore plus qu’en 1995 et 2003 : entre 1,2 et 3,5 millions, au sommet de la mobilisation, le 12 octobre. Elles s’accompagnent de blocages de raffineries, terminaux portuaires et dépôts de carburant. Une station-service sur trois est à sec au plus fort du mouvement.

Le projet de loi du gouvernement de François Fillon prévoit le report progressif de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. La réforme est adoptée fin octobre.

2019-2020 : grèves record

Le 5 décembre 2019, entre 806 000 et 1,5 million de personnes manifestent contre le projet d’un régime de retraite « universel » par points, promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Le 17, entre 615 000 et 1,8 million défilent à nouveau.

Chez les enseignants, la grève atteint des taux record depuis 2003. À la SNCF et la RATP, elle se poursuit pendant les congés de fin d’année et une partie de janvier pour constituer la plus longue grève à la SNCF depuis sa création. La mobilisation touche aussi ports, raffineries, Banque de France, Opéra de Paris et avocats.

Le projet de loi est adopté sans vote (article 49.3) début mars en première lecture à l’Assemblée. Mais la réforme est suspendue en raison de la pandémie de COVID-19.

2023 : mobilisation massive

Front uni des syndicats contre le nouveau projet de réforme des retraites d’Emmanuel Macron, qui s’y était engagé durant la campagne pour sa réélection en 2022.

La première journée de mobilisation, le 19 janvier, contre ce projet prévoyant le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, réunit « plus de deux millions » de manifestants dans plus de 200 cortèges, dont 400 000 à Paris, selon la CGT et 1,12 million de personnes, dont 80 000 dans la capitale, selon le ministère de l’Intérieur.