Le processus d’adhésion de la Suède à l’OTAN a du plomb dans l’aile. Est-ce à cause de Rasmus Paludan ?

Rasmus Paludan ? On dirait un nom de médicament. A-t-il le pouvoir de guérir ?

Au contraire. Ce politicien d’extrême droite dano-suédois est plutôt un poison. C’est un expert en manifestations anti-islamiques et ses provocations outrancières sont la source de beaucoup de problèmes en Suède.

Ah bon. Qu’a-t-il fait de si méchant ?

Son truc à lui, c’est de brûler des exemplaires du Coran. À Pâques l’an dernier, en plein ramadan, son autodafé a provoqué de véritables émeutes dans plusieurs villes suédoises. Le 21 janvier dernier, il a de nouveau brûlé un coran près de l’ambassade de Turquie à Stockholm, un geste fort médiatisé.

PHOTO FREDRIK SANDBERG, FOURNIE PAR TT NEWS AGENCY VIA REUTERS

Rasmus Paludan brûlant un exemplaire du Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm, en Suède, le 21 janvier dernier

Techniquement, il est dans les limites de la liberté d’expression, non ?

Ça se discute, revenez-moi là-dessus. Le problème, dans l’immédiat, c’est que son geste a provoqué la colère d’Istanbul, et ce, à un très mauvais moment.

Expliquez…

Il y a huit mois, dans la foulée de l’invasion russe en Ukraine, la Suède et la Finlande ont fait une demande d’adhésion accélérée à l’OTAN. Tous les pays de l’Alliance ont donné leur accord, à l’exception de la Hongrie et de la Turquie, qui ont toutes deux quelques sympathies pour le régime de Poutine. La Hongrie devrait ratifier l’adhésion dans les prochaines semaines. Mais le président turc Recep Tayyip Erdoğan bloque de son côté. En échange de son soutien, il demande à la Suède d’extrader vers la Turquie une centaine de réfugiés politiques kurdes, qui sont selon lui des « terroristes » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce que la Suède ne peut tout simplement pas faire.

Et pourquoi pas ?

Pour des raisons morales, mais aussi légales. Ces réfugiés politiques ont obtenu la citoyenneté suédoise ou la résidence permanente. Or, la Constitution suédoise interdit toute extradition de ses citoyens dans un pays tiers. Pour accéder aux demandes de la Turquie, il faudrait modifier la Constitution suédoise, un processus extraordinairement long et compliqué. Et puis, franchement, le veulent-ils vraiment ?

La question se pose, en effet. Mais que vient faire Rasmus Paludan dans cette histoire ?

La Turquie et la Suède sont en discussion depuis des mois pour tenter de trouver une issue à ce cul-de-sac. Le ciel semblait s’éclaircir. Jusqu’à ce que des militants prokurdes de Suède pendent une effigie d’Erdoğan par les pieds et que ce Rasmus Paladan brûle ce coran dans la foulée. Pour le président turc, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Il accuse la Suède de ne pas avoir interdit ces manifestations. Il a mis un coup d’arrêt aux négociations et annulé une rencontre qui devait avoir lieu début février pour lever les dernières objections turques. « Si ça continue comme ça, l’entrée de la Suède dans l’OTAN ne sera jamais approuvée par la Turquie », a déclaré Numan Kurtulmuş, vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie. Devant ce rififi, le président finlandais n’a pas exclu cette semaine d’adhérer à l’OTAN sans attendre la Suède.

Tout ça pour un coran brûlé…

Selon Jan Christer Mattson, spécialiste de l’extrême droite à l’Université de Göteborg, Rasmus Paludan est un peu l’« idiot utile » dans cette histoire. Comme d’autres analystes, il croit qu’Erdoğan cherche à tabler sur cet incident pour renforcer sa base à quelques mois des élections générales en Turquie (prévues le 14 mai). « Les dirigeants turcs savent très bien que ce lunatique ne représente pas les positions officielles de la Suède, dit-il. Mais il y a des enjeux politiques pour Erdoğan. Et c’est pourquoi il entretient cette crise. » Selon les observateurs, il est à prévoir que la Turquie adoucira sa position une fois les élections passées.

Le dossier n’est donc pas clos

Non. Mais selon Jan Christer Mattson, ce n’est qu’une question de temps. « C’est une crise politique et elle se résoudra de manière politique. » Coïncidence ? La Suède a annoncé cette semaine qu’elle changeait de « paradigme » en matière d’asile et d’immigration, avec des conditions d’entrée de plus en plus dissuasives et le lancement d’une campagne internationale pour décourager la migration. Un durcissement en partie attribuable au parti d’extrême droite Démocrates de Suède (SD), deuxième force politique du pays depuis les élections de septembre 2022, qui a désormais son mot à dire dans la politique migratoire du pays.