La Russie accuse l’Ukraine d’avoir multiplié les attaques de drone à l’intérieur de ses frontières, après trois offensives en deux jours en début de semaine. Le gouvernement ukrainien n’a pas confirmé d’implication. Le point sur la situation.

L’Ukraine a utilisé des drones contre des positions russes dans le passé. Quelle est la particularité de la situation actuelle ?

Des bases aériennes russes — dont deux situées à quelque 500 km de la frontière — auraient été atteintes les 5 et 6 décembre dans les régions de Riazan et de Saratov. Cela semble confirmer l’utilisation de drones à plus longue portée par l’Ukraine — même si elle n’a pas revendiqué les frappes. « D’abord et avant tout, c’est sûrement un choc psychologique du côté de la Russie, estime Dominique Arel, professeur et titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. Parce que ces cibles étaient situées loin de la frontière ukrainienne. Les drones ukrainiens sont parvenus à éviter tous les systèmes de défense antiaériens qui sont censés être invincibles sur une si longue distance. »

Des médias en ont parlé comme d’une nouvelle escalade du conflit, en évoquant la possibilité théorique pour des drones ukrainiens d’atteindre Moscou. Une lecture de la situation que réfute Maria Popova, professeure agrégée de sciences politiques à l’Université McGill. « Je ne pense pas que l’Ukraine a cette capacité et on n’a aucune indication qu’elle voudrait le faire », dit-elle, ajoutant que les cibles étaient militaires. « L’autodéfense ne peut pas être une escalade », ajoute-t-elle.

Pourquoi ces bases ont-elles été visées ?

Depuis le mois d’octobre, la Russie cible particulièrement les infrastructures électriques et de traitement des eaux de l’Ukraine, causant des pannes importantes et privant les populations de chauffage et d’eau. « Dans une tentative pour contrecarrer ces attaques, l’Ukraine a essayé de viser les aérodromes d’où partent les avions qui mènent les attaques », explique Mme Popova.

PHOTO YASUYOSHI CHIBA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Drone des forces russes dans le ciel de Kyiv, le 17 octobre

Les frappes ont-elles causé des dommages ?

Difficile à confirmer. La Russie a fait état de trois morts et de deux avions endommagés dans l’une des frappes. « Même si, au bout du compte, il y a peut-être deux avions qui ont été endommagés, sinon détruits — ce n’est pas toute la flotte —, c’est le message qui est envoyé ici qui est très fort », juge M. Arel. Le système antiaérien n’aurait pas intercepté les drones, qui ont une capacité à voler très bas, sous les détecteurs, ce qui explique une partie de leurs succès, de part et d’autre. « C’est possible qu’ils aient été pris par surprise », avance Mme Popova.

D’où viennent ces drones ?

Il semble que les drones auraient été adaptés par les Ukrainiens à partir de vieux modèles soviétiques. « Selon les informations qu’on a, il semble que les Ukrainiens n’auraient pas utilisé une technologie occidentale, parce que les Américains en particulier ne veulent pas transférer ce type d’armes — parce que quand on parle de drones avec missiles, c’est l’extension d’une arme, explique M. Arel. Ils ne veulent pas transférer de l’équipement militaire qui pourrait servir à attaquer la Russie [sur son territoire]. »

Est-ce que le conflit pourrait encore escalader ?

La Russie a frappé plusieurs cibles cette semaine, détruisant notamment des bâtiments résidentiels. En ce moment, les combats les plus violents se situent dans l’est de l’Ukraine, autour de la ville de Bakhmout, que les forces russes essaient de prendre depuis des mois.

Le conflit dure depuis neuf mois et rien n’est exclu : le chef de l’OTAN Jens Stoltenberg a dit cette semaine s’attendre à une sorte d’accalmie de la Russie, pour se refaire des forces. Mais il a aussi exprimé ses inquiétudes à la télévision norvégienne sur la possibilité que la guerre dégénère. « On parle beaucoup d’escalade [ces jours-ci], mais la décision d’attaquer systématiquement les infrastructures énergétiques, c’en était une », note M. Arel. La capacité de la Russie à mobiliser un nombre important de soldats bien entraînés reste faible, ajoute-t-il. Le recours à l’arme nucléaire, maintes fois évoqué, reste très théorique. « Il n’y a personne qui n’est pas inquiété par ça, mais si une arme nucléaire était utilisée sur le front, d’un point de vue strictement militaire, les gains seraient très limités, souligne M. Arel. Mais la riposte occidentale et américaine serait absolument dévastatrice pour la Russie. »

La crise humanitaire, quant à elle, reste criante dans de nombreuses villes ukrainiennes plongées dans le froid et qui ont difficilement accès à l’eau potable. « La situation est très grave », déplore Mme Popova.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press

En savoir plus
  • 275 millions US
    Nouvelle aide annoncée vendredi par les États-Unis pour aider l’Ukraine dans sa défense contre les drones
    Source : Agence France-Presse
    40 %
    Estimation de la portion du réseau énergétique national détruit par les frappes russes en Ukraine, selon les autorités ukrainiennes.
    Source : Agence France-Presse