(Kyiv) Depuis l’été, les combats font rage autour de Bakhmout, que Moscou tente inlassablement de conquérir sans y parvenir malgré l’appui du groupe paramilitaire Wagner, une bataille qui vire à l’obsession pour une ville aujourd’hui en bonne partie détruite.

Les hostilités ont pris ces dernières semaines une importance d’autant plus symbolique pour les responsables russes que la conquête de la ville viendrait après une série d’humiliantes défaites, avec les retraites de la région de Kharkiv (nord-est) en septembre et de la ville de Kherson (sud) en novembre.

Récemment, les troupes de Moscou ont un peu progressé en direction de Bakhmout, annonçant la prise de petites localités. Sans toutefois sembler en position de prendre la ville, qui compterait encore près de la moitié de ses 70 000 habitants d’avant-guerre, selon les autorités ukrainiennes.

Face à des Ukrainiens qui ont eu le temps de préparer leur défense, les Russes semblent jeter toute leur énergie et leur équipement dans la bataille pour prendre cette ville située à 80 km au nord de Donetsk, et 100 km à l’ouest de Louhansk, les deux bastions des séparatistes prorusses.

« On est perplexes », a déclaré à l’AFP cette semaine un responsable occidental, interrogé sur les objectifs russes à Bakhmout.

Avec l’arrivée de l’hiver, nombre d’analystes pensent que la ligne de front actuelle va se stabiliser, après des semaines d’avancées ukrainiennes dans le nord-est et le sud.

« Chaque mètre compte »

Dans sa bataille pour Bakhmout, l’armée russe est épaulée par des mercenaires du groupe Wagner, dont des prisonniers à qui on a promis une remise de peine pour s’engager en Ukraine, et des réservistes civils mobilisés en septembre.

La stratégie est la même qu’ailleurs : l’artillerie pilonne la ville, détruisant toutes les infrastructures, dans l’espoir d’un retrait des civils et soldats ukrainiens.

Selon le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW) qui analyse au jour le jour les évolutions sur le front, « les efforts russes autour de Bakhmout montrent que les (troupes de Moscou) ont fondamentalement échoué à tirer des leçons » des autres batailles où ils avaient perdu beaucoup de forces.

Pour l’ISW, l’obsession russe pour Bakhmout a même permis aux Ukrainiens de mener d’autres offensives, réussies, à d’autres endroits de la ligne de front où la concentration de troupes était du coup moindre.

« Les efforts russes pour avancer sur Bakhmout ont entraîné l’attrition continue de la main-d’œuvre et de l’équipement russes, bloquant les troupes autour de localités relativement insignifiantes pendant des semaines et des mois », a analysé l’ISW.

Malgré tout, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a reconnu mercredi une « confrontation très dure » sur place. « Chaque mètre compte », a-t-il ajouté dans son allocution quotidienne.

« Abattoir »

Une équipe de l’AFP a vu récemment dans la région de Donetsk l’armée ukrainienne ramener de l’artillerie lourde dans la zone, et des groupes de soldats réservistes étaient visibles le long des routes menant à Bakhmout contrôlées par Kyiv.

Pour certains observateurs, la bataille de Bakhmout illustre avant tout le désir de Moscou d’enregistrer enfin une première victoire après des mois de revers face à une armée ukrainienne, galvanisée par les armes occidentales.

Les derniers succès russes en Ukraine remontent en effet au début de l’été, quand ils avaient pu prendre les villes de Sievierodonetsk et Lyssytchansk. Une éternité pour les plus va-t-en-guerre à Moscou.

« Les Russes poursuivent leur offensive pour détourner l’attention dans les médias des revers de cet automne », veut croire Mykola Bielieskov, chercheur à l’Institut national pour les études stratégiques de Kyiv, une vision partagée aussi par le commandement militaire ukrainien.

« Le commandement russe veut contrôler toute la région de Donetsk, et Bakhmout est la principale porte d’entrée vers Sloviansk et Kramatorsk », deux villes importantes du Donbass, ajoute auprès de l’AFP Michael Kofman, directeur des études sur la Russie au CNA, un institut de recherche américain.

Le patron de Wagner, le sulfureux homme d’affaires Evgueni Prigojine, ambitionne plus encore : « l’abattoir de Bakhmout » doit « détruire l’armée ukrainienne ».