La mer Méditerranée est en surchauffe depuis quelques semaines. Les températures à la surface de l’eau atteignent des niveaux exceptionnels, de 4 à 5 °C au-dessus des normales. Des experts s’inquiètent des possibles répercussions de ce phénomène sur la vie marine… et humaine.

« De la mer des Baléares à la Sardaigne, ainsi qu’à l’est de la Corse et sur l’ensemble de la mer Tyrrhénienne, on observe en surface des valeurs exceptionnelles de températures comprises entre 28 et 30 °C », rapporte Mercator Océan International.

Cette organisation à but non lucratif établie à Toulouse regroupe les principaux instituts océanographiques de France, d’Italie, d’Espagne, de Grande-Bretagne et de Norvège et dirige le service européen de surveillance des océans, le Copernicus Marine Monitoring Service (CMEMS).

Ces valeurs de températures sont anormalement chaudes, puisqu’elles dépassent de 4 à 5 °C les valeurs moyennes en saison, souligne l’organisation.

IMAGE FOURNIE PAR MERCATOR OCÉAN INTERNATIONAL

L’organisme Mercator Océan International observe des températures de 4 à 5 degrés au-dessus des moyennes de saison, notamment au large des côtes françaises et italiennes.

Un contexte propice

« La canicule marine a débuté vers la mi-mai en mer de Ligurie – entre l’Italie et le nord de la Corse – puis s’est poursuivie en juin dans le golfe de Tarente, dans le sud-est de l’Italie », indique Karina von Schuckmann, océanographe de Mercator Océan International, en entrevue avec La Presse.

« C’est vrai qu’il y a des régions océaniques qui atteignent 30 °C, mais cela ne s’était jamais produit en Méditerranée. On vit donc un phénomène exceptionnel », souligne Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche du Centre national de recherches météorologiques (CNRM) au Laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer, une commune française près de Nice.

Les températures terrestres particulièrement élevées dans le sud de l’Europe ces dernières semaines combinées à l’absence de vent ont fait grimper la température de l’eau, explique le chercheur.

Quand il y a un coup de vent, l’eau de mer en surface, qui est chaude, se mélange avec de l’eau de mer profonde, qui est beaucoup plus froide. Donc, ça tempère le tout.

Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche du Centre national de recherches météorologiques

M. Gattuso signale que la canicule marine actuelle dépasse les records de température établis lors de la canicule européenne de 2003, un évènement climatique majeur survenu de juin à août marqué par de nombreux records de température.

« En août 2003, cela a été une canicule marine et terrestre très intense. Dans le sud de la France, il y a eu 10 000 morts excédentaires », se souvient le chercheur.

Bouleversements pour la vie marine

L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules marines pourrait faire disparaître plusieurs espèces marines.

Une récente étude de l’Institut de Ciències del Mar (Institut des sciences de la mer) à Barcelone révèle qu’entre 2015 et 2019, 90 % de la Méditerranée a été touchée à un moment ou à un autre par une ou plusieurs canicules marines. Chacune a entraîné des mortalités massives chez une cinquantaine d’espèces de plantes et d’animaux.

  • Gorgone, espèce de corail affectée par la canicule marine

    PHOTO FOURNIE PAR MARIO MUNARETTO

    Gorgone, espèce de corail affectée par la canicule marine

  • Gorgone, espèce de corail

    PHOTO FOURNIE PAR MARIO MUNARETTO

    Gorgone, espèce de corail

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« Parmi les espèces touchées, il y a les gorgones [espèce de corail], des coraux, des oursins, énumère Jean-Pierre Gattuso, coauteur de l’étude. Il y a une plante emblématique, la posidonie, qui ne supporte pas ces températures de plus en plus extrêmes. Des collègues espagnols estiment qu’elle pourrait disparaître des îles Baléares d’ici 2040. »

La posidonie est une plante marine qui absorbe le CO2 et le stocke dans les sédiments sous-marins. Elle protège le rivage de l’érosion et sert aussi de site de reproduction à plusieurs espèces marines.

L’augmentation de la température de l’eau entraîne aussi des mouvements d’espèces. Bien que plusieurs d’entre elles ne soient pas nocives, d’autres posent un problème en bouleversant la biodiversité.

Environ 400 espèces en provenance de la mer Rouge sont parvenues à rentrer en Méditerranée par le canal de Suez.

Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche du Centre national de recherches météorologiques

« C’est le cas du poisson-lapin, un herbivore vorace qui mange les algues et concurrence les poissons natifs. Il y a le poisson-lion, dont les rayons de la nageoire dorsale piquent et sont venimeux », explique M. Gattuso.

Des effets pour l’humain

« Une autre conséquence de ces températures extrêmes, et qui est particulière à notre région, ce sont les épisodes méditerranéens », ajoute Jean-Pierre Gattuso.

Les épisodes méditerranéens sont liés à des remontées d’air chaud, humide et instable en provenance de Méditerranée qui peuvent provoquer des orages violents et de fortes précipitations. Ils se produisent généralement en automne, moment où la mer est la plus chaude, ce qui favorise une forte évaporation.

« Les dégâts sont parfois extrêmement violents : des maisons, des ponts et des routes qui sont emportés, des cours d’eau qui débordent, des inondations », illustre le chercheur.

Pour Karina von Schuckmann, il est impératif d’atteindre les cibles fixées par l’accord de Paris si l’on veut éviter des conséquences désastreuses. « Les solutions sont connues et à portée de main. Les océans absorbent déjà 90 % de la chaleur terrestre, il est donc important de ne pas se rendre au point de bascule », insiste-t-elle.

Il ne fait aucun doute aux yeux des deux experts que l’on peut associer cette canicule marine aux changements climatiques.